Le théâtre social de Mohamed El Khatib, à Bruxelles, Avignon et Paris

Mohamed El Khatib (ici dans son exposition aixoise en septembre 2024 pour Télérama): quinze ans de travail qui aboutissent à une exposition au Grand Palais à Paris.

L’écrivain, metteur en scène et comédien vient d’inaugurer Maison Gertrude, un centre d’art dans une maison de repos, tourne avec ses Vieux, et sera à Avignon après une exposition au Grand Palais, à Paris.

Mohamed El Khatib est né en 1980, en France. Famille marocaine, mère femme de ménage, père ouvrier, quatre frères et sœurs, carrière éclair de footballeur, puis études universitaires. Socio, Science Po et… géographie à Mexico. Avant son entrée en scène: Finir en beauté (Grand prix de littérature dramatique en 2016), sensible et percutante évocation de la mort de sa mère. Un spectacle qui pose les bases de son théâtre, intime, universel, documentaire. Mais comment expliquer un tel chemin? «Une série d’accidents, de rencontres…, dit-il d’emblée. Il n’y a pas de logique à mon parcours. Je ne voulais pas choisir entre lettres, histoire, philo.» Ce sera socio, «parce que la question du mépris de classe et des corps physiques et sociaux, fragilisés, me traversait». C’est sa «passion structurante», qui l’amènera à raconter le quotidien de gardiens de musée (Gardien Party), à dévoiler la vie d’une femme de ménage (Moi, Corinne Dadat), l’intimité de vieux (La Vie secrète des vieux) ou à investir des maisons de retraite par l’art. 

Les origines

Avignon, où il animait des ateliers pour ados lors du festival, est son lien indéfectible avec le théâtre. Son premier spectacle vu là-bas? La Chambre d’Isabella, de Jan Lauwers. Une révélation. «Je me suis dit que le théâtre pouvait être ce spectacle total, documenté. Avec les copains des Ceméa (NDLR: un mouvement d’éducation nouvelle), on a eu envie de poursuivre ça. Notre envie de théâtre est née de notre expérience de spectateurs.» Dont acte: Zirlib, sa compagnie, voit le jour en 2008.

Le déclic suivant? Bruxelles et une résidence d’écriture à L’L, qui accouche en 2013 de Finir en beauté. «Un tournant. Michèle Braconnier, la fondatrice, m’a aidé à trouver mon théâtre, la forme au plus proche de ce que je voulais raconter. Ça ne pouvait se faire qu’avec du temps, et l’éloignement de l’impératif de production, qui devient de la reproduction.» Alors naît un théâtre d’une «esthétique politique». «On ne fait pas de l’art pour l’art. Il faut imaginer un geste artistique social et sensible. Voir comment, concrètement, cela transforme les participants, s’intéresser aux angles morts, faire émerger une parole qui n’apparaît pas dans l’espace public. J’essaie d’aborder les sujets qui me viennent de la manière la plus naïve possible. Je dois lutter contre moi, entendre une parole différente, construite autrement… Je souhaite me réapproprier le théâtre documentaire.» C’est sa façon de s’inscrire contre le théâtre bourgeois, «fait d’histoires qui ne nous concernent pas». 

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Et d’évoquer un spectacle marquant, Moi, Corinne Dadat, ou l’histoire vraie d’une femme de ménage, qui joue son rôle. «Ce spectacle est né de sa rencontre, bouleversante. Elle m’a permis de lier questions sociales et esthétiques.» Sur scène, Corinne, dont «le corps est le diplôme», est face à une danseuse. Mais l’esthétique n’oublie pas l’humour, essentiel pilier critique et analytique, en filigrane des spectacles de Mohamed El Khatib. «Je ne veux pas faire semblant. Je veux jouer avec le réel, insiste-t-il. Je veux me réapproprier le combat politique de manière joyeuse, et susciter le désir. Désir du public et de celui qui est sur scène.»

«Je veux faire des personnes en scène des acteurs de leur vie.»

De la scène à la salle

Son désir à lui? Des classes populaires au théâtre! Pour ça, il fait «entrer le public par la scène». «On dit qu’il faut faire venir les classes populaires au théâtre. Je n’ai jamais cru à ça. Il ne faut pas les faire venir en salle et leur dire la messe, mais qu’ils mettent en forme leurs propres histoires.» Sur ses plateaux, des acteurs non professionnels, rencontrés parfois par hasard, comme Corinne. «Je veux faire des personnes en scène des acteurs de leur vie. Sans intermédiaires, sans représentants.» Le tout dans une esthétique sans faux-semblant. C’est souvent âpre, simple, sans fioritures. Quelques sièges, ou éléments significatifs, et les corps qui (se) racontent.

Comme pour La Vie secrète des vieux, imaginé pendant le Covid, alors qu’il voyait douloureusement les anciens être abandonnés. Le casting? Des petites annonces dans les programmes de pièces. Ou Maison Gertrude, maison de repos du CPAS, dans le quartier des Marolles, à Bruxelles, transformée en maison d’art sous son commissariat artistique, projet porté par le Théâtre National où il est artiste associé. Un lieu, voulu pérenne, qui s’anime lors de résidences d’artistes, qui créent au milieu et avec les résidents. «Il y aura trois ou quatre artistes invités et un nouveau commissariat par an. Je souhaite que ça devienne un tiers-lieu, ouvert au public toute l’année (NDLR: la prochaine visite guidée aura lieu le 26 juin, à 15 heures)Mais comme pour toute aventure de ce genre, il y a des difficultés, poursuit l’artiste rêveur. Pour les vieux, on a tendance à créer des catégories qui les enferment. Il faut trouver des partenaires d’idées folles.»

La Vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib/collectif Zirlib.

Enfin, il y a le neuf en gestation. Dont Israel et Mohamed, duo documentaire et dansant avec la star du flamenco Israel Galván, créé cet été à Avignon. Un spectacle sur les pères. «Après avoir consacré toute ma vie à ma mère, ici, j’évoque le père déçu, déchu. La génération de père peu bavards, qui ne disent que peu l’émotion, très exigeants. Que fait-on de cet héritage-là?» Le spectacle est né de la rencontre des artistes. «On a accroché et pensé un spectacle total, de stand up, danse –pour la première fois!–, film, théâtre. Mais on est hyper à la bourre…» Verdict le 10 juillet, et jusqu’au 23, au Cloître des Carmes.

Il y a aussi la rétrospective Grand Palais de ma mère, une exposition au Grand Palais, à Paris, du 13 au 29 juin, augmentée de représentations de spectacles marquants. «L’aboutissement de quinze années de travail. Ça ferme une page, comme un petit enterrement. Ça va laisser la place à autre chose. J’ai moins envie de faire des spectacles; je suis fatigué. Je voudrais me consacrer à des projets qui lient.»

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