Nous les avions découverts en avant-première cet été à Avignon. Ces spectacles, incontournables, illumineront les scènes belges dans les prochaines semaines. A vos agendas!
1. When I Saw the Sea, d’Ali Charhour
Si le coréen sera la prochaine langue invitée au Festival d’Avignon en 2026, l’arabe a réussi à conquérir le cœur des festivaliers cette année –même si Tiago Rodrigues affirmait lors de la conférence de presse de clôture qu’il aurait «voulu plus de spectacle en langue arabe»– notamment avec le sublime When I Saw the Sea, d’Ali Chahrour, où l’amharique, l’anglais, le chant et la danse ont aussi leur place –le surtitrage en français aide à la compréhension. Il porte au plateau trois éthiopiennes immigrées au Liban, prisonnière de la kafala, un système d’exploitation des travailleurs, qui ne peuvent se déplacer que de façon limitée et dont le salaire est lui aussi réduit. Un cri puissant contre l’esclavagisme moderne.
A voir du 9 au 11 décembre aux Tanneurs, à Bruxelles.2. Laaroussa Quartet
Le monde arabe est également à l’honneur avec Laaroussa Quartet, des frère et sœur Sofiane et Selma Ouissi. Une création chorégraphique et chantée qui explore les gestes ancestraux des potières de Sejnane en Tunisie. Ceux-ci, utilisés dans les chorégraphies comme matière première, fragiles et puissants, deviennent «mémoire corporelle, enjeux de transmission et relation singulière à la terre».
A voir le 28 janvier 2026 à La Raffinerie, à Bruxelles, et le 30 janvier aux Ecuries, à Charleroi.
3. Israel et Mohamed
Certes en français d’un bout à l’autre, le très percutant Israel et Mohamed s’inspire, sur le fil de l’humour, des émotions et du mouvement, des vies de ses protagonistes de chaque côté de la Méditerranée: Israël Galván au flamenco, fier et peu bavard, et Mohamed El Khatib au verbe acide, provocant, et gestes sportifs, pour évoquer cette difficulté à se présenter tels qu’ils sont devant leurs pères. Ils «révèlent les non-dits et les silences familiaux. A travers des souvenirs revisités, ils interrogent avec humour la place des parents dans un parcours d’artiste.»
A voir du 26 au 30 novembre au Théâtre national, à Bruxelles.Lire aussi | Festival d’Avignon: bilan à la mi-temps
4. Nôt
Le spectacle d’ouverture du festival dans Cour d’honneur, l’extravagant et dérangeant Nôt, par la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas, tournait, nous avait-on dit, autour des Mille & une nuits et ses horreurs. Sans doute. Il imposait surtout la grammaire des corps en excès et contorsion de l’artiste cap-verdienne, la nouveauté de visages parfois couverts d’un masque de porcelaine, la bande-son mêlant opéra et rock sublimée par les corps-athlètes et l’explosion de rages et de peines. Il faudra encore un peu de patience pour le découvrir chez nous, dans une version épurée. Patience!
A voir du 14 au 17 mai au Kunstenfestivaldesarts, à Bruxelles.5. Delirious Night
C’est à une autre nuit qu’invite Mette Ingvartsen, chorégraphe d’origine danoise dont la compagnie est située à Bruxelles. Son Delirious Night est chaotiquement organisé, explosion de colères, batterie percussive et entêtante (Will Guthrie aux manettes), corps dansants exubérants aux masques de squelettes ou animaux et aux torses dénudés, tantôt jouisseurs, tantôt en douleur. Un spectacle à l’esthétique de fête, entre euphorie et destruction. Le décor est tel une fin de boum sous néons fatigués au son percutant de basse. Le spectacle est comme un cri d’une heure, qu’on peut voir joyeux, puis qui se perd en douleurs, corps saccadés et électrisés, pauses lascives et sexuelles, sauts et va-et-vient. Le tout, maîtrisé. On y voit les bals des fous du Moyen Age, l’exaltation des peurs et des violences. Mette Ingvartsen s’inspire en réalité de l’épidémie de danse de Saint-Guy, pour une chorégraphie débridée et noire qui n’en oublie pourtant pas l’exaltation de la danse touchant parfois au paroxysme jubilatoire. Il faut cependant aimer l’excès rangé et le son poussé (des bouchons sont fournis) jusqu’à plus soif, pour apprécier à sa juste valeur ce moment débridé. La pièce divise, donc.
A voir les 1er et 2 octobre au Viernulvier, à Gand; le 18 octobre à la Biennale de Charleroi Danse et le 13 novembre au Next Festival Leietheater, à Deinze.6. Every-body-knows
Dans un tout autre genre, le belgo-tunisien Mohamed Toukabri livrait à Avignon, avant une longue tournée belge, son Every-body-knows-what-tomorrow-brings-and-we-all-know-what-happened-yesterday. Soit un seul-en-scène comme un plaidoyer des corps qui disent tout, et veulent parfois garder leur vérité. L’artiste, né à Tunis, a étudié chez nous, à l’école de danse contemporaine Parts. On avait pu applaudir l’an dernier aux Tanneurs sa délicate et sublime composition familiale, The Power (of) The Fragile. Il y évoluait sur scène avec sa mère –dont il a été séparé durant des années– dans un touchant duo autobiographique autant qu’universel. Dans Every-body-knows…, seul, il livre une partition dansée glissant de l’exigence du classique à la technicité tendue du hip-hop sans faux pas. Il explore l’histoire des corps, de la danse et de l’identité, sur les mots projetés sur fond de scène de l’artiste tunisienne Essia Jaïbi, dans un défilé de costumes justement pensés. Il sonde de nouveau les questions de mémoire et d’identité, mêlant sa petite à la grande histoire. Un tour de force qui n’en a pas l’air, physique, réflexif et puissamment jubilatoire.
A voir le 20 septembre au Kaap, à Brugge-Oostende; les 23 et 24 octobre au Beursschouwburg, à Bruxelles; les 29 et 30 octobre au Viernulvier, à Gand; le 5 novembre au Theater Antigone, à Courtrai; le 20 novembre au Corso, à Anvers, le 22 novembre au CC, à Sint-Niklaas; le 27 novembre au CC De Factorij, à Zaventem et du 24 au 28 mars 2026 au théâtre Les Tanneurs, à Bruxelles.7. La Distance
La Distance, de Tiago Rodrigues, s’annonce une seule fois chez nous, mais on espère d’autres reprises. Le dramaturge portugais donne à voir un délicat dialogue entre un père –médecin coincé sur une Terre qui part à vau-l’eau, quelques années plus loin que nous en dérèglements climatique et politique– et sa fille, partie sur Mars s’inventer une vie meilleure. Une dystopie simple et tragique, un texte essentiel, un spectacle de tournoiements psychiques et physiques, les comédiens étant placés sur un plateau tournant, dont le rythme s’accélère au fil de la montée dramaturgique. Simple et éclairant, entre constat atterrant et espoir, La Distance montre un père –parfait Adama Diop, habitué des scènes de Rodrigues– en proie à son discours intérieur tourné vers les souvenirs, et Alison Dechamps, sa fille tendue vers demain, échappée de la Terre pour vivre, radicalement, au prix de ses souvenirs, qu’elle laisse peu à peu partir. C’est poignant, fort, et questionnant. Parfaitement maîtrisé, esthétisant sans trop l’être, bercé de fado de mots et de notes, une expérience réflexive en doux-amer.
A voir les 10 et 11 octobre à De Singel, à Anvers.