« Pour incarner Judy Garland, Renée Zellweger a toujours été notre unique choix »

Renée Zellweger incarne Judy Garland au-delà du simple mimétisme.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Rupert Goold consacre un biopic à Judy Garland, l’enfant-star du Magicien d’Oz dont il retrace le destin tragique, bien aidé par Renée Zellweger… Rencontre.

Consacrée enfant-star au tournant des années 40 par Le Magicien d’Oz, Judy Garland devait connaître une existence mouvementée, la « yellow brick road » se révélant bien cahoteuse, entre gloire hollywoodienne et addictions diverses, firmament doré et dépression chronique, jusqu’à sa disparition prématurée, à l’âge de 47 ans à peine. Judy (lire notre critique), le biopic que lui consacre aujourd’hui le cinéaste britannique Rupert Goold, la cueille au crépuscule de sa carrière, à l’hiver 1968, lorsqu’elle débarque, chancelante, à Londres pour une série de spectacles au Talk of the Town. Une passe délicate -elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, même si un lien indéfectible l’unit toujours à son public- que le film fait rimer avec ses débuts hollywoodiens sous l’égide de Louis B. Mayer, comme pour mieux signifier qu’il y avait là l’origine de ses malheurs. « Je ne suis guère friand des biopics qui se bornent à aligner les épisodes d’une vie, observe Goold, venu présenter son film au festival de Gand. Ce qui se produira à la fin est déjà présent en germe au début, lorsqu’elle signe une sorte de pacte faustien pour la célébrité avec Louis B. Mayer (patron omnipotent de la MGM, NDLR). Cette décision orientera la suite. Judy Garland est clairement une victime du système des studios. »

Le poids de l’héritage

S’il a signé en 2015 le thriller True Story avec James Franco et Jonah Hill, Rupert Goold a fait l’essentiel de son parcours au théâtre -il est d’ailleurs directeur artistique de l’Almeida Theatre, à Londres. Et alors que l’actrice de Meet Me in St. Louis et A Star Is Born fait encore, 50 ans après sa mort, l’objet d’un culte fervent auprès de ses admirateurs, le réalisateur concède, dans un sourire embarrassé, qu’elle ne représentait « pas grand-chose » à ses yeux. « Bien sûr, enfant, Le Magicien d’Oz m’avait marqué. Mais en dehors de ça, je n’avais pas plus vu ses films que je n’avais écouté ses chansons. Je la rattachais à une sorte de théâtralité camp dont j’avais bien sûr conscience, sans plus. Pour tout dire, quand David Livingstone, le producteur, m’a envoyé le scénario, je ne l’ai même pas lu. Ce n’est que quand il m’a demandé ce que j’en pensais que j’y ai jeté un coup d’oeil, et que j’ai découvert quelque chose de complètement neuf. Quelques recherches ont vite achevé de me convaincre. »

De fait, le portrait de l’icône s’est rapidement étoffé, ajoutant à son parcours artistique partagé entre plateaux de cinéma et scènes de music-halls, une aura « bigger than life ». « J’ai vu en elle une existence américaine emblématique du XXe siècle« , relève Goold. Et d’en énumérer quelques moments-clés, cette enfant de la balle, de son vrai nom Frances Ethel Gumm, accompagnant sa famille dans des spectacles itinérants (elle montait sur scène à l’âge de deux ans), avant de grandir avec l’avènement du cinéma parlant, pour s’épanouir, à compter de l’adolescence, dans l’éclat de la lumière hollywoodienne et dans l’imaginaire public. Le genre d’héritage à ne pas prendre à la légère. « Il y a des éléments dont on se doit de tenir compte. Les fans de Garland sont très protecteurs, et ils n’auraient pas compris qu’elle apparaisse seulement comme une victime, sans que l’on ne célèbre son talent. Et il fallait également faire honneur à ce qu’elle représente pour la communauté LGBT. Pour autant, dans de nombreux pays où le film va sortir, Renée Zellweger, son interprète, est sans doute plus célèbre qu’elle. C’était donc plus compliqué que ça n’en avait l’air de prime abord… »

Désarmante authenticité

La réussite de l’entreprise tient à la structure du film d’une part, qui éclaire Garland sous des jours différents, tour à tour charmeuse et fragile, euphorique et pathétique…; à la composition de Renée Zellweger, d’autre part. L’interprétation de l’actrice de Bridget Jones va bien au-delà du simple mimétisme visuel ou vocal, pour toucher à l’essence même du personnage. « Renée a toujours été notre unique choix. Il était essentiel que l’actrice soit dans la même tranche d’âge que Judy Garland, question de ressenti, mais aussi qu’elle soit drôle et puisse faire preuve d’esprit, tout en sachant chanter. De nombreuses comédiennes ayant maintenu un profil au-delà de la quarantaine sont plutôt connues pour la force se dégageant d’elles, si l’on pense à Cate Blanchett, Frances McDormand, Susan Sarandon ou Meryl Streep. Et moi, je cherchais plutôt l’opposé. Renée avait cette fragilité, à quoi s’ajoute que je trouvais important qu’elle soit américaine, parce qu’il s’agit vraiment, à mes yeux, d’une vie américaine. »

Un choix pertinent, comme l’a rappelé le Golden Globe remporté par la comédienne il y a quelques jours, prélude peut-être à un Oscar qui viendrait s’ajouter à celui glané en 2003 pour Cold Mountain. Si le film n’élude pas toujours un penchant illustratif, travers récurrent des biopics, l’actrice texane lui confère une incontestable authenticité, et pas seulement parce qu’elle interprète le répertoire popularisé par Garland, Over the Rainbow et autres. Désarmante, toujours. « Ironiquement, bien que sa vie ait été une construction dès l’adolescence, Judy Garland a traversé l’existence en restant elle-même sur et en dehors de la scène, sans jamais mettre de filtre. J’aimerais que les spectateurs retiennent du film la célébration de cette authenticité, même si elle a connu une existence tragique. »

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