Le succès des jeux vidéo écolos à la Gamescom 2023

Ultros, un jeu habité par le rapport à la nature. © dr
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Qu’il s’agisse de ramasser des déchets sur la plage ou d’annihiler l’humanité pour sauver la Terre, la Gamescom 2023 alignait une foule de jeux écolos. Visite guidée de six titres, loin de tout cliché.

Depuis plus de trois décennies, le jeu vidéo ne se soucie guère d’écologie. Pas sérieusement, du moins. De SimCity à Civilization, de nombreux jeux de gestion cultivent ainsi l’illusion d’une croissance humaine doublée d’une industrialisation infinie. Six projets dévoilés lors de la dernière Gamescom de Cologne tournaient toutefois le dos à cet état de fait. Déjà amorcée par Frostpunk ou plus récemment par Terra Nil, cette lame de fond évitait toute approche moralisatrice au plus grand salon de jeu vidéo au monde. D’une civilisation de robots prête à reproduire les erreurs de l’humanité sur The Talos Principle 2 à la biodiversité viscérale et sous acide d’Ultros, gare à la marée verte!

Pendant la révolution industrielle, élargir nos rivières était considéré comme bénéfique pour l’humanité. Mais personne ne se doutait des conséquences écologiques ultérieures. La société de robots de The Talos Principle 2 est tiraillée par cette même peur, détaille Verena Kyratzes, narrative designer de la suite de ce célèbre puzzle game transhumaniste présenté à la Gamescom. Elle ne craint pas la technologie en soi mais bien les conséquences inattendues de l’usage de cette dernière. Cette société redoute donc sa propre expansion. C’est une parabole de ce que l’humanité vit face à l’état de notre planète. Même si son contexte est bien différent, The Talos Principle 2 en parle de manière très consciente.

The Talos Principle 2
The Talos Principle 2 © dr

L’humanité en voie d’extinction avait uploadé sa conscience collective dans des androïdes pour survivre sur le premier The Talos Principle. Ressortant ses puzzles vus à la première personne, sa suite plonge dans une société robotique politisée et effrayée par sa propre évolution. Ce jeu qui pourrait se rapprocher de personnalités comme l’autrice écologiste Donella Meadows ou du sociologue et historien Jacques Elle ajoute plusieurs éléments à ses célèbres énigmes à base de rayons lasers fractionnables. Qu’il s’agisse de jouer avec la gravité en marchant à l’envers ou d’ouvrir des portails dans des murs pour y faire passer lesdits rayons, ce trip aux décors somptueux devrait valoir le détour. Sortie prévue d’ici la fin de l’année.

Si le bilan carbone de notre pays ne figure pas parmi les pires au monde, deux jeux belges se penchaient au chevet de notre planète lors de cette dernière Gamescom. Les Louvanistes de Happy Volcano y dévoilaient ainsi Re:Newall, un improbable jeu de ramassage de déchets recouvrant des décors paradisiaques. Développé par les auteurs des excellents The Almost Gone et You Suck at Parking, ce jeu zen aux visées thérapeutiques se tapisse sur certains niveaux de 5 000 objets animés en temps réel, à collecter avec de multiples accessoires.

Re:Newall
Re:Newall © dr

Résonnant avec ce thème du dépotoir (coucou Katamari Damacy), Homecoming des Carolos de Maracas Studio demande de son côté d’éradiquer une menace souterraine émergente, résultat de l’enfouissement de déchets toxiques. Ce jeu d’action mâtiné de stratégie suit une humanité partie à la reconquête la planète bleue via un robot téléguidé. Encore non daté, le titre qui cite WALL-E parmi ses influences reste positif face à Project Planet – Earth vs Humanity. Disponible depuis peu sur Steam, ce party game stratégique demande en effet à six joueurs d’éradiquer l’humanité de la surface de la Terre. Épidémie, astéroïde, inondations… Pas facile de se débarrasser de l’humain, ce nuisible coriace.

Homecoming
Homecoming © dr

Moebius sous acide

Comme The Talos Principle 2 et Homecoming en témoignent, plusieurs jeux en démo à la Gamescom 2023 constataient les méfaits de l’action humaine sur notre environnement. Synergy expérimente par contre un champ des possibles plus positif. Ce cousin de Terra Nil se profile en effet comme un city builder (ou plutôt un eco builder) s’alliant avec la nature pour faire prospérer une civilisation. Notamment axé sur l’usage du vent et de l’eau, ce jeu français de Leikir Studio a en outre le chic d’emprunter le style visuel de Jean Giraud alias Moebius.

Mais il n’était pas le seul à le faire: Ultros, un metroidvania sous acide présenté en avant-première sur le salon gaming allemand, s’inspire des mêmes références graphiques, parmi d’autres. “Ultros revendique un propos naturaliste et écolo. Sa philosophie principale se lie à la notion de cycles karmiques: elle explore l’idée de loi de causalité, de retour de karma. Le rapport à la nature du jeu se fait aussi via du jardinage, détaille Pelle Cahndlerby, son narrative designer. Planter des graines à l’envi permet d’y faire pousser des plantes et même de créer des hybridations. Tout cela a un rapport avec ce qu’on mange dans le jeu. Le joueur y devient une partie de la nature, en prenant ce qu’elle nous donne.

Démarrant par un réveil amnésique coincé dans une station spatiale envahie de végétation, Ultros file comme un jeu entre exploration et combats en 2D vus de profil. Le sens du rythme de ses joutes veinées de zooms devrait valoir le détour puisque Niklas Åkerblad (le père d’Hotline Miami) dirige l’équipée. Du reste, Ultros luit comme un très bel objet mystérieux. Merveilleux et horrible à la fois. Au-delà de Moebius, on y retrouve ainsi des réminiscences visuelles du biologiste et artiste allemand Ernst Haeckel, mais aussi de Miyazaki, en particulier des monstres de Nausicaä de la Vallée du vent.

Project Planet - Earth vs Humanity
Project Planet – Earth vs Humanity © dr

Biologique, mécanique et intime, Ultros coule enfin au fil d’une B.O. orchestrale méditative et world comme on en a rarement entendu. “Le rapport à la nature d’Ultros habite son ADN puisqu’une bonne partie de son développement s’est étalé ces six dernières années, au fil de randonnées grandioses en Suisse, puis en Suède en enfin au Pérou, conclut Oscar Rydelius, son compositeur et sound designer. Cette quinzaine de virées a influencé le game design et le rapport au vivant de Niklas Åkerblad, mais aussi ma musique, d’une manière très profonde. Il n’était pas rare que j’emmène des instruments en pleine nature. Avec Niklas, on enregistrait tout ça dans notre cabane le soir. ça m’a permis de pratiquer le field recording et de découvrir des instruments incas zoomorphiques.” La nature s’avère un puits sans fond d’inspiration artistique qui, espérons-le, ne se tarira jamais.

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