Patrice Leconte: « Adapter Tintin au cinéma? Il y a moyen d’être fidèle »

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le cinéaste Patrice Leconte, qui fut d’abord dessinateur au magazine Pilote, revient à ses premières amours et à la bande dessinée. Et temporise « l’affaire Castafiore », même s’il se verrait bien adapter Tintin.

On pensait avoir eu une idée originale: interviewer le réalisateur Patrice Leconte pour le scénario de Deux passantes dans la nuit (1), album sorti à la rentrée et qui signait le retour discret d’une star du cinéma français à la bande dessinée, sachant ce que le grand public qui connaît de lui Les Bronzés ou ses plus fameux longs métrages (Ridicule, Tandem, Les Spécialistes) ne se rappelle peut-être pas: Patrice Leconte a d’abord tâté de la BD avant de se révéler au cinéma, et a passé cinq ans à la rédaction de Pilote dans les années 1970, fraternisant avec Goscinny ou Gotlib, coauteur du scénario de son premier film, en 1976 (Les Vécés étaient fermés de l’intérieur). Mais à peine avait-on convenu d’un petit coup de fil sans pression, que le thème « Leconte et BD » se mettait à affoler réseaux sociaux et médias culturels! Il a en effet suffit d’un mot – Tintin – pour que la Toile s’emballe et que le téléphone de Patrice Leconte explose. Impossible donc de ne pas évoquer avec lui cette éventuelle adaptation des Bijoux de la Castafiore en prises de vue réelles dont il a été beaucoup question ces dernières semaines. Et ce, même si son actualité, plus BD que ciné, se joue plutôt ailleurs.

Réalisme et fantaisie

Rappel des faits: au détour d’un entretien accordé au quotidien Var Matin, Patrice Leconte avait évoqué un projet en cours et au long cours, parmi d’autres: réaliser une adaptation du 21e album de Tintin. Adaptation pour laquelle son producteur français (Gilles Podesta, déjà producteur de son film d’animation Le Magasin des suicides) serait en train de négocier les droits avec Spielberg et la Paramount. Aussitôt dit, aussitôt démenti par la SA Moulinsart et son patron Nick Rodwell, qui gère pour son épouse, ex-épouse de Hergé, tous les droits de Tintin (tout en ayant vendu des droits d’adaptation audiovisuels aux Américains): non, il n’y a aucun accord autour d’un tel projet.

La BD, ce n’est pas du cinéma immobile!

Un sac de noeuds entre droits d’auteur et droit des affaires, et une colère de Rodwell digne du capitaine Haddock, que Patrice Leconte s’est échiné, depuis, à calmer. Mais pas à démentir: « C’est un projet qui m’a été proposé il y a déjà deux ans, mais rien n’est fait évidemment, et je ne m’occupe pas personnellement des droits. Il n’y a pas encore réellement de scénario, si ce n’est l’album et quelques notes d’intention, et à peine des accords de principe pour des acteurs qu’on envisage. Mais par contre, je le redis: ce serait formidable d’adapter l’univers de Hergé en prises de vue réelles. Ce n’est pas faux de dire que c’est compliqué, mais je crois qu’il y a deux types de bande dessinée: les réalistes, comme Michel Vaillant, et les fantaisistes, à la Gaston Lagaffe. Et ces dernières d’une certaine manière, sont inadaptables, on a pu s’en rendre compte récemment. Or, je crois que Tintin est précisément à la frontière de ces deux genres: un réalisme joliment teinté de fantaisie. Et cette poésie-là, je pense qu’il y a moyen de lui être fidèle, de rester au plus près de l’univers de Hergé et de son talent. Mais nous en sommes donc encore loin. » (Depuis notre entretien, Patrice Leconte et Nick Rodwell se sont parlés, la hache de guerre a été enterrée, et les producteurs continuent de négocier. Fin de la parenthèse Tintin.)

(1) Deux passantes dans la nuit (1/2), par Patrice Leconte, Jérôme Tonnerre et Alexandre Coutelis, éd. Grand Angle, 72 p.
(1) Deux passantes dans la nuit (1/2), par Patrice Leconte, Jérôme Tonnerre et Alexandre Coutelis, éd. Grand Angle, 72 p.

Un bédéiste qui a mal tourné?

Patrice Leconte n’a donc pas attendu cette hypothétique version filmée d’une bande dessinée pour y revenir: entre deux films, il a scénarisé ce Deux passantes dans la nuit, prévu en deux volumes (1). L’histoire de deux jeunes femmes, Arlette et Anna, qui vont passer une nuit dans le Paris désert de l’Occupation. Une rencontre et une errance dont l’atmosphère de couvre-feu, entre rues désertes et bars clandestins, semblent étrangement contemporaines. « Oui, l’histoire bégaie, mais heureusement pas pour les mêmes raisons! » Cet opus ramène le réalisateur cinquante ans en arrière, quand il fournissait dessins de presse et récits courts au Pilote de Goscinny. « Les choses étaient simples, à l’époque: j’étais monté à Paris pour faire une école de cinéma, mais j’avais besoin de sous, j’aimais griffonner et je lisais Pilote. J’ai donc écrit à Gotlib, que j’admirais. On a bu un café, on est devenus copains. Il a montré mes dessins à Goscinny, et voilà. Mais je ne suis pas un auteur de BD qui a mal tourné! C’était une parenthèse enchantée, je savais que je voulais faire du cinéma. J’y suis resté cinq ans, jusqu’à mon premier film. Je n’ai plus jamais revu Goscinny par la suite. »

Pourquoi, dès lors, ce retour au scénario (mais aussi au dessin: Patrice Leconte publie également chez Flammarion un Faites la tête! (2) pour enfants, huit petits contes drôles qu’il écrit et illustre)? « Avec Jérôme Tonnerre, qui travaille avec moi depuis des années, nous avons effectivement commencé à écrire cette histoire pour en faire un film. Très vite, nous nous sommes rendu compte que ce serait très compliqué: Paris, la nuit, l’Occupation, ça s’annonçait très cher, et le cinéma est de plus en plus compliqué à financer: aujourd’hui, par exemple, je ne pourrais plus faire La Veuve de Saint-Pierre (NDLR: sublime fresque historique qu’il avait réalisée en 2000). Mais cette histoire nous tenait à coeur. Alors on a pensé à une bande dessinée, et on a retrouvé une liberté folle. » En même temps qu’un vieux copain, puis Patrice Leconte a proposé à Alexandre Coutelis de dessiner le tout. Coutelis, au trait très stylisé et impeccable dans les atmosphères nocturnes, qu’il avait rencontré, il y a cinquante ans, chez Pilote. « J’insiste aussi là-dessus: la BD, ce n’est pas du cinéma immobile! J’ai tout re- découpé pour que ça fonctionne, mais au moment de l’écriture, nous ne pensions plus au support. Et pas de risque que ça ressemble à un storyboard puisque je n’en fais jamais pour mes films! Je cadre moi-même, et là, je n’ai pas besoin d’un petit dessin. »

(2) Faites la tête!, par Patrice Leconte, Flamarion Jeunesse, 128 p.
(2) Faites la tête!, par Patrice Leconte, Flamarion Jeunesse, 128 p.© SDP

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