Laurent Raphaël

Réseaux sociaux: la tentation du vide

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On épinglait la semaine passée le côté ferrailleur de certains artistes prêts à recycler le moindre boulon médiatique pour s’assurer une place aux avant-postes de la buzzosphère.

L’édito de Laurent Raphaël

Et vas-y que je te dépouille sans vergogne les maîtres de la Renaissance (Lady Gaga), et vas-y encore que je te saupoudre le moindre refrain de sexe impalpable (Miley Cyrus). Un instinct de rapace qui n’est en réalité que la photocopie agrandie de la tentation de l’Homo globalis à faire parler de lui par tous les moyens. En bien de préférence, en mal s’il le faut, l’indifférence étant la nouvelle infamie.

Car sur le terrain miné de l’ego aussi, les nouvelles technologies -enfin, plus si nouvelles maintenant…- ont laminé les habitudes, broyé les repères. La boussole qui nous indiquait le chemin étroit vers la célébrité a rendu l’âme. En donnant à chacun un mégaphone, Internet a chamboulé l’organigramme. Et déplacé le curseur du libre-arbitre sur l’individu en lieu et place des institutions qui orchestraient la danse avant la révolution numérique. Plus libre, l’internaute hérite donc en prime des responsabilités de ses actes et de ses pensées.

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C’est ici que ça se corse. Tout le monde est libre désormais de fixer ses propres limites sur le sentier de la gloire. Ou pas, l’Homme ayant une fâcheuse tendance à lâcher la bête qui sommeille en lui dès que la laisse de l’autorité se ramollit. Et voilà comment certains y vont de leur couplet nauséabond (vidéos débiles, commentaires insultants…) ou ultra formaté (la créativité sauce Instagram) pour grappiller des points sur l’échelle de la notoriété. Laquelle ne correspond évidemment pas à celle de la moralité. De sorte que la « valeur » d’un individu ou d’un objet ne se mesure pas ou plus sur des critères éthiques et éclairés (au sens du siècle des Lumières) mais en fonction du référencement sur Google ou du compteur Facebook…

D’où vient ce besoin de s’extirper à tout prix de la masse? Cette aspiration quasi pathologique à vouloir s’élever au-dessus du commun des mortels sous peine d’avoir le sentiment de bousiller sa vie? Le psychanalyste israélo-suisse Carlo Strenger répond sans hésiter: de la peur de l’insignifiance, qui est aussi le titre de son livre (paru chez Belfond) dans lequel ce disciple de Kant ausculte les effets pervers de la mondialisation accélérée et sauvage sur nos humeurs. Sa thèse à l’épreuve des balles libérales est la suivante: marchandisé par un système voué à l’infodivertissement, l’individu court derrière les deux carburants, la notoriété et l’argent, qui lui donnent l’illusion d’exister dans un monde dopé aux chiffres. Une logique qui est loin de ne faire que des heureux évidemment. La frustration et le malaise existentiel attendent la majorité des candidats recalés, l’insignifiance subie pesant alors sur le moral comme une défaite cinglante sur celui des troupes.

Pour sortir de cette logique suicidaire, il faut renouer avec l’existentialisme, prône Carlo Strenger. C’est-à-dire reprendre les rênes de son existence, renouer avec sa liberté, donc aussi ses limites, et tenter de construire du sens avec le ciment de la raison, à l’écart des schémas idéologiques clés sur porte. Plus facile à dire qu’à faire. Mais ça ne coûte rien d’essayer. Pas besoin de 140 caractères, juste d’un peu « de » caractère.

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