Pourquoi la pop culture ne fait plus recette dans la pub

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Le célèbre tube de Lio file la banane à un spot d’Apple. Un petit parfum d’antan, quand la pub multipliait les références à la pop culture. La fragmentation des audiences a changé la donne.

En puisant son inspiration dans le bouillonnant chaudron de la pop culture, le nouveau spot d’Apple célébrant l’arrivée d’un iPhone 14 couleur canari nous a rappelé a contrario que la publicité jouait nettement moins la carte des références culturelles cultes que par le passé. On y voit un hipster déambuler dans un décor urbain méridional typique -rues étroites, soleil généreux, linge qui pend aux fenêtres, Vespa le long du trottoir, gamins qui jouent au foot. Quand une musique étouffée se fait entendre, le jeune homme porte la main à la poche de sa chemise et en sort un smartphone jaune citron. Un coup d’œil à l’écran et il décroche d’un doigt expert, ce qui a pour effet immédiat d’éclaircir le son et de faire basculer la scène dans un univers cartoon hyper coloré.

Les plus de 40 ans auront immédiatement reconnu la mélodie irrésistible de Banana Split, galvanisée par les paroles à double sens érotique de Lio. À l’image, les corps se ramollissent, s’étirent, le personnage enjambant la foule et les rues dans un méli-mélo organique de dessin animé et de prises de vues réelles. On ne peut pas ne pas penser à la texture graphique psyché du Yellow Submarine des Beatles. Jusque dans la baseline -“Hello Yellow”- qui ponctue ce film enjoué et frais, qui pourrait bien affoler les streams du tube fruité de 1979.

En cherchant bien, on trouve certes encore des exemples de réclames -comme on disait dans le monde d’avant Internet- qui se réfèrent à un patrimoine culturel commun mais c’est devenu rare. Dans la dernière livraison des Inrocks, deux annonces jouent cette carte: l’une de la marque Céline, en montrant une image noir et blanc classieuse de Bob Dylan une Gibson dans les mains, l’autre du fabriquant de montres Oris, en faisant dialoguer le fond vert du modèle exposé avec la bouille de Kermit, la célèbre grenouille du Muppet Show. On comprend le message: transmettre l’idée de patine et d’intemporalité, avec une pointe de subversion, pour la première. De fun, d’impertinence et d’autodérision pour la seconde. Mais bon, on parle ici de la presse écrite, et d’un support qui s’adresse à un public trié sur le volet, donc a priori outillé pour décoder au premier coup d’œil les allusions aux monstres sacrés du cinéma, de la musique, des jeux vidéo ou de la télé.

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Pour les grandes campagnes généralistes par contre, celles qui s’adressent urbi et orbi et utilisent les médias de masse, c’est nettement plus flou. Le mariage entre pub et pop culture semble en effet battre de l’aile. La dernière vague d’insémination d’embryons culturels dans l’utérus publicitaire remonte probablement à Game of Thrones. À l’époque, les agences de com de Mercedes, de Greenpeace ou encore des fromages RichesMonts s’étaient amusées à détourner à leur compte l’ambiance crépusculaire et le mantra glacé de la saga -pour rappel, Winter is coming- pour vanter l’un la vitesse de déplacement dans les conditions hivernales, l’autre le dérèglement climatique, le troisième les bienfaits de la raclette. Un petit parfum fin de (XXe) siècle quand la pub s’abreuvait abondamment à la source geek, saupoudrant ses créations de sous-entendus à Star Wars, à Pac-Man, à Retour vers le futur, à Men in Black ou à Lara Croft. Un corpus partagé par le plus grand nombre.

C’est sans doute là qu’il faut chercher la source de cette relative désaffection: avec l’émiettement de l’attention depuis l’arrivée des réseaux sociaux et des plateformes, le capital culturel commun s’est réduit comme un pull en laine lavé à 60 degrés. Le cercle des amateurs de séries vit sur une autre planète que celui des accros de jeux en ligne. Et même à l’intérieur d’un cercle, chacun choisit sa temporalité, ce qui brouille encore un peu plus les cartes, notre logiciel cérébral ayant désormais peu de chance de partager le minimum de ressources intellectuelles communes nécessaires pour entrer en empathie avec son voisin.

On pourrait s’en foutre ou même se réjouir que la pub ne fasse plus son beurre sur le dos de l’art. Sauf que comme la disparition des insectes atteste de la catastrophe climatique à venir, le reflux de campagnes qui brassent et cimentent ces jalons pop dans la population est sans doute le signe d’un effritement du socle de valeurs sanctuarisées. Un de plus…

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