Basiques instincts

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Réalisé en 1985, le premier film en langue anglaise de Paul Verhoeven intègre la prestigieuse famille des coffrets ultra collector des éditions Carlotta.

À la fin des années 60, l’Amstellodamois Paul Verhoeven connaît son premier succès avec une série télévisée familiale, Floris, qui est alors un peu le pendant néerlandais d’un Ivanhoé ou d’un Thierry la Fronde et dont l’action se déroule dans le Moyen Âge finissant du tout début du XVIe siècle. Scénarisée par Gerard Soeteman, fidèle collaborateur en devenir, elle est déjà portée par un certain Rutger Hauer, qui y campe un mythique chevalier rebelle à qui l’on a dérobé son château. Une quinzaine d’années plus tard, Verhoeven, fort de plusieurs longs métrages marquants et souvent sulfureux ( Turkish Délices, Spetters…), choisit pour son premier film en langue anglaise (mais toujours tourné en Europe) de renouer avec ses obsessions médiévales du début du XVIe. Il demande à Soeteman de lui écrire une fresque d’aventures historiques brutale et sans concession, à rebours total des représentations idéalisées du Moyen Âge qu’affectionne tant Hollywood. “ Je voulais être sombre, audacieux, provocateur”, explique le cinéaste dans une généreuse interview proposée aujourd’hui en bonus du Blu-ray de La Chair et le Sang.

Et, en effet, avec ce film de transition, le futur réalisateur de RoboCop, Basic Instinct et autre Starship Troopers signe une épopée radicale et décadente, aux personnages -des mercenaires, pour la plupart- dépourvus de sens moral qui pataugent dans la merde et la fange. Massacres cruels, tortures, viols, trahisons, humiliations, ripailles dégoulinantes et baveuses… S’attardant sur les faces hideuses et grimaçantes d’hommes rendus à leurs plus bas instincts, Verhoeven filme le corps dans tous ses états, dans tous ses débordements, ses fluides et ses déjections, dans toute sa pesanteur, sa trivialité et sa matérialité brute -autre chose que dans son récent et gentiment farcesque Benedetta, en somme… Riche en influences picturales (Bosch, Brueghel…), ce cocktail nauséeux, et profondément anti-manichéen, de sexe et de violence annonce indéniablement certains aspects de la série Game of Thrones. Chacun essaie tant bien que mal de survivre dans La Chair et la Sang, et Verhoeven, fort heureusement, se garde bien de juger ou d’asséner d’hypothétiques leçons de morale.

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Proposé dans un irrésistible coffret ultra collector des éditions Carlotta, en version intégrale non censurée, le film s’y accompagne de solides suppléments: longue interview de Verhoeven donc, mais aussi du scénariste Gerard Soeteman et du compositeur Basil Poledouris… Un foisonnant bouquin de 160 pages, incluant 40 photos d’archives, se joint en outre au désormais traditionnel combo DVD/Blu-ray. Écrit par Olivier Père, ancien journaliste des Inrocks aujourd’hui directeur de l’unité cinéma d’Arte, celui-ci resitue avec rigueur et érudition le contexte et les enjeux de ce que beaucoup considèrent légitimement comme l’un des meilleurs films d’aventures historiques jamais réalisés.

La Chair et le Sang

De Paul Verhoeven. Avec Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh, Tom Burlinson. 1985. 2 h 08. Ed: Carlotta.

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