Serge Coosemans

Selon Disney, lorsque sortira le dernier épisode de Star Wars, nous serons tous morts

Serge Coosemans Chroniqueur

Dans notre série « nos pigistes commentent une fois encore les articles des autres », Serge Coosemans a cette semaine repéré un très intéressant papier du magazine Wired sur Star Wars et comment tourne actuellement Hollywood. Selon lui, c’est plutôt flippant. Crash Test S01E15.

Troll toujours. À une cinquantaine d’heures de la sortie de Star Wars Episode VII: The Force Awakens, j’en ai quelques bien bonnes à vous balancer sur le coin de votre Faucon Millénaire. Déjà, ce film n’a pas pour principale mission de vous faire rêver, de vous distraire et de vous raconter une belle histoire. En fait, il n’existe que pour vous capturer du temps de cerveau. Comme TF1, comme Coca-Cola. Ce coup-ci, je ne rumine pas, comme la semaine dernière, des idées personnelles à propos d’un film que je n’ai toujours pas vu. Ce que je déblatère ici, je l’ai dégotté dans un un papier assez fouillé du magazine Wired qui reproduit principalement des propos tenus par les dirigeants de Disney et de Lucasfilm. L’article, probablement le meilleur en circulation sur Star Wars VII et comment tourne aujourd’hui Hollywood, annonce la couleur dès son titre, plutôt flippant: « You Won’t Live to See the Final Star Wars Movie ».

Voilà, c’est dit. Nous serons probablement tous morts quand sortira le dernier film de cette saga et le dernier film de cette saga, c’est déjà assuré, ne sera pas l’Episode IX prévu pour décembre 2019. Si tout marche comme l’entend Disney, il y en aura d’autres, beaucoup d’autres. « Un film par an tant que les gens achèteront des tickets pour les voir. La franchise éternelle », croit savoir Wired. Plus d’épisodes que Dallas, Plus belle la vie et les télénovelas brésiliennes réunis, ai-je envie de persifler, parce que bon, on ne peut pas dire que tout cela m’emballe. Mon temps de cerveau a même tendance à vouloir se barricader dans une cinémathèque sérieuse et le snobisme culturel le plus décomplexé quand on sait qu’outre un Star Wars par an, Disney nous promet aussi 17 films de super-héros Marvel d’ici 2025. Sans compter les offres planplans de la concurrence: Batman, Superman, Wonder Woman, Transformers, Mad Max, Alien, Terminator, Robocop, Godzilla, King Kong, James Bond et les super-héros Marvel Comics dont Disney n’a pas les droits, comme les X-Men et Spiderman. Et puis encore Star Trek, Mission Impossible, Sherlock Holmes et Pirates des Caraïbes. Quand je lis ça, c’est très simple: je ressens en fait le même genre d’ennui profond que lorsque je sors de chez moi pour traîner dans mon quartier, un endroit de Bruxelles où des supermarchés Carrefour sont installés juste en face de supermarchés Delhaize, où les fast-foods Quick ne sont pas trop loin des fast-foods McDonald’s et où les boutiques Proximus sont implantées à deux pas des boutiques Base et Mobistar. Voilà donc à quoi ressemble à mes yeux l’offre hollywoodienne contemporaine: à cette putain de chaussée d’Ixelles.

La fin de l’Histoire

Si le cinéma qui marche se résume à des franchises éternelles, il n’y a en fait plus de début, de milieu et de véritable fin aux histoires que racontent ces films. Les morts réapparaissent plus jeunes dans des épisodes isolés et dans des prequels, ce qui est évoqué dans de mystérieux dialogues devient anecdotique dès que transformé en épisode à part entière. Une franchise éternelle se spoile elle-même, car si les gens paient pour voir une guerre des étoiles perpétuelle, il serait tout de même très étonnant que les scénaristes aillent imaginer un traité de paix définitif entre les belligérants. Sans véritable enjeu, le film redevient une simple attraction visuelle, de belles images qui bougent, et c’est ce que pas mal de gens attendent, en fait. Wired dit une chose essentielle à ce propos: il ne faut plus parler de franchises mais de paracosms, qui est un terme de psychologie désignant les mondes imaginaires que s’inventent les enfants. La galaxie de Star Wars et l’Univers Marvel sont désormais perçus et traités comme des réalités parallèles que certains ont envie d’explorer dans les moindres recoins. « Ça peut paraître ridicule, dit dans l’article de Wired un décideur de la Paramount qui travaille sur Star Trek, mais qu’est-ce qu’un Star Trek: Zero Dark Thirty pourrait bien nous donner? Où est la Seal Team 6 dans l’univers de Star Trek? » Le gars s’avoue complètement fasciné par cette question et l’auteur de l’article ne la trouve pas ridicule du tout, bien au contraire. Il la qualifie même de « freaking cool ».

Moi, ça me donne juste envie d’étouffer ces deux gros nerds en leur enfonçant des DVD de Sidney Lumet jusqu’au fin fond de la gorge. Ils me donnent l’impression de caricatures ambulantes, de sortir d’un remake du Player d’Altman où le cynisme crasse des décideurs hollywoodiens des eighties serait remplacé par une béatitude de ravis de la crèche collectionneurs de jouets d’extraterrestres à 45 ans passés. Le pire, c’est que les emballements de ce type de benêts provoquent un changement de paradigme pop-culturel assez abominable. Aujourd’hui, dit encore Wired, dans le cinéma américain de premier ordre, il y a désormais clairement moins de créateurs que de gardiens de la flamme. Cinéaste pas finaud pour un sou et pas non plus forcément bon, George Lucas était au moins un créateur. Quand il a sorti Star Wars du placard en 1999, il n’a pas joué la carte de la nostalgie et de la facilité. Au contraire, il a carrément pété sur la flamme, imposant à ses fans un film politique naïf mais pas facile et plutôt avare en rebondissements mémorables et en bonnes bagarres, d’ailleurs toujours considéré comme un véritable accident industriel (fort bien vendu, cela dit) dans l’histoire de Star Wars. Maintenant qu’une telle surprise ne risque plus d’arriver, que la flamme est mieux gardée que jamais, peut-être finira-t-on par un jour reconsidérer, voire même regretter, The Phantom Menace; cet exemple rare d’épisode de franchise éternelle qui aura essayé de casser le ton, d’être inattendu et intelligent, certes sans y parvenir? Ça me semble mal barré. En fait, c’est très simple: si les fans et les producteurs d’un paracosm comme Star Wars attendent principalement des films à venir qu’ils soient nostalgiques, pétaradants, jolis à regarder et pas compliqués à suivre, qu’est-ce donc là sinon le choix de la voie « la plus rapide, la plus facile, la plus séduisante »? Le Côté Obscur, donc. Vivement un nouvel espoir.

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