Titre - Better Call Saul
Réalisateur-trice - Vince Gilligan & Peter Gould
Quand et où - Netflix
Casting - Bob Odenkirk, Rhea Seehorn, Jonathan Banks
Comment diable mettre un parfait point final à une série qui n’a jamais cessé de tutoyer les sommets? Vous en aviez rêvé, les auteurs de Better Call Saul l’ont fait.
Tout avait commencé à la manière d’une simple blague. En 2013, durant la fête de fin de tournage de l’ultra célébrée Breaking Bad, l’acteur Bob Odenkirk, interprète survolté de Saul Goodman, l’avocat véreux de Walter White et Jesse Pinkman, avait pris la parole pour lâcher, rigolard: «Au bout du compte, une bonne série télé se jugera toujours à la qualité de son spin-off.» À dire vrai, ce spin-off centré autour de Saul Goodman, ça faisait un moment déjà qu’il travaillait le tandem d’auteurs surdoués formé par Vince Gilligan et Peter Gould. Il n’en faudra pas plus pour achever de les convaincre de se lancer, avec la rigoureuse efficacité qu’on leur connaît: dès février 2015, la première saison de Better Call Saul, spin-off prequel de Breaking Bad, est mise sur orbite. D’emblée, l’ambition de l’objet dépasse tous les espoirs, tandis que son ton, plus sombre et profond qu’anticipé, étonne et fascine. Ceux qui n’attendaient rien d’autre qu’une petite comédie légère peuvent aller se rhabiller: Better Call Saul est, d’évidence, taillée pour jouer dans la cour des grandes.
C’est certain, Better Call Saul trône en tout cas désormais tout là-haut, aux côtés de The Wire, de BoJack Horseman et des Sopranos, au panthéon de ces immenses séries qui sont autant d’inépuisables mythologies contemporaines.
Avocat corrompu à la tchatche légendaire et au sens inné du spectacle, Saul Goodman a pourtant toujours peu ou prou fonctionné comme l’élément farceur, le sidekick qui permettait de relâcher la pression face au sadisme grimpant de Walter White dans Breaking Bad: un amusant voyou plutôt qu’un vrai méchant. Or, c’est précisément ce qui fait tout le sel du récit de ses origines: davantage clown que brigand, Saul n’en bouillonne pas moins de mille désirs frustrés et d’autant de contradictions. Il est le point d’attache autour duquel se nouent tous les possibles, et toutes les transformations. Car là où Breaking Bad s’attelait à dépeindre la trajectoire hallucinée d’un simple prof de chimie reconverti en véritable baron de la drogue, Better Call Saul se propose de retracer l’histoire d’une autre métamorphose, antérieure à celle-là: celle de Jimmy McGill, attachant marginal doublé d’un éternel inadapté du barreau, en Saul Goodman, sémillant margoulin aux costumes criards capable de n’importe quelle embrouille en matière de justice. Moins un avocat spécialisé dans les affaires criminelles, au fond, qu’un criminel spécialisé dans les affaires juridiques.
Récit de la naissance d’une vocation délictuelle chez un irrésistible raté à l’hubris et à l’avidité dévorantes, Better Call Saul n’a, au fil de ses saisons, jamais cessé de repousser les limites de ce que l’on croyait possible en matière de création à la télévision (la série est à chaque fois d’abord diffusée sur la petite chaîne câblée américaine AMC puis relayée dans la foulée sur Netflix). Stylé, déroutant, furieusement original, chaque début d’épisode constitue la promesse d’un émerveillement en soi, voire d’un pur retournement de cerveau. D’une intelligence d’écriture absolument hors norme, l’ensemble de la série est indéniablement le fruit d’une implacable mécanique de précision. On en contemple chaque rouage avec le sentiment tenace qu’il contient tout un monde. D’une précision chirurgicale, sa mise en scène cultive, quant à elle, les angles de vue étonnants, voire carrément inconcevables, tandis qu’y dialoguent en un inlassable ping-pong l’infiniment petit et l’infiniment grand. De 2015 à 2020, Better Call Saul n’aura ainsi été qu’audace et finesse, intelligence et virtuosité. Puis vint le moment tant redouté de conclure…
Retour vers le futur
Débutée dès avril dernier, la sixième et ultime saison de la série a tiré sa révérence ce lundi 15 août sur un déchirant adieu avec l’épisode rédempteur Saul Gone. Rideau. Treize épisodes durant, elle a osé les ellipses les plus folles et les virages à 180 degrés, a bouclé des boucles impossibles et convoqué des détails oubliés avec une maestria inouïe, quand elle n’était pas occupée à se projeter toujours un peu plus dans de vertigineux flashforwards imaginant le futur de Breaking Bad. C’est en navigant ainsi avec une liberté totale sur la ligne du temps, en faisant constamment se télescoper le passé, le présent et le futur de la série et de son protagoniste, que Better Call Saul aura accompli son plus grand et son plus incroyable tour de force: réussir le final parfait, celui qui englobe absolument TOUS les enjeux d’un univers fictionnel dont la complexité psychologique et émotionnelle laisse tout simplement sans voix. On n’oubliera jamais la première apparition de Saul Goodman dans Breaking Bad. C’était dans le huitième épisode de sa deuxième saison. Il s’appelait… Better Call Saul. Dans son ultime saison, Better Call Saul a le culot d’en réaliser l’impeccable épisode-miroir. Il s’appelle… Breaking Bad. On y croise des fantômes qu’on ne pensait jamais revoir. On y mesure surtout le trajet insensé reliant une série à l’autre. À tel point que Breaking Bad fait quasiment figure aujourd’hui de simple galop d’essai, de rampe de lancement pour le vrai grand chef-d’œuvre de la paire Gould et Gilligan. C’est certain, Better Call Saul trône en tout cas désormais tout là-haut, aux côtés de The Wire, de BoJack Horseman et des Sopranos, au panthéon de ces immenses séries qui sont autant d’inépuisables mythologies contemporaines. Verdict final, donc? Coupable d’excellence, sur toute la ligne. La séance est levée.
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