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Hofesh Shechter fait danser à l’unisson: «C’est la beauté et la musique qui reconnectent»
Chorégraphe et musicien né à Jérusalem, Hofesh Shechter vit à Londres et a la double nationalité israélienne et allemande. Batteur, il insuffle à ses spectacles une énergie et une rigueur musicales et transcendantales. Theatre of Dreams, sa dernière création, est présentée à La Louvière.
Pour nous, il y a eu une première rencontre. C’était Clowns, spectacle sur la vie et la mort, tragédie comique en mouvement, macabre –mort et désir–, esthétisée au millimètre. Puis il y a eu son travail pour En corps, film de Cédric Klapisch où une danseuse de classique blessée part se refaire une vie, pense-t-elle, loin de la danse, dans un trou paumé de France. Sauf que dans ce refuge qu’elle a choisi, une troupe de danseurs est en résidence de création. Cette troupe est dirigée par Hofesh Shechter, qui joue son propre rôle dans le film et est le metteur en scène des chorégraphies qui y sont dansées et qui feront renaître à la vie et au corps l’héroïne.
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On retrouve Hofesh à la Maison de la danse à Lyon, où il a ses habitudes. C’est le lendemain de la première de Theatre of Dreams, sa dernière création, qui sera présentée chez nous à la fin du mois, le spectacle étant coproduit par C’est Central/ La Louvière. Un spectacle magistral, tiré au cordeau. La maîtrise de l’esthétique du mouvement et du plateau est totale –ce qui parfois, oserons-nous avancer, empêche une certaine libération d’émotions. Mais pour l’heure, il est temps de débriefer le spectacle, magistralement interprété. On le suit donc, Hofesh, dans les labyrinthes de l’arrière-scène de la MAD lyonnaise. Lui, thé à la main, pressé avant une conférence d’une heure et demie qui suivra notre interview, mais détendu et confiant suite à la première de la veille, prometteuse. D’emblée, il nous confie que son travail vise non à imposer, mais à donner à voir. Donner à voir ce qui ne se dit pas. Donner à voir ce que nous faisons ou essayons de faire ensemble. Nous, les humains.
Au début
Cette dernière création, Theatre of Dreams, il l’a d’abord abordée par la poésie. «J’ai pensé à ce que la poésie pouvait apporter, ce qu’on pouvait en apprendre. Ce n’est pas seulement la beauté de la nature, mais c’est quelque chose qui arrive avec la nature. La poésie est très culturelle. Alors que la beauté, c’est ce qu’on voit, non?»
Ce fut donc sa première étape, la pensée dans sa complexité, comme une ébauche. Puis très vite, il s’intéresse aux rêves. Parce que «le rêve, c’est ce qu’on veut, ce qu’on souhaite, mais aussi ce qu’on pense. Ça se passe pendant notre sommeil, alors que nous ne sommes pas vraiment conscients. Mais aussi quand on est réveillé.» Le rêve devient alors souhait, et dépasse l’état de sommeil. Et Shechter de développer: «Les rêves, et donc le cerveau, c’est une dramaturgie. C’est une exploration des choses. Le théâtre est la scène de tout cela. Le théâtre, la scène, comme représentation du cerveau qui permet les rêves.» Ce sera son Theatre of Dreams.
Je viens d’une culture où la danse est une manière de connecter les gens, sans jugement moral.
Rythmes en corps
Mais tout ceci reste un peu abstrait, dit comme ça. Alors que ce qui fait la force du travail de Shechter et de sa compagnie, c’est le souci apporté aux corps. Hofesh, musicien-batteur, insuffle une dynamique rythmique à ses créations. Pour Theatre of Dreams, il a travaillé sur le corps dans le folklore et l’apparence. Revenant à la moëlle de son projet, il explique que la fin du rêve est comme la fin d’un voyage, un gap entre ce qu’on a rêvé et la réalité. Que la narration peut être bonne comme falsifiée –«On voit toujours ce qu’on peut». «Travailler sur le folklore et les danses primaires, dit-il, c’était retravailler ce lien entre la narration qu’on se fait et la vérité. Le lien entre ce qu’on dit et ce qui est.»
Puis la conversation glisse forcément vers l’instrument des danseurs et chorégraphes: le corps. «Le corps est l’instrument parfait pour dealer avec les choses qu’on ne parvient pas à dire, avec les choses compliquées de la vie. C’est la vérité absolue.» Et ce corps qu’il met en scène de manière si parfaitement ajustée nous fait dévier sur un sujet qu’on ne pensait pas nécessairement aborder: la politique. Pour rappel, Hofesh, israélien et allemand, vit à Londres. On s’interroge ensemble sur les événements géopolitiques actuels, et sur la façon dont ils peuvent influencer un créateur né à Jérusalem. Et là, encore, Hofesh Shechter en revient au corps. A ces corps, tous différents, sur scène, qui pourtant portent un projet commun et agissent, dansent dans une parfaite harmonie, à l’unisson. «Il y a une liberté de chaque corps, mais en même temps, l’essentiel dans mon travail chorégraphique, c’est qu’ils soient vus comme un ensemble. Je viens d’une culture où la danse est une manière de connecter les gens, sans jugement moral. Il existe une complicité sur le pouvoir du groupe.»
C’est sans doute cela qui fait la force du travail de Hofesh Shechter: donner à voir, à entendre, à sentir, l’union dans la différence. Même parfois trop millimétré, son spectacle est total d’ensemble et de dons. De force des corps et d’existences différentes, qui font harmonie ensemble. Parce que faire corps, ensemble, c’est partager une expérience essentielle. «C’est la beauté et la musique qui reconnectent. Ça parle à partir du ventre, poursuit le chorégraphe. Les spectateurs font aussi communauté, malgré leurs différences. Il faut nourrir le sentiment d’être connecté. On a besoin de vivre en harmonie.»
Et quand on assiste à un spectacle comme Theatre of Dreams, on ne peut ne pas voir l’incroyable force d’un collectif –criant, chantant, dansant– constitué de gens différents. Voilà en quoi le corps, le cœur et la danse sont politiques. Immensément. Pour un théâtre de rêves, les pieds ancré au sol.
Theatre of Dreams, du 19 au 23 février, à Central, La Louvière.
La cote de Focus: 4/5
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