Pourquoi le ZEvent a (encore) fait polémique

Le plus gros événement de jeux vidéo caritatif français a annoncé la semaine dernière l’association qu’il souhaitait soutenir cette année en septembre : ce sera GoodPlanet, la fondation de Yann Arthus-Bertrand. Enfin, ça aurait été, car de nouveaux bénéficiaires seront choisis mercredi prochain face à la gronde sur les réseaux sociaux. Après l’affaire des propos sexistes de l’an dernier, le ZEvent n’en est plus à une polémique près.

S’il est un événement vidéoludique français qui fait parler de lui sur les réseaux sociaux, c’est bien le ZEvent. Il rassemble les streamers et YouTubeurs de jeux vidéo les plus connus pour un marathon caritatif de plusieurs jours de diffusion live sur Twitch sans interruption, un concept initié en 2007 par l’événement américain Awesome Games Done Quick. Le rendez-vous est très rapidement devenu une grand-messe annuelle qui rapporte gros aux associations bénéficiaires : de 170 000 euros lors de la première édition en 2016, la cagnotte s’élevait à plus de 10 millions l’an dernier, soit autant que le Télévie, le plus grand événement caritatif belge.

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Mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Le milieu du jeu vidéo, en raison de la forte présence de ses adeptes sur les réseaux sociaux, n’est pas avare en polémiques, et un événement d’une telle ampleur n’y échappe pas. Les critiques ont ainsi grandi en même temps que la popularité de l’événement, et l’édition 2022, à peine annoncée, a déjà fait jaser.

Il y a quelques jours la liste des streamers qui seront présent pour la nouvelle édition du 9 au 11 septembre prochain a été présentée, et elle n’a pas manqué de faire réagir. D’abord parce que la liste des participants comporte plusieurs absents qui « pèsent » énormément d’abonnés, mais surtout, en raison du pedigree de l’association bénéficiaire des dons.

Un choix d’association qui pose question

Adrien Nougaret alias Zerator, organisateur de l’évènement, a en effet choisi comme bénéficiaire des dons cette année GoodPlanet, une fondation créée par le photographe et réalisateur Yann Arthus-Bertrand, dont le but est d’accompagner les entreprises dans la transition écologique. Un choix qui fait grincer des dents et au point de provoquer le boycott de certains donateurs habituels de l’événement.

Ce n’est pas la première fois que le bénéficiaire du ZEvent fait face à des critiques : alors que durant les quatre premières années, c’est la recherche médicale qui était mise en avant, le choix plus politique d’Amnesty International en 2020 était déjà moins consensuel. Mais si Amnesty reste une ONG fonctionnant sur base des dons des particuliers et dont le travail largement reconnu en matière de défense des droits humains, c’est nettement moins le cas de GoodPlanet en matière d’environnement.

La fondation est en effet déjà financée par de grandes entreprises (dont BNP Paribas) et travaille avec TotalEnergies, deux entreprises dont les intérêts dans le secteur pétrolier semblent incompatibles avec la préservation de l’environnement. Et puis c’est le fond même de l’action de l’association qui lui vaut des accusations de greenwashing : parmi ses activités, la compensation carbone y tient une grande place. Technique qui consiste notamment à planter des arbres censés absorber la pollution émise, elle est utilisée notamment pour « compenser » les dépenses énergétiques colossales de la coupe du Monde au Qatar. Ses bienfaits pour l’environnement sont d’ailleurs de plus en plus remis en question par les scientifiques. La fondation fait également la promotion d’une autre pratique controversée, la biodynamie, une sorte d’homéopathie agricole associée à l’anthroposophie, un courant philosophique déjà pointé du doigt pour des dérives sectaires.

Gianni Celestri du site Les Players du Dimanche, organise chaque année un évènement belge similaire, le Televideogames. Il regrette ce choix douteux de la part ZEvent : « je trouve aussi ça très surprenant que Zerator ait choisi précisément cette association-là plutôt qu’une autre. Nous choisissons des associations caritatives un tant soit peu respectables, qui correspondent à nos valeurs et qui défendent quelque chose de concret. Maintenant c’est compliqué pour un organisateur d’événement de ce type de se positionner et de ne pas faire d’erreurs. Je pense que ça partait d’une bonne intention, mais qu’il était mal informé ».

Face au tollé, Zerator a changé son fusil d’épaule et propose à la communauté de voter jusqu’à mercredi pour 5 bénéficiaires, parmi une liste d’associations servant la cause de l’environnement. Une communication de crise qui devient la norme avec l’organisateur du ZEvent, déjà critiqué l’an dernier pour sa réaction tardive et peu ferme à la polémique des propos sexistes.

Un boy’s club ?

Cette controverse vient en effet s’ajouter à celle qui avait fait grand bruit lors de la dernière édition du ZEvent. Record en termes d’audience pour un stream français avec 700 000 spectateurs simultanée et en termes de gains (au bénéfice d’Action contre la faim), elle a été au cœur d’une polémique autour de propos sexiste du streamer Inoxtag. Bien que le streameur ait présenté ses excuses auprès d’une autre streameuse participante ayant dénoncé ses propos, cette dernière avait subi une déferlante de harcèlement sur les réseaux sociaux.

Inoxtag avait fait polémique l’année dernière

Une ambiance machiste qui règne dans la communauté d’autant plus que les femmes sont peu représentées sur le plateau du ZEvent. Même si elles semblent plus nombreuses au fil des ans, elles restent largement minoritaires en 2022 : seules 11 seront présentes, soit à peine 20% des participant.e.s.

D’après Chloé Boels, streameuse sous le pseudo de chloe_live et cofondatrice du collectif Stream’her, qui encourage les femmes à se lancer dans le streaming, cette moindre représentation des femmes est le reflet du milieu du stream en général. Mais un événement caritatif ne devrait-il pas montrer l’exemple ?

Nous avons posé la question à Gianni Celestri. Pour lui, il y a deux critères principaux qui président aux invitations : les valeurs représentées, et le potentiel d’attraction des streamers pour récolter des dons. « À partir du moment où vous prenez une personnalité et que vous savez très bien qu’en la défrayant (en payant l’hôtel, etc.), elle va vous coûter 1000€, le minimum que vous attendez c’est qu’elle rentabilise l’argent investi. Parfois je vais aussi chercher des profils atypiques pas forcément les plus vendeurs sur le papier, mais qui dégagent quelque chose au niveau de leur valeurs, de leur personnalité. »

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Pour autant, le Televideogames n’a pas spécialement une politique de discrimination positive, que ce soit en matière de genre ou d’origine ethnique, et le ZEvent ne s’en revendique pas non plus. Faudrait-il tout de même en appliquer une, quitte à récolter potentiellement moins de dons à cause du manque de notoriété des streameuses ? Chloé Boels le pense : « L’objectif financier, il n’est pas vraiment primordial dans un événement comme ça : Zerator lui-même dit que le moindre euro est quelque chose de positif, que ce n’est pas une course aux dons. D’ailleurs c’était devenu quelque chose d’un peu toxique chez certains streameurs, cette course aux records chaque année ». Car c’est aussi une critique récurrente à l’encontre de l’évènement, de faire du show et du chiffre plutôt que de mettre en avant la cause.

Avec toutes ces polémiques, Adrien Nougaret a semblé clairement dépassé par l’ampleur énorme qu’a pris son petit événement de manière extrêmement rapide, se retrouvant malgré lui au cœur des débats politiques et sociétaux qui agitent notre époque.

Arthuria Dekimpe (st.)

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