Ramzy Bedia, comédien tout-terrain

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Ex-moitié du tandem d’humoristes français Eric et Ramzy, Ramzy Bedia se multiplie sur les écrans, enchaînant les films qui le voient explorer tous les registres de jeu à un rythme proprement infernal. Interview sans langue de bois, tutoiement de rigueur.

En juin, il campait un flic autoritaire trahi dans Balle perdue, film d’action bas du front estampillé Netflix. En juillet, il jouait son propre rôle dans le très médiatisé mais surfait Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi. Depuis quelques jours, il apparaît même dans la dispensable adaptation ciné de la BD… Les Blagues de Toto, mais il excelle surtout en paternel protecteur et parano dans la bonne surprise T’as pécho?, long métrage mêlant humour et tendresse signé Adeline Picault. Sans même parler de sa présence dans Forte, la comédie extra-large emmenée par sa frangine qui monte, Melha, disponible sur Amazon. Mais quand donc Ramzy Bedia s’arrête-t-il de tourner? Et c’est loin d’être terminé, puisqu’on le découvrira bientôt sous les traits du grand Jules dans Brutus vs César, de Kheiron, puis dans Hommes au bord de la crise de nerfs, d’Audrey Dana. De la quantité donc, pas que de la qualité certes, mais toujours ce plaisir et cet appétit à jongler avec les registres et les genres.

Avec Éric, on disait qu’on était le porno du comique. Tout le monde regardait mais personne n’osait l’avouer.

S’il se dit de nature assez méfiante envers le cinéma d’auteur, l’ex-moitié du duo comique Eric et Ramzy n’en figure pas moins de plus en plus souvent au casting de projets marqués par un vrai regard, une vraie griffe stylistique. Voir notamment, ces derniers mois, ses rôles dans Merveilles à Montfermeil, de Jeanne Balibar, ou Terminal Sud, de Rabah Ameur-Zaïmeche, deux longs métrages restés inédits chez nous. Pour le second, thriller dramatique dans lequel il interprète l’étonnant rôle principal, il a même pris considérablement du poids, à la manière de ces acteurs américains investis de la grande époque. « Je suis quelqu’un de foncièrement gentil », annonce-t-il, sourire aux lèvres, alors qu’on le retrouve il y a quelques mois dans le lobby de son hôtel à Marrakech, en marge du Festival international du film, pour une interview généreuse et sans langue de bois.

Ramzy Bedia rêvait d'un vrai film d'action. Avec Balle perdue, sur Netflix, c'est chose faite.
Ramzy Bedia rêvait d’un vrai film d’action. Avec Balle perdue, sur Netflix, c’est chose faite.© Mickael Mongin/NETFLIX 2020

Quand vous avez commencé à jouer dans des films avec Eric Judor, au début des années 2000, comment avez-vous été accueillis par le milieu du cinéma français en général?

Mal. Très mal. Avec Eric, on avait une formule pour décrire la manière dont on se sentait. On disait qu’on était le porno du comique. C’est-à-dire que tout le monde regardait ce qu’on faisait, mais personne n’osait l’avouer. Personne n’osait dire qu’il aimait La Tour Montparnasse infernale, par exemple, alors que le film a fait un carton. Les gens venaient nous trouver: « On adore ce que vous faites, vous êtes tellement drôles et concons, ne changez pas. » Mais en public, ce n’était pas très classe pour ces mêmes gens de dire qu’ils aimaient nos films. D’ailleurs, personne ne le disait. On a longtemps incarné ça: le porno du comique.

La Tour Montparnasse infernale est pourtant rapidement devenu culte, avec un nombre incalculable de répliques qui sont restées. Un peu à la manière de La Cité de la peur, au fond…

C’est vrai. On n’avait pas du tout conscience de ça en le faisant, pourtant. Au départ, c’était vraiment une grosse déconne. Nous, ça nous faisait trop marrer de nous lancer dans le cinéma avec des moyens importants et de continuer à aligner nos vannes débiles du genre « T’as une tache, moustache ». Ça a halluciné tout le monde. D’habitude, quand tu débarques au cinéma, t’essaies de te la raconter un peu. Nous on a dit non, on continue à faire les imbéciles profonds. Avec Eric, on avait cette force de n’avoir besoin de personne. Encore aujourd’hui, dès que je suis avec lui, il est mon meilleur public, et je suis son meilleur public. Quand il me fait pleurer de rire et que je vois qu’autour les gens ne sont que mépris, je m’en fous. Parce que moi je suis sûr du rire que j’ai là. On a toujours fonctionné comme ça.

Avec Eric Judor, duo délirant du début des années 2000.
Avec Eric Judor, duo délirant du début des années 2000.© belga image

L’un de vos meilleurs films reste sans doute Steak, de Quentin Dupieux, en 2007, où vous jouiez avec Eric dans un registre finalement assez proche de celui que vous aviez développé sur scène, celui de l’humour absurde et délirant…

Je suis d’accord. Steak, j’ai adoré. Avec Eric, on maniait l’absurde depuis un bout de temps déjà et on se sentait un peu seuls parfois. Les films de Fabien Onteniente (NDLR: le réalisateur de Jet Set, de Disco et des Camping, avec Franck Dubosc), tout ça, ça ne nous intéressait pas. On commençait à se dire: soit on ambitionne juste de s’acheter des belles maisons et on fait de la merde, soit on décide de prendre des risques et de voir ce que ça donne. On s’est alors lancés dans la préparation d’un film avec Michel Gondry. Mais là, bam!, Gondry nous lâche à la dernière seconde pour aller tourner Eternal Sunshine of the Spotless Mind avec Jim Carrey. On comprenait, évidemment, mais il était hyperembêté de nous laisser tomber comme ça, alors il nous a dit: « Allez voir ce type, Quentin Dupieux, il a réalisé un moyen métrage assez fou. » C’est ce qu’on a fait et tout s’est éclairé pour nous. Une nouvelle porte s’est ouverte. On a compris qu’on avait une carte à jouer hors du seul cadre de la comédie populaire à la française.

Tout m’intéresse. Tout. Sauf peut-être ces films où les gens pleurent et pensent longtemps derrière une fenêtre où il y a de la pluie.

Quel genre de cinéphile êtes-vous?

Tout m’intéresse. Tout. Sauf peut-être ces films où les gens pleurent et pensent longtemps derrière une fenêtre où il y a de la pluie. Ça, j’ai du mal. Les choses horribles de l’existence, en film, ça me saoule. Les couples qui se déchirent, tout ça… C’est déjà assez pénible dans la vie, je ne vois pas pourquoi il faudrait payer dix balles pour aller voir un homme et une femme qui souffrent et se séparent. Bon, maintenant je dis ça mais si on m’avait proposé de jouer dans Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, j’y serais allé tout de suite. Donc voilà, je viens encore de raconter n’importe quoi (rires).

A l’époque d’Eric et Ramzy, vous vous étiez pourtant promis de ne jamais rien faire de sérieux…

Oui, on avait vraiment fait un pacte de sang (sourire). On s’était dit qu’on serait des comiques jusqu’à la fin de notre vie. Comme Pierre Richard et Louis de Funès.

Que s’est-il passé alors? Il y a eu chez vous une vraie volonté de montrer une autre facette ou ça s’est fait un peu par hasard?

Par hasard. Je voulais vraiment m’en tenir au serment qu’on s’était fait avec Eric. Et puis le temps passe, aujourd’hui j’ai presque 50 ans, et la vie provoque des choses. Parfois, il se trouve que tu te sens un peu fatigué de faire le comique, aussi, parce que c’est très fatigant. Vraiment. J’ai réalisé, arrivé à un certain point, que je n’avais plus toujours la pêche pour faire rigoler. Que j’avais besoin de me recharger en rire, un peu. Et c’est à ce moment-là que des projets différents se sont présentés à moi. C’était le bon timing. Et là je me suis rendu compte que c’était beaucoup moins stressant pour moi de jouer dans un drame, parce qu’il n’y a justement pas cette obligation permanente de faire rire. Attention, je ne dis pas que c’est plus facile hein! Mais c’est vraiment moins stressant. Avec la comédie, quand tu arrives à la fin d’une scène et que tu sens que le rire n’est pas là, il y a un problème. Ça fait plus de vingt ans que j’essaie de faire rigoler, et ça peut devenir une charge parfois. Par ailleurs, on ne va pas se mentir, l’espace pour faire rire s’est considérablement réduit aujourd’hui. Il y a une bien-pensance généralisée qui est là et qui pèse de son poids. Même si j’espère vraiment que, sous couvert de fiction, on peut encore se permettre beaucoup.

L’espace pour faire rire s’est considérablement réduit aujourd’hui. Il y a une bien-pensance généralisée qui est là et qui pèse de son poids.

Vous tournez énormément aujourd’hui…

Oui, c’est vrai. Dont ce que j’appelle des gros gâteaux. Je pense à Rendez-vous chez les Malawas avec Christian Clavier et Michaël Youn, par exemple. De temps en temps, j’aime bien faire ce genre de films-là aussi. Parce que ce sont les films que les gens vont voir en famille. Ce sont des films sans sexe et sans violence. Ça réunit les enfants, les grands-parents. Les gens n’ont pas toujours envie de branlette intellectuelle. La vie est dure, le cinéma est cher, ils ont parfois juste envie d’un bon gros gâteau à la crème, de se marrer sans se prendre la tête. Et moi je suis content et fier de pouvoir leur donner ça. J’essaie d’en faire un par an. C’est de ces films-là que les gens me parlent quand ils m’abordent dans la rue. Et moi, c’est ce que j’aimais aussi quand j’étais ado, la chantilly. Aujourd’hui, j’ai une fille de 11 ans. Quand on est à la maison et qu’on veut regarder un film, on choisit systématiquement un bon gros gâteau. On n’est pas toujours obligés d’aller faire ses courses chez Fauchon: chez Franprix, c’est bon aussi.

Dans T'as pécho?, l'acteur renoue avec le comique et incarne un père protecteur et parano.
Dans T’as pécho?, l’acteur renoue avec le comique et incarne un père protecteur et parano.© 2020 MANDARIN PRODUCTION – SCARLETT PRODUCTION – PATHÉ FILMS – FRANCE 2 CINÉMA

Mais pourquoi tourner autant?

Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à tant tourner. J’aime ça, je crois. On me propose beaucoup de choses, j’ai de la chance. Et donc oui, voilà, je n’ai pas peur des grands écarts, mais au moins je suis sincère avec moi. Les tiroirs, les étiquettes, ça ne m’intéresse pas. Les gens qui se prennent trop au sérieux m’emmerdent. Balle perdue sur Netflix, par exemple, je l’ai fait parce c’était mon rêve de jouer dans un vrai film d’action. Avec des phrases à la Bruce Willis, du genre: « Mec, je crois que t’es tombé sur le mauvais gars. » Avec des voitures qui foncent à toute blinde, des coups de feu, des explosions… C’est du premier degré comme je l’adore. Brutus vs César, de Kheiron, je l’ai fait justement parce que c’est un gros gâteau, un péplum rigolo dans la veine de Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, de Jean Yanne. Je ne connaissais pas Kheiron, il m’envoie le scénario, j’explose tout de suite de rire à la lecture: eh ben je ne vais pas chercher plus loin, j’embarque dans l’aventure.

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