Serge Coosemans
Trollages et aigreurs, le cinéma, cinémaaaaaa de Hugues & Rudy
Plus triste qu’amusé, Serge Coosemans nous livre sa petite théorie de comptoir de la semaine: et si les critiques cinéma de Rudy Léonet et Hugues Dayez, duo qui sort en ce moment un nouveau bouquin sur le sujet, étaient plus emblématiques d’un malaise médiatique très actuel que simplement sympatoches et marrantes? Carambolages et tir au gros, c’est le Crash Test S02E12.
Chez Marque Belge, Hugues Dayez et Rudy Léonet viennent de sortir un ouvrage où ils recommandent 100 films. Autant y aller direct: ce truc vous crée plus rapidement un trou noir de poche que le grand collisionneur de hadrons du CERN. Déjà, il s’agit moins de véritables recommandations cinématographiques que de la retranscription d’une longue conversation entre Dayez et Léonet et qui a écouté leur émission 5 heures ne fut-ce que 5 minutes sait que si Electrabel pensait à raccorder ces deux zigues à un générateur, il n’y aurait plus besoin d’implanter des éoliennes en Belgique. « C’est un bouquin avant tout destiné à leurs fans », m’a averti l’éditeur, et il est vrai que le duo en compte un petit paquet, il faut le reconnaître. Moi-même j’ai rencontré et fréquenté quelques personnes qui raffolent du ton et de la déconne de 5 heures, ainsi que de l’alchimie improbable entre « Hugues & Rudy ». Le plus étonnant, c’est que ces mêmes personnes se foutent généralement quasi complètement des films dont cause le duo. Ces fans les voient comme des « comiques », pas comme des critiques fiables, notamment parce que beaucoup trop égocentriques et trop accrochés à leurs propres lubies (l’académisme un poil excentrique pour l’un, l’émo midinette pour l’autre…) que pour pouvoir parler de façon distanciée et « juste » des films qui ne répondent pas à leurs propres critères et à leurs propres attentes. Bref, voilà des types qui parlent de cinéma pour des gens qui se foutent pour ainsi dire complètement du cinéma. Ce qui pourrait moi aussi me faire marrer si…
Dans le bouquin, Rudy Léonet avance par exemple ne pas aimer David Lynch, ni Stanley Kubrick, mais en fait par ailleurs des caisses et des caisses sur Judd Apatow, la filmographie de Michael Cera et le vraiment très nullard Pacific Rim. Soit. Cela suffit très certainement à le décrédibiliser à de nombreux regards et à provoquer bien des cinéphiles mais POURQUOI PAS? « Bring it on, Rudeboy » et que du laïus naisse le rire, la réflexion, la distance, la révision même, n’importe quoi… Il ne serait pas le premier à déboulonner des statues, à questionner une surestimation et à réhabiliter l’indéfendable. Quand Quentin Tarantino analyse à sa façon Top Gun ou que le journaliste français David Blot défend l’immonde Showgirls, c’est marrant, par moments brillant même. Ça fait réfléchir, c’est fun et peu importe que l’on soit d’accord ou non. Mais Rudy Léonet, lui, n’explique rien. Il se contente de balancer que David Lynch serait « un pionnier du racket » et Kubrick « quelqu’un qu’il n’aime pas non plus ». Plus loin dans le bouquin, il accuse encore Saw et Hostel d’être des films « abjects », qui relèvent du « cinéma d’extrême droite ». En fait, Rudy Léonet donne son avis comme tweete Donald Trump. Il balance ce qui lui passe par la tête, comme ça, sans recul, probablement même sans réflexion, et un peu trop souvent sur ce qu’il ne connaît pas ou très mal. C’est donc un troll.
Dayez, c’est différent. Dayez est risible pour ses côtés exagérément « vieux garçon » et pour avoir réagi il y a une vingtaine d’années à la Palme d’or remportée par Pulp Fiction exactement de la même façon que le Roi Baudouin avait réagi au passage de la loi dépénalisant l’avortement mais Dayez sait de quoi il parle, argumente et articule ses avis, cite des références. Ce n’est pas un « grand » critique cinéma mais si la RTBF engageait des Serge Daney ou des Louis Skorecki, ça se saurait. Dans le bouquin, Dayez défend David Lynch, prend la peine de démonter l’accusation d’escroquerie artistique en rappelant les quelques films indispensables de sa carrière. S’il avait pris le temps d’un peu réfléchir et de rebondir sur le sujet, je suppose qu’il aurait aussi pu rappeler à Léonet que le cinéma de droite et d’extrême droite, c’est sans doute moins Saw et Hostel, films d’horreur simplement morveux et fiers de l’être, que Les Choristes et Amélie Poulain, saloperies moralisatrices au sous-texte politique bien réel.
Je ne vais pas mentir et encore moins jouer au petit angelot, je me suis procuré ce bouquin dans le seul but d’en rire publiquement et de façon assez carnassière encore bien. Cela fait 20 ans que je me fous de la tronche de Hugues & Rudy à la moindre occasion mais cette fois-ci, il faut bien avouer que je me sens nettement plus triste que rigolard au moment de livrer ma bafouille. Je n’avais effectivement jamais percuté une sinistre évidence, carrément drôlement glauque en cette fin 2016. C’est qu’en jouant sur la complicité entre un simple troll et un « expert » nostalgique que la modernité fatigue, le tout pour amuser un public qui se fout totalement de savoir si ce qui est dit est vrai ou faux, valable ou couillon, Dayez et Léonet ont en fait peut-être bien préfiguré, à leur façon et à leur niveau, la mouise médiatique dans laquelle, aujourd’hui, nous coulons tous. Ouais, ça non plus, c’est pas du cinéma.
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