Danse: Michèle Noiret seule en scène dans Up Close!

Avec Up Close!, Michèle Noiret remonte seule en scène pour un spectacle qui traite de la maturité du corps. © SERGINE LALOUX
FocusVif.be Rédaction en ligne

Depuis 40 ans, la chorégraphe Michèle Noiret met en mouvement les questions du monde et celles plus intimes. Avec Up Close!, l’artiste remonte seule sur scène pour une évocation sensible de ce qui l’a construite. Des valeurs qu’elle souhaite transmettre aux nouvelles générations.

Pour Michèle Noiret, 2025 commence avec une conjuration du mauvais sort. En avril de l’année dernière, elle se blessait lors de la première de son seule en scène Up Close!, aux Brigittines. Elle terminait toutefois l’unique représentation des cinq prévues, sous les applaudissements avant une inévitable revalidation. Une cruelle ironie pour un spectacle qui traite de la maturité du corps, celui que l’on a entraîné pendant 52 ans. «Avec Up Close!, je dénonce entre autres les diktats du jeunisme, et que ce n’est pas parce qu’on a atteint un certain âge qu’on doit être poussé vers la sortie!», confie la chorégraphe, assise dans son studio bruxellois où elle répète son solo. «Je continue de le travailler, de le peaufiner», confirmant –si l’on osait en douter– une insatiable envie de créer.

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«Avec l’expérience de l’âge arrive un certain lâcher-prise, un abandon sur scène que je n’avais pas il y a quinze ans. Le corps est plus fragile, mais aussi plus intelligent. Jeune, on déborde d’énergie, de puissance musculaire, on a envie de tout explorer, de tout absorber comme une éponge, ce qui empêche parfois d’aller à l’essentiel. Avec le temps, les choses deviennent plus fluides, plus évidentes. Le corps a été entraîné pour obtenir cette finesse. J’ai toujours aimé la compagnie des personnes âgées, en les observant on découvre une vraie beauté qui émerge de leur maturité, les connaissances se sont sédimentées et sont plus à même d’être partagées. Il y a aussi une envie de générosité et cette faculté d’abandon de soi qui m’était plus difficile dans le passé. De toute façon, il n’y a plus rien à perdre maintenant (rires).»

Coup de gueule

Par le mouvement, le son et les mots, Michèle Noiret convoque dans son spectacle des artistes rencontrés ou admirés. On croise notamment Trisha Brown, Monica Vitti, Marguerite Duras, Karlheinz Stockhausen. Souvent inséré dans les créations de l’artiste bruxelloise, le texte qui se mêle à la chorégraphie est particulièrement présent ici et affine un portrait multifacette de celle qui est la fille du poète et écrivain Joseph Noiret, cofondateur du mouvement CoBrA. «J’ai toujours été nourrie par les mots. Ce qui me plaît dans la forme du solo est de ne pas devoir poser les mots trop vite sur des idées encore floues. Seule, je peux les tester, me perdre, accueillir des bifurcations qui m’emmènent ailleurs, sans devoir trop tôt réduire le champ des possibles. Dans Up Close! il y a de la légèreté, de la tendresse, mais je mets aussi des choses à plat et pousse des coups de gueule sur la société.»

«Avec Up Close!, je dénonce entre autres les diktats du jeunisme.

Michèle Noiret

Quand Michèle Noiret fait allusion à la suppression, en 2023, de plus de 40% de la subvention de sa compagnie, elle sourit, dépitée. «Cela entrave tous les projets d’envergure, et c’est malheureusement l’image que donne la Fédération Wallonie-Bruxelles, un manque d’ambition et un mépris total pour les artistes qui la représentent, car je ne suis pas un cas isolé. C’est aussi l’ignorance de la part des instances chargées de l’attribution des subventions. On ne peut que souhaiter que les choses évoluent autrement!» Une injustice incompréhensible à l’égard des quatre décennies d’un travail d’excellence et d’exigence porté par une artiste au rayonnement international. Ce n’est pas pour autant qu’Up Close! est empreint d’amertume, tout au contraire. II y a aussi de la joie, de la dérision, du détachement, de l’humour et beaucoup d’énergie.

Transmission

«Le partage et la transmission, tout comme l’admiration, sont des valeurs fondamentales, qu’il m’importe d’entretenir.» Dans le cadre des conférences dansées organisées par Charleroi danse, Michèle Noiret évoquera en février son parcours, ses collaborations avec les compositeurs Karlheinz Stockhausen ou Todor Todoroff, sa «danse cinéma» forgée par la culture du détail, l’invention des personnages chorégraphiques, et son attrait pour les outils technologiques… «La danse cinéma est un travail de collaboration, de recherches où surgissent des constructions que, seule, je n’aurais pu inventer. Quand je me replonge dans les créations passées, je suis parfois surprise, comme si je découvrais le travail de quelqu’un d’autre où je me reconnais totalement. Je suis frappée par la cohérence de toutes mes pièces, sans répétitions, mais d’où ressortent des fils conducteurs. La création est aussi faite d’une part d’inconscient, d’imprévus, d’accidents parfois formidables et surtout de ce qui nous échappe, ce sont de merveilleux cadeaux que l’on reçoit.»

Nicolas Naizy

Up Close!, du 23 au 25 janvier aux Brigittines et le 11 février à Charleroi danse-La Raffinerie, à Bruxelles.

Michèle Noiret, 40 ans de création chorégraphique, conférence dansée le 13 février à Charleroi danse-La Raffinerie, à Bruxelles.

Elégie du monde liquide

En 2025, janvier et février rimeront bien avec Noiret: avant Up Close!, le public pourra (re)découvrir Le Chant des ruines à Bruxelles. Cette pièce de danse cinéma pour cinq danseurs, créée en 2019 avec David Drouard, pose sur scène la finitude de notre monde et ses tremblements. «Le Chant des ruines comporte dès son titre une forme d’espoir mais aussi d’effondrement. Je voulais parler de l’éloge de la fuite et de ce monde « liquide », cher au philosophe Zygmunt Bauman, où tout va tellement vite qu’on a du mal à se raccrocher aux choses, et à  prendre le temps d’y réfléchir. Sur les réseaux sociaux, on scrolle mais rien ne s’imprime en nous. Cohabitent alors ces sensations de surabondance et de vide», explique la chorégraphe.

Un paradoxe marqué sur le plateau par une apparente simplicité scénographique: alliance de plaques de carton et de fine technologie. Réflexion sur les défis de notre temps, esquisse d’une démocratie qui vacille, d’un environnement en déroute, interrompu un temps par la fermeture des salles de spectacle due à la pandémie de Covid, Le Chant des ruines fut prémonitoire avec ses danseurs un temps masqués. Il se veut plus que jamais d’actualité.

 Le Chant des ruines, les 17 et 18 janvier aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles.

 

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