Critique scènes: Girls and Boys ou l’horreur au bout du récit
Dans Girls and Boys, l’auteur britannique Dennis Kelly nous rappelle que l’horreur débarque là où on ne l’attend pas. Après le mémorable Mademoiselle Agnès en début de saison, France Bastoen, seule en scène, signe une nouvelle performance.
Ça commence comme une mauvaise comédie romantique que nous relate le personnage France Bastoen. Dès les premières répliques de ce solo, elle nous dit que la première fois qu’elle a vu celui qui allait devenir son mari, elle savait qu’il ne lui plaisait pas. Mais n’écoutant que sa jeunesse -celle d’avoir laissé un boulot chiant pour un tour du monde- de s’embarquer, si pas dans l’avion qu’elle attendait alors, dans l’aventure amoureuse qui allait pourtant la combler plusieurs années.
Dans le décor immaculé anonyme baigné dans un bourdon sonore continu, cette femme va nous raconter comment elle a construit sa carrière, l’arrivée de ses deux enfants, l’évolution de sa relation avec son époux – que l’on devine aussi espiègles qu’adorables dans de courtes scènes du quotidien. Son récit est cash, sans faux-semblant, de cette honnêteté qui n’essaie pas d’enjoliver le tableau, mais qui ne l’assombrit pas non plus. Il se vernit juste des années qui passent.
France Bastoen saisit bien le ton de son personnage. Fréquemment joué sur nos scènes (Orphelins, L’Abattage rituel de Gorge Mastromas, Taking Care of Baby…), l’auteur britannique Dennis Kelly construit cette femme en évitant les poncifs. Elle s’est construite suivant ses envies, ses ambitions. Elle apparaît épanouie dans son travail, et dans son rôle de mère, même si ce n’est pas facile tous les jours. Mais quand on connaît le dramaturge, on sait que le noir et le rouge nous attendent au tournant. Vous dévoiler le tournant du récit serait criminel. À la fin de la représentation de Girls and Boys, on se surprend à tenter de retrouver les signes annonciateurs du malheur. Son but: nous forcer à ouvrir les yeux sur ce qu’on ne souhaite pas voir, saisir l’horreur intime du fait divers. Pressions sociale, morale, sexiste? Tout en évitant la pièce à thèse, il pose au spectateur -quasiment pris à partie par la narratrice- la question du prix de l’épanouissement de cette femme.
Sachant nous faire passer du rire à l’effroi avec une économie de moyens, la comédienne trouve ici un nouveau grand rôle cette saison, après avoir tenu celui d’une misanthrope contemporaine dans Mademoiselle Agnès de Rebecca Kricheldorf mis en scène par Philippe Sireuil. Jean-Baptiste Delcourt lui construit ici un sobre écrin millimétré pour faire jaillir le drame.
Girls and Boys, de Dennis Kelly, mise en scène de Jean-Baptiste Delcourt. Jusqu’au 26 février au Théâtre des Martyrs.
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