Serge Coosemans

Le Côté Obscur du best of cinéma de fin d’année

Serge Coosemans Chroniqueur

Décembre, le mois des annuels best of. Préparant le sien pour un futur Focus Brolcast, Serge Coosemans nous a compilé 5 de ses grandes déceptions cinématographiques de 2015. Et puis, comme ça passait mieux à l’écrit que derrière un micro, il nous en a fait sa chronique de la semaine. Crash Test S01E14.

SICARIO.

Bien que non sans défaut, une bonne heure quarante durant, cette affaire-là est plus tendue qu’un string mouillé d’Alain Hubert sur une corde à linge en Antarctique. Et puis, un peu avant la fin, comme ça sans prévenir, pif pouf, Benicio Del Toro jusque là plutôt placide, se met soudainement à dégommer tout ce qui moufte sans se décoiffer, à la Juan Bondo Nulo Nulo Siete. C’est là que j’ai décroché et je crois bien que ce climax débile restera pour moi le symbole de tout ce qui clocha dans le cinéma hollywoodien de 2015. La logique de Sicario, la parfaite conclusion nauséeuse d’un film aussi nauséeux, n’avait pas besoin de ce quart d’heure ninja. Cette séquence ne me semble d’ailleurs là que parce que les producteurs se sont toujours complètement foutus de ce que ce film entendait raconter, signifier, imaginer et dénoncer. Dans la presse hollywoodienne, ils ont même avoué déjà penser à une suite ou à un prequel entièrement axé sur le personnage de Del Toro, pourtant le plus bidon, le plus cartoonesque, du lot. Sicario aurait pu être un French Connection 2.0, un Apocalypse Now des Cartels mais non, ce qui les intéresse surtout, c’est d’exploiter un personnage qui ferait à leurs yeux un excellent anti-héros à la Walter White, à la Tyrion Lannister; maintenant qu’il est lancé, sortir El Sicario d’un film au canevas réaliste et crédible pour le recycler dans une longue série de pantalonnades. Sicario contre Pablo Escobar. Sicario contre DEA. Sicario contre Sopranos. Peut-être même Sicario contre Alien(s) contre Predator contre Sharktopus.

A MOST VIOLENT YEAR.

Chaque année en Belgique, des petits dentistes, des petits cavistes et des petits libraires de Waterloo s’habillent en soldats de Napoléon et de Wellington et s’en vont faire les andouilles dans les champs de Braine-L’Alleud pour le plus grand plaisir d’un public de fétichistes de l’uniforme ancien et d’historiens du dimanche. A Most Violent Year, c’est le même principe: une reconstitution historique fétichiste mais où la poignée de bons acteurs américains ne joue pas, comme on pourrait pourtant le penser, des chefs d’entreprise, des maffieux et des flics du New-York City de la fin des années 70 mais jouent plutôt à Al Pacino, Roy Scheider, Harvey Keitel et Treat Williams interprétant eux-mêmes des rôles de chefs d’entreprise, de maffieux et de flics du New-York de la fin des années 70, tels qu’à l’époque filmés par Sidney Lumet, William Friedkin, Martin Scorsese ainsi que par une bonne grosse poignée de bons faiseurs de bonnes grosses séries B. Bref, A Most Violent Year s’intéresse plus à la forme, jolie, qu’au fond, banal, et ce film est aussi au polar urbain seventies ce que des groupes actuels comme The Black Angels et The Lords of Altamont sont au rock psychédélique plus ou moins contemporain de ces années-là. C’est très bien fait, très calculé, pas forcément mauvais, certainement pas détestable, mais ce n’est pas et ce ne sera jamais, the real thing.

MAD MAX FURY ROAD.

Il faut admettre l’évidence: les meilleures poursuites de bagnoles au cinéma, c’est dans Bullitt, French Connection, We Own The Night, Drive et éventuellement aussi dans le deuxième Batman de Nolan. Ce sont de bonnes scènes de tutures parce qu’elles ne sont pas basées que sur les cascades, la mécanique et la vitesse. Elles prennent aussi en compte l’habilité de conduite, la charge sexuelle de cette maîtrise du volant, la claustrophobie de l’habitacle, l’angoisse de l’accident, le stress des passagers. C’est avec ces ingrédients savamment dosés que l’on réussit vraiment des scènes de poursuites marquantes, sans quoi, on vire trop vite au Monster Truck Extravaganza bien bourrin, à la parade mécanique, à l’attraction foraine, au Fast & Furious. Ado dans les années 80, à la première vision des films de George Miller, c’est déjà ce que je reprochais à Mad Max: être plus proche d’une version cuir-moustache de Shérif fais-moi peur que d’un vraiment bon film de bagnoles, Vanishing Point par exemple. 30 ans plus tard, je n’ai pas l’impression du moindre changement fondamental dans cet univers de gros blaireaux des antipodes. Dans Mad Max Fury Road, la poursuite de la fin est un remake de la poursuite du début qui elle-même est un remake de la poursuite de Mad Max 2. Et comme l’a très bien remarqué l’un de mes anciens colocataires sur Facebook, esthétiquement, avec toutes ces chorégraphies, ces maquillages et ces équilibristes en bout de perches, ça fait aussi vachement « Franco Dragone et son Cirque du Soleil » avec des bagnoles à la place des chevaux. Le plus drôle restant cette étiquette « féministe » que le film a décroché tout ça parce qu’une femme y conduit un camion mieux qu’un homme. Déjà, c’est oublier que dans le film, la femme est à cran et à jeun, alors que ses assaillants sont tous complètement pétés au spray nettoyeur de fours et donc forcément un peu dissipés derrière leurs volants et leurs guidons. Ensuite, qu’une femme soit capable de conduire un camion, ça va, je crois que même en Arabie Saoudite, on commence à s’en douter.

IT FOLLOWS.

Le meilleur moyen pour se débarrasser d’un fantôme? Nager dans une piscine la nuit pendant que vos amis y balancent des lampes de chevet, des grille-pains et des sèche-cheveux branchés à la prise. Kids, ne faites pas ça à la maison, sans quoi vous risquez bien de vous retrouver grillés en une des gazettes du groupe Sudpresse avant même d’en avoir fini avec les spectres. Ne croyez pas non plus, comme on le lit pourtant sur Twitter, que ce piteux navet est le meilleur film d’horreur de la décennie doublée d’une puissante allégorie du SIDA. Avec le riche Béninois agonisant qui aimerait vous désigner comme son exécuteur testamentaire et les pompes en plastique qui agrandissent les pénis, ce n’est rien de plus que l’une des plus grosses arnaques de l’année.

BONUS. STAR WARS EPISODE VII.

Il y a 73 ans, Disney tuait la maman de Bambi. En 1994, Disney dégommait Mufasa. En 2003, c’est la maman de Nemo qui marinait dans le bedon d’un squale patibulaire. On l’oublie souvent mais quand il s’agit dans ses films de trucider plus ou moins gratuitement des personnages, Disney est capable de provoquer bien davantage de traumatismes durables et d’angoisses morbides que Game of Thrones, série populaire qui tient pourtant pour son casting de la véritable roulette russe. Souvent, quand vient la mort chez Disney, c’est pour transformer un héros un peu pataud en orphelin revanchard, lui déchirer le coeur afin de lui faire prendre conscience de ses responsabilités et de son destin. Comment dès lors penser un seul instant, croire, espérer, que Disney et JJ Abrams – lui aussi roitelet de la formule et des archétypes – ne vont pas appliquer ces bonnes vieilles recettes à Star Wars Episode VII?

N’ayant pas de cancer terminal à présenter à l’entrée VIP, je n’ai évidemment pas encore vu le film mais il est tout de même très prévisible qu’il sera entièrement tricoté de fil blanc. À un tel niveau de stratégie industrielle et commerciale, avec aux commandes de telles incarnations de l’actuel Système hollywoodien dans toute sa platitude, Star Wars ne peut (et ne peut d’ailleurs pas non plus se permettre de) surprendre, risquer l’inédit et se délester de ses propres formules. C’est bien pourquoi il est couru d’avance que des bouseux des sables vont encore une fois s’y découvrir un destin galactique, que ceux qui ne sont pas encore orphelins vont y voir leurs parents en prendre plein la fraise et/ou mourir et après, comme d’habitude, il s’agira surtout de fuir, de se cacher, de passer son diplôme de Jedi, de revenir et de contre-attaquer. Han Solo dies first et Mark Hamill n’est pas sur l’affiche parce qu’il n’apparaît que cinq minutes à la fin, dernier espoir d’une Résistance laminée par de nouveaux méchants vraiment méchants, parce qu’un bon film Disney, c’est ça aussi: le méchant doit y être vraiment très méchant. Évidemment, pour le coup, tout cela tient plus du pari que de la certitude. Ce dont je suis certain, par contre, c’est que même si ce film trempe les fans, il ne trompera pas mes réserves. Dans l’art de la critique, c’est que j’ai définitivement basculé du Côté Obscur. Who’s your daddy?

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