L’art avant-après (4/6): garçon mordu par un lézard

© GAËL DAVRINCHE
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

En 1592, un soleil noir pénètre à Rome. Il a pour nom Le Caravage. Sa palette bouleversera la peinture. Avec son usage novateur du clair-obscur, le «chiaroscuro», Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610) porte la lumière au cœur de l’acte de peindre. Condition de possibilité du voir, cette clarté n’apparaît jamais aussi bien que dans le combat qu’elle mène avec les ténèbres. Le maître excelle dans le contraste, toutes les lignes de force de ses tableaux servent cet antagonisme de manière cinématographique. Comme l’écrivait l’historien de l’art Elie Faure,, «il n’avait pas son pareil pour rejeter dans l’ombre opaque tout ce qui n’exprimait pas l’extase ou le désespoir». Peint peu de temps après son arrivée dans la Ville éternelle, ce Garçon mordu par un lézard (vers 1593) montre un modèle androgyne dont le digitus impudicus enserré dans la gueule d’un reptile a souvent été interprété comme une allusion à l’homosexualité supposée du peintre. Le visage tout entier du jeune homme semble crier. La douleur et l’érotisme sont au cœur de cette composition. Loin des visions idéalisées et des idéologies qui barrent l’accès au réel, l’œuvre du Caravage remet le corps, la mort, le sexe, et bien d’autres choses encore, au libre usage des hommes. Avec la série Les Revisités, entamée il y a plus de dix ans, Gaël Davrinche (1971, Saint-Mandé) secoue l’histoire de la peinture. Avec admiration mais aussi impertinence, car le peintre sorti des Beaux-Arts de Paris en 2000 n’hésite pas à pousser à son comble ce qu’il entrevoit. «Je m’amuse à révéler ce que les grands maîtres de l’époque ne montraient qu’à demi-mot, par un principe d’exagération franche et drolatique», confiait-il récemment à Elisabeth Vedrenne dans l’édition de mai 2022 de Connaissance des Arts. L’effet qui en résulte suscite l’effroi à travers des couleurs exacerbées et une composition éclatée, comme passée à la centrifugeuse. Il n’en faut pas plus pour que soit réintégrée cette dimension d’inquiétude, de malaise diffus, que tout portrait digne de ce nom, en sa volonté de figer ce qui ne peut l’être, devrait susciter en nous.

© GAËL DAVRINCHE

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