La danseuse, chanteuse et chorégraphe Mercedes Dassy présente en décembre sa carte blanche aux Brigittines. Une respiration après une période intense de création, et avant une année 2026 de mises au point et pauses. Entretien et perspectives.
On l’avait rencontrée à la sortie de ses aventures lyonnaises, pour son déménageant deepstarias bienvenu•e•s ((re:›, créé pour et repris par le ballet de l’Opéra, et de Spongebabe in LA (4 Love et Anxiety), voyage chorégraphié au cœur de la maternité punk mais douce (voir aussi à ce sujet son interview dans l’émission Tracks). Elle nous confiait alors que le travail qu’elle avait pu réaliser avec le ballet de l’Opéra de Lyon, en peu de temps et avec ce qu’elle était, augurait des créations à venir. Dont cette carte blanche aux Brigittines, proposée par la nouvelle direction de la maison. «Les Brigittines est un théâtre dans lequel je ne travaillais pas, ce n’était pas ma famille artistique.» Jusqu’à la proposition de Charles Vairet, et son amour de la musique et des formes hybrides. «Il a compris que je faisais aussi de la musique! Dans mon art, il n’y a pas que la danse. C’est mon point de départ, mais je travaille autant les costumes, l’univers visuel… Je ne bâcle pas les corps, ils sont à égalité avec la musique.» Un pari gagnant pour cette carte blanche Live, avec la DJ et danseuse Yasmina Tayoub, aka Gem&I.
On retrouve Mercedes Dassy, formée à la Salzburg Experimental Academy of Danse, ex-interprète de Lisbeth Gruwez, Leslie Mannès, polymorphe assumée, alors qu’elle est en répétition dans la chapelle des Brigittines. Depuis son septembre lyonnais, elle a enchaîné en joie et labeur, énergie et enthousiasme. Sérénité, aussi. Même si elle a «beaucoup, beaucoup de choses pour le moment» et qu’elle est «impatiente que 2025 se termine, impatiente d’être en 2026», année de pause, comme elle nous le confie d’emblée, alors qu’elle est à la veille de s’envoler pour Athènes, où elle présente un nouveau travail autour de sa musique, au MIRFestival.

Car ces derniers mois, il y a aussi eu le festival Actoral à Marseille, en octobre, pour Spongebabe in LA, qu’elle a repris également devant les professionnels du secteur à Objectif Danse (Bruxelles). Elle fut encore, cet automne, conseillère chorégraphique pour Britney Bitch, de Paola Pisciottano (au Varia) ou support artistique, chorégraphique et dramaturgique pour POV, de Justine Theizen (Atelier 210). Le tout à côté de ses collaborations musicales avec Maxime Pichon, pour heartbreakingheartbrokenartbreak (MIRFestival) et pour son EP, qu’elle travaillera en studio à Bruxelles en fin d’année. Pour respirer seule, il faudra attendre 2026.
Travail sur le care
«Cette charge de travail est très excitante. Mais au milieu de ce parcours, j’ai dû me désengager de ce que je pouvais pour continuer.» Voilà alors Mercedes dans un mood plus calme pour ce qui reste. Dont cette carte blanche, à la préparation baignée dans «beaucoup de douceur, d’écoute». Et d’enchaîner: «Je sens qu’il y a énormément d’émulation autour de moi. On me sollicite beaucoup, et c’est génial. Mais je ne peux pas tenir sur le long terme. J’ai envie de faire un gros travail sur le care, la douceur.» Alors elle se pose déjà. Pendant sept jours aux Brigittines, elle a appris encore à faire avec ce qui est déjà là, son travail fou fait en amont. «Ces performances créées en timing court obligent à se baser sur ce qu’on est. On cueille les fruits du travail, on n’est pas dans l’absolue nécessité de nouvelle production. Par exemple, pour la scéno, j’ai repris le grand lit de Spongebabe. C’est génial de réexplorer les choses. De se dire: il y a ça, ça, faisons avec. C’est l’aboutissement d’un gros travail de maturation personnelle et professionnelle.»
Concrètement, cette carte blanche devait se construire autour d’un live musical d’une artiste invitée par Mercedes Dassy, Yasmina Tayoub. La proposition a évolué. «C’est une amie qui m’a parlé de Yasmina, et elle connaissait mon travail. Elle m’a joué de la musique quand j’étais enceinte, pour que je puisse danser. On a créé une complicité artistique, on est devenue amies, il y a une grande intimité entre nous. Ça se retrouve sur le plateau, on est toutes les deux dans ce grand lit dans lequel j’étais désespérément seule pour Spongebabe. Yasmina a créé un mix musical à partir d’une playlist imaginée ensemble. On déploie notre relation sur scène, une relation qui peut être pyjama-party, repos entre deux amies, début d’une histoire d’amour… avec beaucoup de rires. On est très connectées. Comme avant une fête.» Et plutôt dans un duo dansé que dans un live performé.
Energie
On lui fait remarquer qu’elle fait beaucoup sur scène: danse, chant, jeu… Comment gère-t-elle tout, physiquement? «Je ne suis pas trop dans la technique, je ne m’échauffe presque pas. J’ai juste une série de pratiques physiques avant de me mettre en mouvement. Quand j’ai la gorge qui gratte, je repense à ce que ma prof de chant m’a dit, mais pas vraiment avec une méthodologie stricte. Mon échauffement, c’est la vie, le transport de décors, le multitâche… et l’adrénaline! Depuis septembre, je me suis retrouvée. J’ai retrouvé une estime de moi que je n’avais peut-être jamais éprouvée. J’ai retrouvé du plaisir parce que je me sens moins en imposture. Je débloque de l’énergie, ça contrebalance le stress. Ça aide à chanter, à danser. En fait, j’ai traversé des états émotionnels tellement intenses que j’ai dû développer des outils personnels pour équilibrer ma vie. Dans la méditation notamment, je comprends qu’il y a un flux corporel qui a besoin d’aller et venir. C’est une hygiène spirituelle, je coupe les stimulations extérieures et il y a de la place pour ce qui se passe dans mon corps.»
Puis on aborde 2026. «J’ai besoin de me reconcentrer sur mes envies. Prendre le temps d’envisager la suite: un temps d’arrêt essentiel! Il faudrait professionnaliser ces temps de recherche, les pérenniser, les penser. C’est politique de le dire. Même si je parle de l’endroit d’une artiste qui travaille beaucoup, qui n’a pas eu de période creuse depuis longtemps.» Se «pauser», pour« rompre avec ce qu’il faut. Mais rester en cohésion avec ce qui doit». Pour avancer. Vivre. Et danser, forcément.
Carte blanche, Live in Brigittines, Mercedes Dassy invite Gem&I: soirée composée avec Vincent Glowinski & Vincent Guibert, du 11 au 13 décembre, aux Brigittines, à Bruxelles.