Piet Mondrian en puzzle game: Please, Touch the Artwork
Thomas Meynen transforme des tableaux iconiques de Piet Mondrian en terrain de puzzle game sur Please, Touch the Artwork. Rencontre avec un Bruxello-Gantois pas comme les autres.
A priori, peinture et jeu vidéo n’ont rien en commun. Depuis quelques années, une poignée de game designers tissent pourtant des liens entre ces deux formes d’expression artistique pour explorer leur pouvoir immersif. Please, Touch the Artwork de Thomas Meynen pousse cette logique plus loin que ses prédécesseurs via un puzzle game s’amusant du célèbre interdit tactile muséal. Trois peintures clés de Piet Mondrian (1872-1944), un des chefs de file du mouvement De Stijl, s’y déclinent au fil d’autant de gameplays distincts.
« J’ai choisi Mondrian car son universalité soulève instinctivement des sentiments chez les gens. Mon but est avec ses visuels accrocheurs d’attirer un public qui se fiche de l’art. Si j’arrive à amener des joueurs au musée, ce sera une victoire. » Grand, barbu et du genre fort en gueule, Thomas Meynen rejoint le parcours de ces nombreux développeurs ayant quitté des grands studios de jeux vidéo pour se lancer dans une voie indé. Basé à Molenbeek, ce Gantois d’origine a précédemment travaillé sur Divinity: Original Sin (Larian Studios) et Hitman (IO Interactive) pour finalement opérer un virage à 180 degrés en fondant le studio Waterzooi, il y a quatre ans. « Ce n’est pas vraiment une réaction directe à la manière de travailler de ces gros studios. Par exemple, Divinity: Original Sin était très bien écrit, quasiment shakespearien. Mais il reste avant tout un jeu de rôle au tour par tour, explique Thomas Meynen. Or, la violence en tant que mécanique ludique m’intéresse moins désormais. Je n’en ai plus vraiment besoin pour m’échapper. J’attends désormais d’un jeu qu’il m’apprenne quelque chose, qu’il me fasse éprouver une forme d’empathie. »
Couleurs primaires, aide secondaire
Composition en rouge, jaune, bleu et noir inspire la première série de toiles jouables, la pièce principale du triptyque. Demandant de reproduire plusieurs peintures en les colorisant, le puzzle game se joue des quadrillages et des couleurs primaires chères à De Stijl. Toucher une dalle change la couleur de ses voisines. À tâtons, on tente donc de copier des motifs imposés par ce jeu d’interrupteurs loufoques. Les débats simples du début appellent seulement deux couleurs. Mais Meynen hausse le ton par la suite et son jeu demande de jongler avec quatre coloris différents, une multitude de carrés et même un effet de miroir.
L’absence d’explications claires à cette mécanique hypnotique n’est pas très grave tant la découverte d’un gameplay abscons fait partie de la culture gaming. Hélas, l’inintelligibilité des indices du jeu (qui se veut chill) transforme les énigmes de mi-parcours en mur infranchissable. Les recalés de ce premier chapitre se rabattront vers les deux autres galeries, nettement plus accessibles, inspirées des toiles BroadwayBoogie-Woogie et New York City. La première demande d’activer des déplacements de palets sur une sorte de réseau routier aux intersections hasardeuses, tandis que la deuxième demande de déplacer une barre noire dans des labyrinthes pour rejoindre plusieurs points, rappelant le Snake de Nokia.
S’explorant comme une série de 160 oeuvres d’art, le jeu résonne avec la psyché du créateur de 35 ans. La sélection des toiles n’est ainsi pas innocente. New York City (1942) est une oeuvre réalisée dans les dernières années de la vie du peintre qui s’était exilé outre-Atlantique. Thomas Meynen lie son choix à son propre déménagement de Gand à Copenhague pour rejoindre les studios d’IO Interactive. « Lorsque j’ai commencé à travailler sur Hitman , ma copine ne pouvait pas venir et on a eu une relation à distance. Au début, c’était excitant mais après, les choses se sont assombries, se souvient-il. Le choix de Composition en rouge, jaune, bleu et noir est basé sur une vraie anecdote. Theo van Doesburg, le père du mouvement De Sijl, a voulu introduire des diagonales dans ses peintures. Mais Mondrian y était totalement opposé. À la fin, ils se sont disputés. Je trouve ce détail particulièrement cocasse. »
La toile, ce terrain de jeu
Art que Mondrian définissait lui-même comme « abstrait, austère et géométrique« , le néoplasticisme revit ici sous l’éclairage gaming de Please, Touch the Artwork. Mais ce n’est pas un cas isolé. L’artiste russe incontournable des années 20 El Lissitzky a ainsi vu sa célèbre affiche de propagande Battre les blancs avec le coin rouge se muter en shoot them up sur Lissitzky’s Revenge. Deux ans plus tôt, le jeu de Pie for Breakfast Studios était précédé de Cave! Cave! Deus videt de We Are Müesli. Explorant le triptyque de La Tentation de Saint Antoine de Jérôme Bosch, ce jeu d’aventure demandait d’analyser les détails morbides de l’oeuvre au fil d’une sorte de Où est Charlie?.
Enfin, notons que Proun de Joost van Dongen en 2011 filait en 3D sur un monorail hypnotique semé d’embûches pour rendre hommage à Mondrian. « Souvent, lorsque les développeurs parlent d’une peinture, ils la transforment en expérience 3D à la première personne, notamment en walking simulator à l’image du récent Summertime Madness qui suit un artiste coincé dans sa peinture pendant la guerre, conclut Thomas Meynen. Je ne veux surtout pas ça, je préfère rester dans la 2D et creuser à l’avenir des artistes comme Kandinsky, Malevitch ou Klee. » Un choix en parfaite adhésion à l’allergie que suscitait la 3D chez Mondrian.
Please, Touch the Artwork, édité et développé par Waterzooi Studio, âge: 8+, disponible sur Android, iPhone, Mac, PC et Nintendo Switch. ***(*)
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