L’édito : Morne saison

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Coucou, nous revoilou! Comme convenu, Focus est de retour avec ses rubriques, ses dossiers, ses orgasmes, ses indigestions et bien sûr ses indispensables programmes télé. De quoi affronter une rentrée qui s’annonce culturellement riche et excitante, à défaut de promettre un avenir radieux. Mais ne brûlons pas les étapes. Rendez-vous la semaine prochaine pour détailler ce copieux menu.

En attendant, l’heure est à un premier bilan d’une saison en enfer -on ne va pas refaire ici la liste des calamités- qui aura largement confirmé le dérèglement climatique -quelle surprise!- mais aussi culturel. Certains rêvaient d’un retour à la situation d’avant le Covid, les plus optimistes tablant même sur un cru exceptionnel grâce à un effet de compensation alimenté par le besoin décuplé du public de profiter de la liberté retrouvée après deux années sous cloche.

Las, si ce scénario semble s’être vérifié pour l’industrie du tourisme, qui a retrouvé le sourire, les embouteillages monstres et les plages bondées, son impact a été nettement moins évident dans le domaine artistique. Même sans avoir les chiffres des salles de cinéma qui peinent à se relever de la pandémie -mais qui devraient avoir bénéficié cet été de l’effet booster de franchises familiales populaires comme Thor ou Les Minions et du charisme intact de quelques vieilles gloires hollywoodiennes, Tom Cruise (Top Gun: Maverick) et Brad Pitt (Bullet Train) en tête-, l’impression générale est plutôt mitigée. Il n’y a qu’à voir la situation très contrastée sur le front des festivals, traditionnel baromètre de l’état de santé du secteur dans son ensemble, pour doucher illico tout excès d’enthousiasme. Le patient est au mieux toujours convalescent.

Un signe parmi d’autres, les nouveaux venus n’ont pas fait le plein. Peu importe l’affiche. Au point que certains ont jeté l’éponge (ou reporté d’un an). C’est le cas d’Atom, derrière lequel on trouve pourtant Les Ardentes. Le flou persiste donc après ces deux mois-test. Et l’équation financière vire au casse-tête. Car dans le même temps, les coûts généraux, à commencer par les cachets des artistes, se sont envolés, plaçant la barre de l’équilibre financier à un taux de remplissage encore plus élevé qu’avant. Pour les indépendants, qui ont moins de marge de négociation, on parle de 95% minimum pour espérer être rentables. Difficilement tenable.

Bien malin qui pourrait tirer des prévisions fiables de cette météo capricieuse. On peut tout juste émettre quelques hypothèses. Que le public a privilégié les valeurs sûres, d’autant que le budget était serré et qu’il fallait aussi garder des sous pour les vacances dans le Sud. Ou que les jeunes, sans doute plus résilients, ont moins hésité à se déplacer, contrairement à leurs aînés, qui ont préféré la Bretagne ou le jardinage. Ce qui expliquerait en tout cas en partie les revers des Francos et de Hear Hear, dont le cœur de cible est justement les 40+. Même si on nous rétorquera que les méga concerts des Rolling Stones ou de Coldplay ont fait stade comble sans problème.

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L’enjeu de tout ça n’est pas seulement économique. S’il se confirme, ce désamour larvé avec la culture fait craindre une détérioration de la qualité de l’air ambiant. Et pour les plus jeunes générations, le spectre d’une moins grande aptitude à identifier et à se débarrasser des chaînes mentales. Dans une société toujours axée sur la performance malgré les beaux discours émancipateurs, l’imaginaire est le dernier territoire à conquérir, à contrôler, à privatiser. Un territoire aujourd’hui menacé. Par les images qui circulent en flux sur Instagram et TikTok, et qui transforment la cervelle en marmelade. Mais aussi par une soumission aveugle à la technologie. En Chine, des élèves écrivent désormais avec des stylos “intelligents” munis de caméra. Sous prétexte de pouvoir suivre à distance leurs progrès, on les prive de la possibilité de rêver, de gribouiller, autant de petits pas de côté qui stimulent la créativité. Le cancre de Prévert n’aurait même plus le temps de dire “non avec la tête” et “oui avec le cœur” qu’il serait rappelé à l’ordre par une machine…

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