Que voir à la Biennale de Charleroi Danse: le tour du programme avec Fabienne Aucant

Malón, d’Ayelen Parolin, une des propositions de cette nouvelle Biennale de Charleroi Danse
© Laurent Philippe/divergence-images.com

La Biennale de Charleroi Danse galvanise la rentrée culturelle. Multiple, riche de grandes formes et d’expressions plurielles, elle voyage entre Charleroi, Bruxelles et Liège. Tour d’horizons avec sa directrice Fabienne Aucant.

«Notre biennale propose des œuvres qui tournent autour des enjeux d’aujourd’hui, qu’ils soient politiques ou sociaux, annonce d’emblée Fabienne Aucant. La danse est un art qui propose un rapport au monde, qui parle à tous.» Et qui parle d’hier à aujourd’hui.

Réinventer

La directrice générale et artistique de Charleroi Danse pointe d’emblée un des spectacles d’ouverture de la biennale, Turning_Orlando’s version, d’Alessandro Sciarroni, «qui revisite les pointes». Le chorégraphe italien, amoureux de la répétition, y isole la pirouette sur pointe, s’interrogeant sur «ce qui se passe au fil des rotations répétées dans l’espace». Autre réinterprétation de classique, Taranto Aleatorio, flamenco contemporain, propose une investigation menée par la danseuse et chorégraphe María del Mar Suárez, (aka La Chachi) et la chanteuse Lola Dolores autour du taranto, style musical né dans la région minière d’Almería, en Espagne. Ou Mille et une nuits de Sorour Darabi, une performance pour huit danseurs avec de la musique live. L’artiste iranien transdisciplinaire revisite ce conte populaire dans «un spectacle à la fois opéra et installation plastique. La culture queer se réapproprie le mythe pour évoquer la résistance des corps rejetés », détaille Fabienne Aucant. Elle enchaîne avec le Sacre du printemps, pièce revisitée par Dewey Dell, collectif portés par les nièces et le neveu de Romeo Castellucci (Teodora, Demetrio et Agata) ainsi que Vito Matera. Une pièce tout public «belle visuellement, qui interroge la disparition des espèces, ou leur sacrifice, dans un discours contemporain des corps, mêlé de hip-hop.»

Lignes et ouvertures

Dans son ensemble, la biennale se déploie autour de fils directeurs forts. «Pour célébrer la danse lors de ces quinze jours de fête, souligne la directrice, nous avons fait appel à des artistes qui cultivent l’empathie et aiguisent la curiosité. Et ceci, dans un but unique: tisser des liens.» Fabienne Aucant enchaîne: «Malgré la brutalité du monde actuel, la mise en contact avec l’émotionnel, la sensation est essentielle. Surtout vu les risques réels d’anesthésie, de repli sur soi qui pèsent sur notre contemporain. Je veux remettre ce que la danse offre en plus, le sensible, la réflexion, l’empathie, au cœur de cette biennale et de Charleroi Danse. La curiosité est la richesse du festival.»

«Vu les risques réels d’anesthésie, de repli sur soi, le contact avec l’émotionnel est essentiel.»

Une curiosité enrichie par les partenariats, comme ceux avec les Halles de Schaerbeek, qui accueilleront Frames d’Alexander Vantournhout, dialogue entre cirque et danse contemporaine jouant sur la perception du public. Ou le Dambudzo de Nora Chipaumire, pour lequel les Halles ont reconstitué des shebeen, bars illicites zimbabwéens. «C’est un parcours plastique, une danse musicale de réflexion sur la colonisation. Avec une énergie de groupe percutante, parfois violente», poursuit Fabienne. Toujours à Bruxelles, le Kaai recevra Meg Stuart et Francisco Camacho, partenaires au long cours explorant ensemble le passé de la Sardaigne de Francisco, dans Steal You for a Moment. Liège accueillera le T’ façon on est en 2012, de Loraine Dambermont. C’est, après son solo Toujours de ¾ face!, le deuxième volet de sa trilogie Mes années bagarres sur les violences virilistes. La soirée se poursuivra à la Cité ardente avec Kassia Undead, spectacle dans lequel Lara Barsacq –artiste associée au Théâtre de Liège– poursuit ses recherches sur les figures féminines fortes et historiques, comme ici, Kassia de Constantinople, poétesse et musicienne du IXe siècle. «Une question existentielle sous-tend la démarche artistique chez Lara, souligne Fabienne. Ici, le deuil: comment rester connectés à nos morts?»

Mille et une nuit, de Sorour Darabi © Camille Blake

Ces pays qui sont les nôtres

Le chorégraphe belge Jan Martens ouvrira la Biennale de Charleroi Danse avec son Cancel Bertha, spectacle pour quatorze interprètes de la compagnie nationale de Norvège, Carte Blanche. L’artiste flamand avait ouvert la saison 2024 à Charleroi avec Voice Noise, magistral grand ensemble. Ici, il imposera encore son sens aigu de l’espace, dans «un rendu visuellement magnifique» (sic). «C’est intéressant pour des artistes de travailler sur ce type de commandes pour grands groupes, souligne Fabienne Aucant. Ça ouvre des portes.» Et d’évoquer Malón, d’Ayelen Parolin, pièce pour 23 danseurs du CCN-Ballet de Lorraine présentée en soirée composée avec Static Shot de Maud Le Pladec. Fabienne Aucant pointe aussi la pièce de Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre, Holobiontes  «…un travail mené avec Laetitia Bica, qui a imaginé l’univers visuel. Ensemble, ils ont travaillé sur les bactéries qui colonisent l’individu. Leur but? « Desanthropocentrer » la démarche artistique, travailler sur des formes qui évoquent le végétal, l’animal. Ce travail, très physique, rapproche le public du monde dont on est composé.»

Incontournable de nos scènes dansées, le duo Tumbleweed proposera Threshold, exploration de l’interdépendance: «Comment être seuls quand on est ensemble?» Un travail en corps-à-corps désynchronisé, différent de leurs précédentes recherches sur la continuité du geste. Eric Minh Cuong Castaing, autre habitué de Charleroi Danse, livrera Tarab, spectacle participatif de quatre heures pour interprètes issus de la diaspora palestinienne, égyptienne ou libanaise. Il sera proposé en deuxième partie de soirée vendredi au public adulte, dimanche après-midi aux familles. Effrayé par la durée? Il sera possible d’entrer et sortir du spectacle quand on veut. Pointons encore, en coproduction avec le Théâtre National, Combat des lianes (Zora Snake), immersion auprès des communautés Baka de l’ouest du Cameroun. Entre chamanisme et électro, la soirée pour sept interprètes se terminera en after-party aux Ecuries. Nacera Belaza proposera L’Echo en duo avec la comédienne Valérie Dréville, Nacera à la parole, Valérie dansant –elle l’avait déjà fait avec Jérome Bel. Lenio Kaklea, chorégraphe grecque, s’attaquera à la pensée écologique contemporaine et aux questions sur la disparition éventuelle du vivant avec Les Oiseaux. Enfin, Calixto Neto exposera en première mondiale Bruits marrons: sa rencontre, loin des pouvoirs dominants, avec l’univers de Julius Eastman, jazzman radical, noir et gay mort dans l’oubli en 1990.

Foisonnante proposition dansée, la Biennale de Charleroi Danse se veut une fête par et pour tous. Elle s’ouvrira en joie à l’issue de la (compagnie) Carte Blanche selon Martens et se clôturera à la fin du Delirious Night de Mette Ingvartsen (spectacle d’une heure entre danse de soirées désabusées et batterie percussive), avec un grand bal costumé et masqué en DJ set. Alors! Dansons, urgemment!

Biennale Charleroi Danse, du 3 au 18 octobre, à Charleroi, Liège et Bruxelles.

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