Laurent Raphaël

Sur les écrans, les pères n’ont plus le beau rôle (édito)

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La paternité en prend un coup sur les écrans. Lâches, impuissants, paumés, les pères n’ont plus le beau rôle dans les films et séries récents. Un effet secondaire de la crise de la masculinité?

Comment vont les pères en 2023? Pas fort si l’on en juge par le baromètre des nombreux films qui abordent le sujet ces derniers mois. Absents, défaillants, impuissants, lâches, tyranniques, paumés, dépressifs… La liste de leurs déficiences laisse peu de doutes sur le malaise qui oxyde la figure paternelle toute-puissante. Une crise existentielle et morale qui trouve dans les rapports pour le moins compliqués que les géniteurs entretiennent à l’écran avec leurs enfants un puissant et cruel révélateur.

On peut tirer de ces expériences souvent tragiques une typologie des désordres actuels du daron: dans la catégorie “père en quête désespérée de rédemption”, le Charlie de The Whale se pose là. Enfermé dans un corps monstrueux qu’il maltraite pour expier une culpabilité souterraine, le personnage incarné avec force prothèses par Brendan Fraser -fraîchement oscarisé- tente de renouer le contact avec sa fille ado, qu’il a abandonnée, ainsi que sa mère, neuf ans plus tôt pour vivre une idylle avec un homme. Un retour de flamme paternel alimenté par une santé déclinante. Si elle cède à la curiosité et à la perspective d’une réparation financière, Ellie n’est pas prête pour autant à pardonner sans lui balancer ses quatre vérités, d’autant qu’elle pressent que sa part sombre s’est nourrie du vide affectif laissé par le départ de Charlie. Qu’importe, il se contentera des miettes qu’elle voudra bien lui donner, bien conscient qu’il ne mérite pas mieux.

Nettement plus présent, plus concerné, plus équilibré, plus affectueux, le Peter de The Son coche toutes les cases de la réussite. Du moins sur le papier car cette belle façade -un poste de cadre avec bureau haut perché à Manhattan, un appartement classieux dans les beaux quartiers et un bébé avec sa nouvelle épouse- n’empêche pas son fils de 17 ans de sombrer corps et âme dans une profonde dépression enclenchée par le divorce de ses parents quelques années plus tôt. Un gouffre béant dans la construction identitaire de ce garçon rongé par la rancœur et l’autodestruction. À travers cette spirale infernale, Florian Zeller pointe la contradiction, sans la juger, entre un discours d’émancipation post-soixante-huitard invitant à refaire sa vie à sa guise, et les conséquences psychiques de cet hédonisme décomplexé sur la progéniture. Les répliques de certains séismes émotionnels comme une séparation se font parfois sentir des années plus tard à d’autres étages. Effet boomerang garanti. Un trauma à retardement que Florian Zeller aborde ici avec tact, bien aidé par la prestation cinq étoiles d’un Hugh Jackman pudique et démuni. Même les pères parfaits salissent leur tablier…

© National

On croise aussi la situation inverse, comme dans le magnétique Aftersun. Soit le récit flottant et vaporeux, vu à travers les yeux et la caméra d’une fillette de 11 ans, de vacances passées en Turquie avec son père. La complicité qui les unit ne dissipe pas complètement le voile de mélancolie qui enveloppe ce père aimant mais comme détaché de tout. L’insouciance qu’il affiche cache de moins en moins un mal-être profond, subtilement consigné par le regard poétique et sensoriel de la réalisatrice Charlotte Wells.

On pourrait continuer encore longtemps la liste, épingler par exemple le Ted Lasso de la série télé homonyme, mal dans sa peau d’entraîneur exilé loin de son fils, ou le patriarche saturnien de la redoutable saga Succession, dont l’intransigeance et la soif de pouvoir ont engendré divers troubles du comportement chez ses enfants.

Après le constat, les explications. D’où vient cette crise majeure de la paternité? Hypothèse la plus plausible: il s’agit d’une sous-déflagration d’un déboulonnage plus global, celui de la masculinité. Jusqu’à preuve du contraire, derrière tout pater se cache un homme. En renversant la table des privilèges que se sont octroyés ces messieurs depuis la nuit des temps, le (néo)féminisme bouscule aussi les codes de la filiation. Les mâles sont priés de se déconstruire aussi sur ce terrain-là. En ce sens, la prise de conscience des conséquences, même néfastes, de leurs actes en tant que pères est un premier pas vers une meilleure prise en charge. D’eux-mêmes et de leur généalogie.

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