Le Metaverse, cet opium des jeunes de 2030

© Facebook/Handout via REUTERS
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

En annonçant la mise en service d’un Metaverse d’ici 5 à 10 ans, Mark Zuckerberg entend surtout se positionner comme un nabab d’une réalité virtuelle aussi utopique que probablement ultra politiquement correcte. Ce qui est un non-sens absolu, selon ce Crash-Test S07E10.

À mes yeux, le principal intérêt d’un monde virtuel, c’est de pouvoir y faire des choses impossibles ou interdites dans le nôtre. C’est ce qui m’a tellement plu dans la série de jeux Grand Theft Auto. Je suis d’un naturel plutôt pépère, je n’ai jamais passé le permis de conduire, je n’ai eu d’ennuis avec la police que moins de 10 heures dans toute ma vie et dans ce jeu, voilà qu’il m’était permis d’y devenir un véritable psychopathe, y compris du volant, et de tirer sur les flics au bazooka. Comme Ed Harris dans la série Westworld, j’aime ces univers qui encouragent l’exploration de ses instincts les plus enfouis, les plus asociaux, les plus noirs. Je préfère donc les jeux immersifs où il est permis de faire des dingueries, plutôt que de suivre des scripts, de trop réfléchir ou d’être obligé à une certaine adresse. Ma conscience est tranquille, car je ne pense pas que cela puisse systématiquement rendre violent et taré, ni forcément contaminer le réel. Je vois plutôt ça comme simplement cathartique et c’est bien pourquoi, à mes yeux, un Metaverse géré par Facebook ou Microsoft, et donc a priori ultra-politiquement correct, n’aurait pour ainsi dire aucun intérêt. Dans mon monde virtuel idéal, je dois pouvoir écraser mes ennemis en tank Sherman rose à pois verts sans risquer d’y être banni pour micro-agression. Je dois pouvoir tout casser, être ordurier, m’adonner à des coups bas, dégommer la veuve et violenter l’orphelin. Ce qui est en fait permis dans pas mal de jeux-mondes. Mais en serait-il de même dans un Metaverse géré par des compagnies qui interdisent déjà les représentations de seins nus et l’usage de certains mots jugés offensants pour certaines minorités?

Je suppose qu’il existera des metaverses violents ou même des zones de non-droit, « pour utilisateurs avertis », dans les mondes virtuels proposés par Facebook et Microsoft. Il existe un public, ainsi qu’une demande pour ça. Ou pas. C’est qu’un Metaverse existe déjà, quelque part, et il n’intéresse plus grand monde. Second Life. En 2006-07, c’était chaud boulette. Les médias en faisaient des caisses sur le sujet, les marques s’excitaient sur cette « nouvelle façon de communiquer » et même quelques partis politiques français s’y sont rués, en vue de l’élection présidentielle de 2007. Ça n’a pas duré. Aujourd’hui, Second Life existe certes toujours mais on est loin de la folie d’il y a 15 ans. En caricaturant à peine, on peut même dire que c’est devenu un jeu principalement sexuel. Il y a 5 ans, un article du Monde expliquait ainsi que Second Life était surtout « une porte d’entrée vers des échanges érotiques payants par voix ou par webcam » ainsi qu’un lieu « où s’expriment les fantasmes interdits: certains avatars s’adonnant à la pédophilie ou la zoophilie« . Ce même article brossait également un portrait-robot d’utilisateurs et d’utilisatrices surtout là pour « combler le temps, et parfois aussi la solitude« . Ce qui me rappelle que vers 2011-2013, lorsqu’il était encore très à la mode de se montrer féroce sur Twitter, les adeptes de Second Life étaient surtout perçus comme des No-Life.

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On retrouve d’ailleurs aujourd’hui cette accusation à peine transformée dans un clip de promotion du tourisme islandais, où un type parodiant la présentation amidonnée du Metaverse par Mark Zuckerberg rappelle qu’en Islande, on peut voir des merveilles naturelles qui existent vraiment. Autrement dit, que l’environnement réel peut largement suffire au bonheur des gens, pas besoin de leur offrir un monde parallèle inventé de toutes pièces, surtout si celui-ci se veut addictif et que son modèle économique implique qu’il soit largement tributaire de la publicité. Chez Vice, un podcast nous rappelle aussi que les metaverses sont une idée de science-fiction qui n’a jamais été utopique mais a bien au contraire le plus souvent été décrite en littérature comme franchement sordide. On fuit le monde réel devenu abomination environnementale et sociale à la Blade Runner vers une réalité parallèle beaucoup plus douce mais aliénante. Un paradis artificiel. Un nouvel opium. Mark Zuckerberg a beau prétendre que sa réalité virtuelle sera « la prochaine étape des réseaux sociaux« , ainsi qu’une « nouvelle forme de socialisation« , il est d’ailleurs déjà évident que pour qu’il fonctionne économiquement et que son succès dure plus longtemps que celui de Second Life, il devra rendre complètement accro. Il est trop tôt pour savoir comment ses concepteurs s’y prendront, vu que le Metaverse est attendu d’ici cinq à dix ans. Il n’en est pas moins couru d’avance qu’il se devra de fonctionner sur le modèle de l’assuétude durable et non pas celui de l’expérience transformative éventuellement psychédélique qui donne ensuite juste envie de se déconnecter pour se lancer dans un long voyage ou une forme de création.

Il est aussi évident que la plupart d’entre nous ne feront pas partie du public-cible. Moi, je serai ainsi probablement sexagénaire ou pas loin de l’être quand sortira ce truc et j’aurai donc beaucoup plus envie de revoir les glaciers islandais et les criques des Cornouailles juste avant le troisième âge plutôt que de partir à la recherche dans le Metaverse des amis que j’ai déjà sur Facebook pour les emmener troller une représentation virtuelle de l’Islande surtout inspirée des décors de Game of Thrones. C’est une réalité virtuelle qui visera les jeunes, nés alors que Second Life avait disparu des radars de la hype et dont l’enfance aura été marquée par les confinements, les parents en télétravail et l’ennui existentiel concomitant. Des personnes à qui on aura seriné que l’identité est fluide et que voyager en avion tient de l’écocide et qui auront donc peut-être bien une certaine habitude à se fabriquer des avatars, à beaucoup rester à la maison et à trouver le monde réel pas très folichon. Les crucifix et l’ail n’ayant pas l’air de fonctionner sur Mark Zuckerberg, les législations internationales non plus d’ailleurs, on ferait donc bien de dès aujourd’hui sauver toutes ces âmes. En leur offrant par exemple des champignons hallucinogènes, l’oeuvre complète de Bruce Chatwin et un aller-retour pour Uummannaq. Ou n’importe quoi d’autre qui permette d’arrêter de flipper et de recommencer à aimer le monde tel qu’il est.

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