Pépée, une histoire sans chute dit le lien de l’actrice liégeoise Josépha Sini à sa mère, femme atypique, brillante et alcoolique. Un coup de force théâtral, bouleversant autant qu’hilarant.
Elle est en scène, flamboyance de la chevelure, silhouette allongée par une combinaison noire, santiags rouges éclairées derrière elle. Josépha entonne d’une voix chaude et cassée: «Ah que c’est bon de chier dans l’eau…» Pour le glamour, faudra passer outre la combi Cat’s Eyes, l’heure de Pépée, une histoire sans chute sera surréalistiquement drôle. Même s’il y a cette phrase: «Ma mère était alcoolique, elle en est morte.»
On est loin des poncifs attendus de ce genre d’autofiction: pas là pour s’apitoyer, donc. La mère, c’est Pépée, brillante avocate au barreau de Liège (spécialité: délits de roulage), systématiquement bourrée pour venir chercher Josépha à l’école: «Je reconnaissais son odeur à travers la cour» et sa démarche indiquait, selon le degré de titubance, son degré d’alcoolémie. Mais là où Josépha aurait pu tomber dans le pathos, elle impose talent et humour. Talent qui la transforme d’un souffle en Pépée, corps croulant, voix hésitante, commandant plusieurs taxis pour une seule course (mais n’oubliant pas de s’arrêter en chemin pour acheter du vin), roulant bourrée ou chantonnant cet air que sa fille ne reconnaît pas: «Ma mère était persuadée d’avoir l’oreille absolue […] En même temps, à 6,12 grammes, tout le monde a l’oreille absolue…!» Talent, aussi, qui la rend gamine fragile à doudou pourvue d’une chevelure splendide… couverte de poux: «C’était plus des cheveux, c’était un écosystème!». Ou gosse risée de ses camarades parce que Pépée l’a voulue pirate pour un annif «princesses», puis petite star quand la Pépée fière et vénérée vient l’y rechercher.
On est scotché par l’assurance vitale et le rire de Josépha Sini, qui a pu, grâce au soutien à l’écriture de Laurène Hurst, amie comédienne rencontrée au conservatoire de Liège, retrouver souvenirs, émotions, sourires et situations passées pour faire renaître sa mère, femme ébréchée mais aimée. Le rire de Josépha est son arme, sublime de lutte et dénonciation. «Parce que l’enjeu était aussi le tabou de l’alcoolisme. Moi, il fait partie de ma vie, je suis fière d’en parler. J’ai toujours raconté des histoires avec ma mère, déclare-t-elle dans un rire, encore. Je devais me couvrir quand j’étais en retard à cause d’elle. J’ai commencé tant d’anecdotes par « Ma mère m’en a encore fait une belle… »» Anecdotes tragi-comiques qui pliaient en deux ses amis, les larmes sous le rire, et dont Axel De Booseré, le directeur du Festival de Spa, lui dira un jour: «Il faut que tu en fasses quelque chose.»
Alors elle l’a fait, comme une déclaration d’amour et de vie. Comme un chemin vers elle-même. Comme cette Josépha à l’aéroport, décrite en fin de spectacle, traînant une valise énorme et sans poignée, écarlate et débraillée, courant entre portes d’embarquement et formalités post-Covid, mais bravant crânement l’équipage l’empêchant d’entrer dans l’avion. Sa filiation lui donne voix et voie, et ça se voit quand elle enfile enfin les santiags de celle qui lui a forgé un chemin. Celui à tracer, malgré tout. Avec le rire, tout au bout. Celui de Josépha, pas seulement fille de Pépée, mais gardant d’elle flamboyance et positivité. Parce que «Pépée, quand elle entrait dans le tribunal, même le juge plaidait coupable»! Nous aussi, on plaide coupable: on a adoré ce Pépée.
SCÈNES / SEULE EN SCÈNE
Pépée, une histoire sans chutede Josépha Sini et Laurène Hurst
En tournée à partir du 2 octobre partout en Wallonie.
La cote de Focus: 4,5/5