Slowdive, pionnier du shoegaze, revient en grandes pompes avec un cinquième album

Rachel Goswell: “Avec Slowdive, on s’est retrouvé au bon endroit au bon moment. Je faisais des cassettes, des pochettes de disques. C’était totalement Do It Yourself. On n’a pas dû se battre avec le label Creation pour conserver notre liberté. On a juste prétendu qu’on avait un disque déjà tout fait et on est ensuite partis l’enregistrer.” © INGRIDPOP
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pionnier du shoegaze, Slowdive retrace son ascension, sa chute, sa renaissance et raconte la fabrication de son cinquième et nouvel album.

Fin juin. Une petite rue paisible. Un jeudi, milieu d’après-midi, qui hésite entre le soleil et la pluie. Slowdive assure la promo de son nouvel album dans les bureaux néerlandais du Secretly Group. Le rassemblement d’une poignées de labels indépendants: Secretly Canadian, Jagjaguwar, mais aussi Dead Oceans, la maison de disques sur laquelle l’institution du shoegaze a posé sa musique brumeuse et ses pédales d’effet suite à sa reformation il y a pratiquement dix ans. Après une petite photo dans l’arrière-cour, de nous pas d’eux (un drôle de rituel qu’affectionne sa chanteuse et musicienne), Rachel Goswell et le guitariste Christian Savill se racontent sans aucune prétention et avec beaucoup de sincérité.

Si le nouveau Slowdive est intitulé Everything Is Alive, il est dédié à la mère de Rachel et au père de leur batteur Simon Scott, tous deux décédés en 2020. “Le père de Simon avait des problèmes de santé depuis un bout de temps. Il a contracté le coronavirus à l’hôpital et il en est mort très tôt durant la pandémie, dès le mois d’avril. Ma mère, elle, souffrait de la démence à corps de Lewy depuis quelques années. Elle est entrée dans un centre de soins très près de là où j’habite en septembre 2019. Mais avec les confinements et les restrictions sanitaires, je n’ai pas pu beaucoup la voir. C’est la même maladie, particulièrement cruelle, que celle dont souffrait Robin Williams (qui s’est suicidé en 2014, NDLR). C’est horrible de voir quelqu’un l’endurer pendant si longtemps. Ça faisait déjà six ans quand les médecins ont compris. Ils ont longtemps cru que c’était Parkinson. Il n’y a de toutes façons pas vraiment de traitement médical pour cette maladie. Elle va de pair avec des hallucinations. Ma mère avait été infirmière et elle avait traité des gens qui souffraient de démence. Sa plus grande crainte était d’en souffrir elle-même. Personne ne pouvait réellement faire quoi que ce soit pour elle. Mais tout le monde dans le groupe n’a pas été frappé par des malheurs et de la tristesse pendant la confection du disque. Il y a aussi eu de la nouvelle vie. On est donc partis sur un titre empli d’espoir.

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Au moment de se mettre à plancher sur la bête, le groupe britannique n’avait pas spécialement d’intention particulière à part celle d’enregistrer un nouvel album. “On avait beaucoup tourné après la sortie de Slowdive en 2017 et on avait besoin de passer du temps avec nos familles. Donc, on a fait un break d’un an, retrace Savill. Mais Neil (Halstead) écrit en permanence des chansons. Et c’est ce qu’il a continué à faire. Après un petit moment, il nous a envoyé des idées, des ébauches, des démos. Et il nous a demandé sur quoi on avait envie de travailler.Neil, qui habite dans les Cornouailles, envoie un peu de tout. Des titres déjà bien avancés mais aussi des petites choses. Une drum machine, quelques guitares, poursuit Goswell. On ne s’est pas dit qu’on allait fabriquer un disque qui sonnerait comme ceci ou comme ça, mais plutôt: retrouvons-nous en studio et on verra ce qu’il s’y passe.

Goswell et Savill sont sur la même longueur d’ondes. L’un commence les phrases, l’autre les termine. “Le truc c’est que quand Neil arrive avec des idées, elles peuvent souvent prendre pas mal de directions différentes. En fonction des chansons qu’on choisit et du chemin qu’on veut leur faire emprunter. Quand il écrit un morceau, il est bien conscient que c’est pour en faire un disque de groupe. Il est ouvert à la discussion. De toutes façons, s’il avait voulu en faire un album solo, il aurait été électronique.

Il y a de toute évidence des sonorités électro sur Everything Is Alive. Notamment sur Shanty, son titre d’ouverture. “On était ouverts à l’idée. Parce qu’on aime la musique à synthé, reprend Savill. Simon et Neil, tout particulièrement, la collectionnent et expérimentent. C’était chouette de venir introduire cet élément. C’est en gros comme ça qu’on a façonné un disque teinté de nouveaux aspects mais qui reste un album de Slowdive.

“On ne voulait pas juste être dans la commémoration. Donc, on a vite décidé de plancher sur de nouvelles chansons.”
“On ne voulait pas juste être dans la commémoration. Donc, on a vite décidé de plancher sur de nouvelles chansons.” © INGRIDPOP

Des essais et des erreurs, des allers et des retours… Les chansons ont eu beaucoup de vies et le processus a pris trois ans. “Il a fallu dealer avec le Covid. Avec le fonctionnement différent du monde.Le résultat est plutôt pop aussi. On aime la pop music. Et on a toujours été un groupe mélodieux. C’est un élément qui fait clairement partie de nous. Mais on peut vite s’ennuyer…” Rachel rebondit. “Le seul disque sur lequel tu n’as pas cette dimension reste sans doute Pygmalion.”

Les raisons d’une résurrection

Qu’est-ce qui sort un groupe de sa léthargie? Qu’est-ce qui, après une longue pause, pousse des gens à refaire de la musique ensemble, à remonter sur scène, à retourner en studio, à enregistrer de nouvelles chansons, de nouveaux albums? “Plusieurs choses sont arrivées en 2013, retrace Rachel. Neal donnait quelques concerts acoustiques à Londres et m’a proposé de le rejoindre chanter sur quelques morceaux. Il avait signé chez Sonic Cathedral (un label créé en 2006 comme le prolongement de soirées célébrant le shoegaze, ses influences et ses inspirations, NDLR), qui avait souvent demandé quand on reformait Slowdive et insisté sur l’intérêt que le groupe suscitait… Nick et Christian sont venus à ces shows. Le Primavera nous avait aussi contactés à l’époque. Et on n’avait pas réalisé à quel point ce festival était important. On a contacté Simon pour voir s’il était intéressé et il a immédiatement répondu par l’affirmative. C’était le bon moment pour tout le monde. On a décidé de se retrouver dans un local de répétition et de voir ce que ça donnerait 20 ans après…” De fil en aiguille, il y a eu un album sobrement intitulé Slowdive, paru en mai 2017. “Au début, on voulait juste se retrouver et s’amuser en donnant des concerts. Mais très vite, on s’est dit qu’on pourrait revenir avec un disque. On ne voulait pas juste être dans la commémoration. Donc, on a vite décidé de plancher sur de nouvelles chansons. On a passé quasiment deux ans sur la route. Ce qu’aucun de nous n’avait anticipé. Pour la première fois, la musique nous permettait de gagner notre vie.

© National

Et ce grâce à des fans insoupçonnés. “Le public était composé relativement de beaucoup de jeunes qui ne nous avaient jamais vus auparavant. Encore maintenant, ils sont assez nombreux à nos concerts. Des gens qui n’étaient même pas nés quand nous avons sorti nos premiers disques. C’est assez transgénérationnel, je dois dire. Pour la tournée qui arrive, on essaie d’ailleurs de faire en sorte que ce soit des concerts “all ages”. Si tant est que c’est possible. Une fille de 16 ans a envoyé un très long mail expliquant combien elle aimait Slowdive. Que ce n’était pas juste de ne pas pouvoir rentrer dans les salles pour y assister. Vous n’avez pas ça en Belgique mais en Angleterre et aux États-Unis, c’est différent.” Goswell se souvient de la première fois où Slowdive a joué aux USA. “J’avais 20 ans mais il en fallait 21 pour entrer dans les bars et les clubs. Donc, je rentrais pour le soundcheck. Puis, ils me foutaient dehors jusqu’au moment où on allait monter sur scène.

Les motifs d’une disparition

La vie de Slowdive n’a pas été un long fleuve tranquille. Plutôt un chemin tortueux et semé d’embûches qui s’est terminé une première fois en 1995 dans une impasse. “On était très très jeunes, à peine 20 ans, quand on a commencé, se souvient Savill. C’était génial. C’était la découverte. C’était l’aventure. La naïveté. L’innocence. Et quand on a sorti Pygmalion, on a vu et compris ce qu’était vraiment l’industrie du disque. On arrivait à la fin d’un truc. On était gavés, pauvres et désillusionnés. Personnellement, je me disais: il me faut un vrai job. De quoi payer mon loyer. Ça avait été génial. Et on avait raconté ce qu’on avait à dire.” “Pygmalion avait été terminé un an avant sa sortie, poursuit Rachel. On a attendu patiemment. Et on savait qu’on se ferait lâcher par Creation. On était sûrs que ça allait arriver. Que le label n’avait pas compris le disque, qu’il ne l’aimait pas. Mais on va quand même le lui concéder: il l’a sorti. On a été virés une semaine après. On répétait pour la tournée. On apprenait comment jouer ces chansons. Mais même les répétitions étaient compliquées.” “Il n’y avait plus d’enthousiasme, reprend Savill. On se disait que personne ne viendrait nous voir. Tout le monde s’en foutait.

Slowdive à l’époque se retrouvait perdu entre deux phénomènes qui accaparaient toute l’attention: le grunge d’un côté et la Britpop de l’autre. La presse qui l’avait encensé à ses débuts n’était plus particulièrement tendre avec le groupe de Reading… “Les journalistes britanniques à l’époque détenaient tout le pouvoir. Ils faisaient la pluie et le beau temps. C’était les tastemakers… Et ils ont décidé quelque part qu’il était temps de se libérer de nous. Ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient pour nous enterrer au moment de Souvlaki. Mais on marchait encore plutôt bien aux États-Unis. Et ça avait encore été en Europe. On a fini par prendre notre retraite. Déçus.” Rachel et Neil ont alors formé Mojave 3, signé chez 4AD. “Ça a duré une dizaine d’années.” Simon a joué de la batterie dans Lowgold, formé Televise et a commencé à faire du field recording, à enregistrer des sons dans la nature. “Ça le rend heureux.” Quant à Christian, il s’est trouvé un boulot. “Pendant quelques années, je n’ai plus voulu du tout faire partie d’un groupe. J’avais perdu la passion, la flamme. À partir d’un moment, la musique devient plus un hobby qu’une perspective professionnelle.” Amer? Plutôt fataliste… “C’est comme ça que la presse musicale fonctionnait. Elle créait constamment des scènes pour donner envie aux gens de lire à leur sujet. Et puis dès que ça se tassait un peu, on passait à autre chose. Fallait vendre du papier, intéresser les gens, appâter le consommateur. Comme quand on te fait croire que tu as besoin d’un nouveau jean ou d’une nouvelle paire de pompes.” À la base, le terme shoegaze était tout sauf apprécié par ses artisans. “C’était de la poudre aux yeux, de l’image pour vendre des gazettes. Tu avais l’impression que le shoegaze était communautaire. Qu’on vivait dans la même maison, qu’on ne trainaît qu’entre nous. ça ne se passait pas comme ça. Tout le monde était sympa et amical, mais pas plus qu’ailleurs et dans d’autres genres musicaux.” À l’époque il n’y avait pas de canaux pour rectifier l’histoire et rétablir la vérité. Pour en donner sa propre version comme Internet le permet aujourd’hui. “Or, presque rien n’était vrai.”

Everything Is Alive ***1/2, distribué par Dead Oceans/Konkurrent.

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