Critique

BoJack Horseman: remords aux dents

© Netflix
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Splendeur crépusculaire à la fantaisie unique en son genre, BoJack Horseman vient de tirer sa révérence sur Netflix. Retour sur le destin hors norme d’un canasson qui aura, six saisons durant, marqué au fer rouge l’Histoire des séries.

Le 22 août 2014 débarquait sur Netflix un objet aux contours encore incertains pourtant appelé à modifier en profondeur la donne du paysage des séries animées. Programme adulte au nihilisme prononcé et à l’humour ultra référencé dévastateur, BoJack Horseman met en scène un cheval acteur has been cynique et autodestructeur à la merci de ses démons intérieurs, véritable forteresse de solitude imbibée évoluant dans un Los Angeles karchérisé à l’acide où humains et animaux plus ou moins anthropomorphisés cohabitent dans la décadence outrée. Cornaquée par un parfait inconnu d’une trentaine d’années à peine, Raphael Bob-Waksberg, la série aura mis quelques épisodes à trouver ses marques, avant de connaître un envol fulgurant qui ne se démentira plus. Dans un papier dithyrambique, le Guardian britannique va même jusqu’à placer BoJack en fer de lance de cette nouvelle génération de créations animées « que Jean-Paul Sartre aurait pu aimer« , aux côtés d’Archer ou Rick & Morty notamment. Et l’ampleur métaphysique de la série n’en finit pas de fasciner, en effet, tout comme sa radicale pertinence, Bob-Waksberg y moquant les stéréotypes du showbiz et la bien-pensance imbécile de l’époque par l’absurde tout en s’emparant des sujets de société les plus brûlants avec énormément d’à-propos et toujours plus de noirceur: racisme larvé, misogynie, agressions sexuelles, addictions suicidaires, grand cirque fatigué du politique, démission des médias, dérives capitalistes et violence de masse, parmi d’autres.

Initiée en octobre dernier, la sixième et dernière saison de BoJack Horseman, découpée en deux blocs de huit épisodes, semblait d’abord vouloir délaisser les concepts forts qui ont fait la griffe de la brillantissime série animée, aussi génialement drôle que profondément dépressive, pour se concentrer sur l’hypothétique rédemption de son protagoniste. Revenu de tout, accablé par la frustration et le dégoût de soi, BoJack flirtait plus que jamais avec le grand vide de l’existence. Pour mieux se réinventer? Ou définitivement sombrer? Mise en ligne ce 31 janvier, la suite apporte quelques précieuses réponses.

On achève bien les chevaux

Le premier épisode de ce grand tir groupé final est sans doute l’un des plus drôles de l’Histoire du show. Sorti de désintox mais toujours rongé par les remords et la culpabilité, BoJack s’improvise professeur d’art dramatique dans l’université où étudie sa demi-soeur Hollyhock. Construit sur un chapelet de vignettes évolutives, l’épisode voit ses étudiants venir pourrir l’un après l’autre ses réunions d’alcooliques anonymes pour tenter de faire la démonstration de leurs aptitudes de jeu. Au passage, la série confirme sa volonté d’opérer un véritable retour à ses racines élémentaires. Soit un timide mieux pour son protagoniste toujours sur le fil, une brève éclaircie avant l’inévitable dégringolade, la nouvelle descente aux enfers qui pourrait bien cette fois être fatale.

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Très bons, les cinq épisodes suivants bouclent consciencieusement quelques arcs narratifs majeurs de la série, des circonstances douteuses de la mort de l’ex-enfant star Sarah Lynn à celles du licenciement de l’ami trahi Herb Kazzaz. Arrivés à ce stade de la saison, on se dit que cette dernière salve pourrait se contenter de ça: faire brillamment le job sans pour autant offrir l’un de ces fameux moments phares à même de retourner tous les cerveaux, comme avait notamment pu le faire cet hallucinant épisode aquatique et muet à la Lost in Translation de la troisième saison. Il n’en est évidemment rien. Intitulé The View from Halfway Down, l’avant-dernier épisode -quasiment testamentaire- de cette saison 6, immense looping virtuose à l’intérieur de la psyché malade de BoJack, convoque aussi bien le souvenir crépusculaire de Sunset Boulevard que ces fameuses séquences de rêves funèbres qui émaillaient les Sopranos. Et tout BoJack Horseman de se donner rétrospectivement à relire comme la synthèse animée de ces deux marqueurs emblématiques de la culture populaire: gloire fanée et critique amère du miroir aux alouettes hollywoodien propre au film mythique de Billy Wilder d’un côté, angoisse existentielle et ressorts psychanalytiques chers à la série culte de David Chase de l’autre. En 26 minutes chrono, BoJack a à nouveau mis tout le monde KO.

En apesanteur, l’ultime épisode se termine logiquement là où tout, ou presque, avait commencé: sur un toit, donc, en compagnie de Diane, confidente et biographe, pour un dernier échange hors du temps, la tête dans les étoiles. « La vie ne fait pas de cadeaux et puis on meurt« , ironise BoJack. À quoi Diane répond simplement: « La vie ne fait pas de cadeaux mais on poursuit sa route. » Celle de la série s’arrête ici. Ses innombrables cadeaux sont toujours bien là.

BoJack Horseman (saison 6, partie 2). Une série Netflix créée par Raphael Bob-Waksberg. Avec les voix de Will Arnett, Amy Sedaris, Aaron Paul. Disponible sur Netflix. *****

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