L’open-bar des opinions impopulaires

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Une opinion impopulaire, ça se balance sans crainte des retombées, des représailles, de sa réputation, de son image, des Feux de l’Enfer… De façon plus assumée et naturelle que sur Twitter, donc. Ce Crash Test S06E23 nous en fait la démonstration.

Sur Twitter, je suis le plus souvent déçu par le hashtag #unpopularopinion. C’est que moi, lorsque l’on m’annonce une « opinion impopulaire », je m’attends à ce que cela secoue, fasse hurler de rire ou vaciller les certitudes. Bref, que ça y aille à fond et peu importe que je sois d’accord ou non avec le propos. Je me souviens ainsi de Rudy Léonet avançant publiquement que Stanley Kubrick et David Lynch étaient, en gros, des escrocs. À l’époque, j’avais trouvé complètement grotesque que quelqu’un co-présentant une émission de cinéma puisse dire publiquement une telle énormité. J’ai ensuite été davantage d’accord avec ces propos, notamment après avoir subi la saison 03 de Twin Peaks et après m’être souvenu de l’impression de m’être pris par surprise un suppositoire géant à la sortie de Eyes Wide Shut. Mais peu importe mon avis. Quoi que l’on pense du fond, c’est en l’occurrence l’insolence de Rudy Léonet que je salue ici. C’est qu’il ne se retient pas, lui, au moment d’assumer une opinion impopulaire. Il n’a pas peur de passer pour une nouille, il ne cherche visiblement même pas à simplement provoquer le public. Pour lui, Kubrick et Lynch sont des escrocs et il nous le dit de façon très naturelle, sur le ton de la conversation, peu importe que cela écorne son image et sa réputation. Sur Twitter, on n’atteint jamais ce niveau d’assurance très respectable. Les opinions soi-disant « impopulaires » y restent le plus souvent banales, sans doute même prudentes et mesurées. À titre d’exemple, ce dimanche 7 février 2021, lorsque vers midi j’ai entré #unpopularopinion dans la barre de recherches de la plate-forme, voici ce qui en est ressorti:

Ad Astra est un film intéressant. La choucroute, c’est meilleur réchauffé le lendemain. Breaking Bad dure trop longtemps, avec trop d’axes narratifs inutiles et des personnages horribles, dont Marie. La Cité de La Peur est largement pompée des films du trio Zucker, Abrahams & Zucker et Kaamelott de Monty Python & The Holy Grail. Star Wars est surcoté. Le Jour de la Marmote est nul. La voix d’Edith Piaf est crispante. Les réflexions de George Orwell sur la novlangue sont simplistes, fausses et dépassées. Un opossum est aussi mignon qu’un chat. Jack Nicholson, très mauvais acteur, a détruit Vol au-dessus d’un nid de coucou. Le céleri est l’élément le plus important d’un Bloody Mary digne de ce nom. Dans Bridgerton, Marina est le personnage le plus insupportable. La La Land est le plus mauvais film de l’histoire. Snoop Dogg est bien meilleur que 2Pac. Le confinement, c’est cool quand on n’aime pas trop la fausseté des interactions sociales.

Bref, on navigue là entre l’enfonçage de portes ouvertes et la parodie involontaire de JAADTOLY (« Breaking Bad, ça m’impressionne moins qu’un beau chapeau. La meth, j’ai essayé un soir dans un festival de musique boum boum. C’est d’un ennui, fieu. Je préfère de loin une bonne blanquette. Rodrigo, fuego…« ). Pourrai-je toutefois faire mieux? Pourrai-je comme Rudy Léonet balancer au public une opinion personnelle ayant de grandes chances d’être impopulaire mais qui ne soit pas du jeu, ni de l’exagération, ni de la provocation? Juste l’expression naturelle d’un simple ressenti personnel.

Allez, je me lance: Banksy est le Denis Meyers anglais et tous deux ont plus leurs places dans une carterie de centre commercial, entre posters Marvel et AC/DC, que dans les annales du street art. Les Beach Boys ne sont pas qu’inécoutables, leurs disques présentent aussi un danger pour la santé publique, provoquant le diabète dès l’ingestion de 3 chansons d’affilée. Le seul bon album de The Cure est Standing on a Beach, leur première compilation de singles. Le Pulitzer du journalisme musical ira à celle ou celui qui nous datera avec précision le moment (1995?) où de génie incontesté de la musique, Brian Eno s’est transformé en ersatz de Jacques Attali, avec un avis sur tout à la Raymond-La-Science. Ce que le rock blanc a fait au blues noir, la techno afro-américaine l’a refait à Kraftwerk. Queen est un groupe infâme. Comme Cure donc, les Rolling Stones sont un groupe à singles et ils n’auraient jamais dû sortir d’albums. Comme Blur aussi. Et Michael Jackson mais là, c’est plus compliqué, vu qu’il sort des albums qui deviennent ensuite des collections de singles. La place de Virginie Despentes n’est pas en littérature mais au poste de rédactrice en chef du site Madmoizelle. La version de Chase (le thème de Midnight Express) de 13 minutes et 06 secondes par Giorgio Moroder et Harold Faltermeier sur Casablanca Records en 1978 contient plus d’émotions et a été plus influente sur l’histoire musicale que toute la carrière solo de Paul McCartney.

Barry Lyndon et Les Sentiers de la Gloire sont les seuls films irréprochables de Stanley Kubrick. Blue Velvet est le seul véritable chef d’oeuvre de David Lynch. Clint Eastwood a moins de bons films à son palmarès qu’un pied n’a d’orteils. Robocop est le seul film de super-héros vraiment bon. L’oeuvre de la romancière Anna Kavan est largement supérieure à celle de Virginia Woolf sur des thèmes pas si éloignés que ça. Dans un univers parallèle existe ce qu’on appelle la justice artistique et donc, Star Wars n’existe pas: ce sont les adaptations de Lone Sloane de Philippe Druillet et de l’Arzach de Moebius qui y cartonnent à échelle planétaire. Une dernière pour la semaine: et si c’était au fond plutôt une bonne chose que la culture soit largement laminée par le Covid à une époque où une majorité de l’offre culturelle ne présente justement que peu d’intérêt? Cela dit: #unpopularopinion ou #suicidesocialpublic, cette dernière?

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