Le festival international des Brigittines fait danser la fin d’été au cœur de Bruxelles. Sa programmation à quatre mains traduit le passage de témoin entre Patrick Bonté, l’ancien directeur des lieux, et Charles Vairet, le nouveau.
Nommé en juillet 2024, Charles Vairet a pris ses fonctions en janvier dernier. Avec Patrick Bonté, son prédécesseur, ils se sont partagé la programmation de l’édition 2025 du Brigittines International Festival, «un croisement des goûts, des désirs et des engagements qui témoigne des sensibilités et des ponts entre [leurs] visions artistiques». Le tout frais directeur général et artistique l’affirme: «Ce qui me traverse, ce sont les enjeux d’humanité. La revendication n’est pas mon propos. J’estime que l’humanisme est politique. Je vais à la danse par la dramaturgie, pas par le concept.» Et de poursuivre en évoquant les grandes lignes de ce festival bicéphale.
Entrelacs et ouvertures
«L’ouverture, à la chapelle, sera un reflet de la vision artistique de Patrick Bonté avec All’Arme (Aux armes). C’est une recherche, en grande forme (NDLR: six artistes au plateau, le maximum possible pour la chapelle), sur le mouvement des formations collectives, comme les marches militaires. All’Arme, dans sa forme typique de danse contemporaine européenne, questionne le pouvoir.» Ses chorégraphes, Ginevra Panzetti et Enrico Ticconi, sont des habitués du festival et des Brigittines.
La clôture, elle, est signée Charles Vairet, avec Filles-pétroles, de Nadia Beugré. «J’ai pensé à elle très vite, dit-il. Avant les Brigittines, j’étais au Palais de la Porte Dorée, à Paris. J’y ai découvert Nadia et cette création, pour laquelle elle a rencontré Aya et Christelle, deux filles qui viennent comme elle d’Abobo, un quartier chaud d’Abidjan. Ces filles au plateau racontent aussi l’histoire de Nadia. Nadia vient de la contre-culture queer et s’intéresse aux dimensions de la politique raciale, qui touchent à la vie. Elle est traversée par les enjeux du mouvement. Filles-pétroles représente la révolte de ceux qui veulent vivre au-delà des carcans. C’est beau, touchant, drôle et puissant.»
Nonobstant (Association W/Jean-Baptiste André), proposé par Charles Vairet également, joue des codes de la danse. Le performeur, Jean-Baptiste André, est danseur autant qu’acrobate. Ici, il se déplace sur un sol meuble. «Tout le spectacle est traversé par l’équilibre (NDLR: sur les mains) et le déséquilibre. Il a été créé à Brest il y a six mois. C’est très théâtralisant.»
Monuments de la danse
Charles Vairet aime ça, étonner, proposer des formes qui sortent du quotidien dansé, qui ouvrent sur d’autres expériences de vécu esthétique. Comme avec Instante (Cie 7Bis/Juan Ignacio Tula). «C’est une courte forme, par un artiste danseur et circassien. Il utilise la roue Cyr comme un hula hoop et parvient à tirer une émotion vivante de sa proposition physique. Ce n’est pas une simple prouesse circassienne, c’est un usage à contre-emploi, comme une hypnose, avec une recherche musicale. Un spectacle qui s’éprouve.» L’artiste a confié sa technique à une autre danseuse, Marica Marinoni. Elle s’en empare dans Lontano, explorant les sensations de débordement, de désordre, d’essoufflement. La soirée, physique, sera ainsi composée des deux formes courtes autour de la roue Cyr.
Body Monologue (Anastasia Valsamaki), Stigma (Kitt Johnson/X-act) et Ghost (Luis Marrafa) constituent l’autre soirée composée du festival. «Kitt Johnson est un monument. Stigma a été créé il y a 25 ans et travaille sur la transformation formelle du corps. Aujourd’hui, c’est beaucoup exploité; à l’époque, c’était révolutionnaire. Dans la même soirée, on pourra assister à un « bonbon » de Ghost –huit minutes des 50 au total. Luis Marrafa y suit, en mouvements hyperrapides, une partition musicale, explorant la relation père-fils. Ses mouvements sont tellement rapides qu’on a parfois l’impression qu’ils sont deux sur scène. Quant à Body Monologue, proposé en première partie de la soirée, il s’agit d’un travail sur les membres et lignes du corps. « Un mouvement peut être aussi compliqué et simple qu’une pensée », affirme sa créatrice.»
Lors du festival, on pourra aussi (re)voir Philippe Saire, grand monsieur de la danse, avec Smoke. Il y fait «vivre la fumée. Il en reproduit la densité, la couleur, l’axe de diffusion, décrit Charles Vairet. L’histoire est celle d’un homme qui s’enfuit et se retrouve dans un monde où la fumée est partout. Il se démène dans quelque chose de totalement impalpable. C’est visuellement époustouflant.»
«Mon fantasme serait que les Brigittines ne soient remplies que de gens que je ne connais pas.»
Enfin, il y aura sans, de Martine Pisani, spectacle –«peut-être le seul vrai spectacle d’humour du festival»– créé il y a 25 ans, recréé aujourd’hui. «Ça fait sens avec la volonté de Patrick Bonté de montrer des monuments de l’histoire de la danse au festival.» Ce spectacle, ce sont «trois hommes qui dansent « sans ». Sans histoire, lumière, décor, musique, histoire ou conséquence. Juste dans l’instant. Un instant ténu qui concentre tout, intensifie tout.»
A l’arrivée, ce sont dix spectacles, dont cinq formes en deux soirées composées. Dix œuvres qui raviront ceux qui tiennent à l’image historique de la danse, souhaitent voir ou revoir des monuments et s’intéressent au formalisme essentiel du mouvement. Mais aussi ceux qui recherchent d’autres formes, un autre sens, une autre façon de dire, qui part du geste dans ce qu’il a parfois de plus pulsionnel. Bref, un festival comme un pont entre hier et demain. Et qui ouvre sur une nouvelle saison, et un nouveau visage pour les Brigittines. Sans en oublier l’histoire.
Brigittines International Festival, du 15 au 30 août, à Bruxelles.Une saison d’ouvertures
Dès septembre, on connaîtra la saison 2025/2026 des Brigittines signée Charles Vairet. Elle s’ouvrira en octobre sur le moment nocturne où tout peut basculer, danse-théâtre pour boîte en verre, How About Now de Hannes Langolf. Elle comportera aussi des rendez-vous renouvelés chaque année, tels Bandit! Bandiet!, festival pour enfants (et titre à crier) en janvier –«un essentiel pour soutenir les artistes qui font ce type de spectacle, et créer un vrai répertoire». Il y aura avant cela Brigitte en novembre, temps fort de la création francophone du moment. Le Live in Brigittines de décembre sera consacré aux créations in situ et cartes blanches, histoire de renouer avec la programmation à la commande. La musique live sera très présente et une commande a déjà été faite à Mercedes Dassy; et une carte blanche à un danseur street artist. Durant tout le mois de mars, le festival On the Edge sera le «moment du mouvement quand il se distord et celui des corporalités hors norme, souligne le directeur. Je suis inspiré de pop culture. Notamment la BD. D’ailleurs, le programme de la saison sera illustré par un artiste BD.»
Bref, le programme à venir des Brigittines est un programme ouvert sur le monde et le public, comme Charles Vairet espère les Brigittines de demain. «Mon fantasme serait que les Brigittines soient remplies, et que parmi tous les gens présents, je ne connaisse personne. Il y aurait des gens du quartier, des personnes peu habituées à la culture… A terme, je voudrais ouvrir la programmation à l’extérieur. Il existe une créativité folle dans l’espace public. Enfin, j’espère mélanger des personnes connues, et d’autres qui ne le sont pas du tout.»
Tout un programme, à découvrir, après le festival.