Vincent Dedienne: “Notre époque est tellement malade qu’elle fabrique des gens monstrueux”
Théâtre, cinéma, rien ne résiste à Vincent Dedienne. Après de multiples expériences, le comédien revient à l’exercice du one-man-show où le gentil de l’humour s’amuse à être méchant.
Enfant, il aurait voulu être bibliothécaire ou présentateur du Juste Prix, dit-il en s’adressant du futur à l’enfant qu’il était. Mais c’est bien sur scène qu’on retrouve Vincent Dedienne. Oh, il ne l’avait pas quittée longtemps, enchaînant les pièces depuis 2018 et la fin de la tournée de son précédent seul en scène, S’il se passe quelque chose. Ce one-man-show avait alors véritablement révélé le talent humoristique du comédien français, son goût de l’observation du quotidien et des personnages qu’on croise en rue, en soirée ou dans les coulisses du monde du spectacle. Après les expériences en troupe et le goût pour les mots de Marivaux, Ovide et Labiche, le revoilà en solo pour Un soir de gala, un spectacle élaboré juste avant le Covid. « J’avais envie de réessayer. Pour le premier spectacle, je n’avais pas la certitude d’aimer la solitude sur scène. Et j’ai tout aimé: la tournée, jouer 400 fois, me retrouver seul dans un hôtel du fin fond du Poitou-Charentes… Et le fait de me remettre au travail m’a donné envie de retrouver des choses à dire. Comment faire rire les gens aujourd’hui dans cette époque bizarroïde.«
Le répertoire, c’est un peu à quoi il se destinait au départ par sa formation à la Comédie de Saint-Étienne. C’est là qu’il apprend le métier, la technique. Mais faire rire, c’est beaucoup plus ancien: « Je m’en suis rendu compte tout petit, oui, se souvient Vincent Dedienne. Je me souviens qu‘un jour, lors d’une promenade avec mes parents, je me suis dit: Tiens, je vais tomber. Et donc j‘ai fait semblant de tomber et tout le monde a rigolé. Je me suis dit: C’est bon, j’ai compris, j’ai pigé que j’avais la possibilité de déclencher quelque chose. Ça, ça a été très grisant pendant l’enfance. » Et puis il y a les découvertes des grands de l’humour hexagonal. Muriel Robin en particulier et cette veine du sketch que le natif de Mâcon a fait sienne. « Des idôles? J’en ai mille en humour« , dit-il tout en citant Robin Williams et Neil Patrick Harris parmi ses références anglo-saxonnes.
Le premier spectacle S’il se passe quelque chose portait un sacré bagage personnel. Débarquant littéralement nu sur le plateau dès le lever de rideau, il évoquait sans ambages son homosexualité et son parcours intime et professionnel par la bande. Comme le laisse entendre son titre, son nouveau seul en scène se veut plein d’invités. « Quand on prépare un spectacle, c’est exactement ça. C’est comme faire un dîner ou une fête. C‘est vraiment l’idée de leur préparer une surprise. » Mais pas certain que les invités qui défilent sur le plateau auront droit à une repasse de champagne. « J’avais envie de faire une sorte de photographie de cette époque. Elle est tellement malade à plein d’égards qu’elle fabrique des gens monstrueux. » Et ça défile, du prof de danse contemporaine à la bourgeoise obséquieuse, les têtes à claques se succèdent. Des personnages qu’il a créés en collaboration avec ses co-autrices Juliette Chaigneau, Anaïs Harté et Mélanie Lemoine.
Carrément méchant?
Mais pourquoi celui qu’on présentait comme le gentil de l’humour français a voulu s’attaquer à la méchanceté? « Comme ces gens-là soit m’effraient, soit me font mal, soit m’agressent, j’avais envie de me venger et de les incarner sur scène pour les vaincre. » Une revanche sur la malveillance ambiante en somme. « Les gens qui pensent aujourd’hui qu’on ne peut plus rien dire et qui par là veulent dire qu’on ne peut plus être raciste ou homophobe tranquillement, ça m’agresse au quotidien. Et du coup, le fait de jouer une noble ou une bourgeoise qui parle à sa femme de ménage et qui dit les pires horreurs, ça me venge de ces gens-là. » La langue se veut plus acide, mais toujours avec une élégance qui transpire dans sa démarche, son phrasé, sa mise en scène. « Je n’aime pas l’humour méchant, le jeu de massacre. Si c’est pour tirer dans le tas, je n’aime pas ça, J’aime que ce soit précis, choisi. » Le piano à queue sur le plateau dit beaucoup de l’ambiance qu’il souhaite installer. Le costume –« italien« – aussi. Et puis il y a ce final, inattendu, fragile et puissant.
Jouer l’odieux, porter le masque du personnage, c’est ce qui démarque Vincent Dedienne d’une scène stand-up qui n’en finit plus d’essaimer. « Je viens du théâtre, il y a une notion de dramaturgie, de mise en scène, de corps qu’il y a moins dans le stand-up, avance-t-il. Le stand-up, pour moi, c’est l’art de la conversation, un art brillant de la conversation. Moi, c’est moins mon dada. Et puis le stand-up, c’est quelque chose qui est très connecté à l’époque. Et moi j’aime bien, quand on entre dans un théâtre, d’oublier où on est, qui on est, quel âge on a, à quelle époque on est. Ce qui me plaît moins, c’est quand j’entends parler le soir au théâtre de ce que j’ai entendu l’après-midi à la radio ou dans les conversations. Moi, j’aime quand même la fiction.«
En parallèle à son premier solo, Vincent Dedienne a gagné en popularité en télé (intégrant un temps la bande de Quotidien) et en radio (chroniqueur sur France Inter ou au sein des Grosses Têtes de Laurent Ruquier, producteur de ses spectacles). Son nom a même circulé pour une reprise du jeu télé Le Maillon faible. Encore un rôle de méchant. Mais c’est bien le jeu de la comédie qui reste sa première envie. Au théâtre bien sûr. On le verra dans une nouvelle création de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce l’année prochaine. Au cinéma, il a enchaîné les rôles pour Kervern et Delépine, Noémie Saglio, Marie-Castille Mention-Schaar ou Jean-Christophe Meurisse. Il aimerait travailler avec Joachim Lafosse, Valérie Donzelli ou Valeria Bruni Tedeschi. Ou donner la réplique à Isabelle Huppert. De la comédie au drame, du rire aux larmes. Le parcours de Vincent Dedienne n’est pas près de s’arrêter. ●
Un soir de gala, de Vincent Dedienne, le 10/04 à Wolubilis, Woluwe-Saint-Lambert, le 12/04 à la Maison de la culture d’Arlon et le 20/11 au Cirque Royal, Bruxelles.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici