Titre - Steelrising
Édité par - Nacon
Développé par - Spiders
Âge - 16+
Disponible sur - PC, PlayStation 5 et Xbobx Series
Enflammant une Révolution française uchronique, Steelrising se peuple d’automates prodigieux et fascinants. Explications avec Jehanne Rousseau, personnalité engagée pour plus d’inclusion gaming.
Nourrir la ligne éditoriale d’un studio gaming de ses convictions intimes est un luxe rare. À l’image de l’engagement de Mike Wilson (1) pour la santé mentale, Jehanne Rousseau y parvient miraculeusement chez Spiders. Ce studio parisien compte une dizaine de RPG consoles et PC qui, à défaut d’être tous parfaits (le moyen The Technomancer), respirent l’amour du jeu de rôle papier. Spécialisé en jeux de rôle, Spiders glisse des questions d’inclusion -dans le sens large du terme- dans ses jeux, sans donner de leçon de morale.
Co-instigatrice d’une Bourse du Jeu Vidéo finançant des études gaming d’étudiants français en difficulté, Jehanne Rousseau est une figure marquante du jeu vidéo. L’Académie des arts et techniques du jeu vidéo la récompensait d’ailleurs, il y a deux ans, d’un Pégase de la Personnalité de l’année. Sa position n’est pas anodine dans un paysage de studios majoritairement masculins. “Comme c’est aussi le cas chez Ustwo, l’équipe de Monument Valley, plusieurs femmes dirigent désormais des petits et grands studios gaming. La parité avance. Mais cette inclusion est trop lente, relève Jehanne Rousseau, en pleine tournée promo pour Steelrising à la Gamescom de Cologne. Les mentors de 40 ans qui prennent en charge de jeunes développeurs pour les former restent des hommes. De nombreux jeux vidéo parlent de paternité, et c’est très bien, mais où sont les mères dans tout ça? Au-delà du genre, je veux voir des jeux qui parlent de situation de handicap ou de vieillesse. Le cinéma le fait très bien, mais pas notre milieu.”
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Danseuse automate
Habité par ces débats, le récent Greedfall (2 millions d’exemplaires vendus depuis 2019) de Spiders laisse aujourd’hui la place à Steelrising et à son héroïne féminine: un trip uchronique qui fantasme une Révolution française alternative.
De Versailles à la Bastille et des Tuileries aux Invalides, Steelrising se glisse dans les rouages d’Aegis, une danseuse automate protégeant une Marie-Antoinette aux abois, le temps d’une nuit de sang. Ce pitch de départ rebondira sérieusement pour côtoyer des figures historiques de la révolution comme Lafayette et Robespierre dans une société peuplée de robots aux rouages horlogers et magiques. Ces automates humanoïdes s’inspirent des (vraies) machines de Jacques Vaucanson, ingénieur grenoblois du XVIIIe siècle.
“On était parti sur un monde très onirique proche de François Schuiten en termes d’architecture. Mais cette ville vide d’humains et peuplée d’automates géants ne prenait pas vie, se souvient Jehanne Rousseau. Tout a changé lorsque je suis allé voir une exposition sur Marie-Antoinette à la Conciergerie en 2020. Du manga au cinéma, la pop culture y était très présente. Et de fil en aiguille, je me suis rendu compte que la société de l’époque s’intéressait fortement aux automates. Ces personnages mécaniques sont restés pour des raisons de gameplay, ils justifient pourquoi on meurt et on revit, à la manière d’un Dark Souls.”
Ashen, Lords of the Fallen,Mortal Shell, Remnant: From the Ashes, Thymesia, The Surge, Vampyr… Steelrising vient s’ajouter à la très longue liste de jeux inspirés du cauchemar séminal conçu par les Japonais de From Software. En pratique, le souls-like déballe donc les codes des combats du genre. Il s’agit de tourner autour d’un adversaire et d’enchaîner des pas d’esquive pour éviter ses coups, d’identifier et de retenir leurs patterns d’attaques pour savoir quand asséner un coup, mais aussi de soigner avec des potions toujours insuffisantes. Steelrising est à déconseiller aux gamers qui ne sont jamais parvenus à franchir le mur de difficulté d’un Elden Ring.
Les accros du genre, eux, apprécieront, sans pour autant crier au génie. Malgré des mouvements spéciaux, des armes singulières (cette chaîne enflammante!) et des coups spéciaux débloqués par ces dernières, Steelrising reproduit le canevas de ses prédécesseurs sans réel panache. Ses combats parfois marqués d’imprécision se doublent de phases d’exploration à la caméra parfois boiteuse. Dommage également que les phases de plateforme aidées d’un grappin et d’un dash aérien ne relèvent pas plus le level design prévisible des lieux.
Le temps béni des colonies?
Imparfait mais attachant, Steelrising est le fruit d’une concession de Jehanne Rousseau à son équipe. “Ces dernières années, ma team s’était mis en tête qu’elle arriverait à me convaincre d’aller à fond vers du Bloodborne, même si ce n’est pas l’ADN de Spiders. J’ai fini par céder (rires). Je leur ai dit d’aller à fond dans leurs envies d’hommage, sourit Jehanne Rousseau. En même temps, je les ai poussés à apprendre au maximum de cette expérience pour enrichir notre prochain Greedfall 2. Notamment en matière d’animation et de patterns de combat.”
Projet de tous les apprentissages pour Spiders, Steelrising ne démérite pas pour autant dans son ensemble. D’autant que soutenir un camp plutôt qu’un autre modifie réellement son récit. Mention spéciale pour ce révolutionnaire demandant au gamer de l’aider dans son combat contre l’esclavage. Un propos déjà présent -avec plus de puissance- sur Greedfall, où le joueur incarnait un colon libre d’être humaniste ou de se comporter comme une crapule.
“C’est mon pied de nez à certains politiques qui disent que l’esclavage avait été remis en selle par Napoléon et qu’à l’époque, comme tout le monde le faisait, c’était normal. Or, beaucoup de gens à l’époque se sont battus contre ça, conclut Jehanne Rousseau. Notre société hérite de tout un cheminement de réflexions philosophiques et politiques. Des problématiques sociales contemporaines comme l’immigration et le déracinement de certaines personnes découlent directement de notre passé colonial. Je suis intimement convaincue que ces problématiques peuvent animer un univers sans pour autant nuire à la légèreté et au fun propres au jeu vidéo. Bref, on peut montrer le combat politique de certains tout en s’amusant avec des gros robots.”
(1) Le cofondateur de Devolver, éditeur qui a industrialisé le jeu vidéo indépendant, vient de créer Deepwell, un studio gaming brisant les codes du serious gaming à des fins de médiation thérapeutique.
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