Le couple, un modèle dépassé?
Le couple hétéro traverse une crise sans précédent dont la fiction se fait largement l’écho. Dernier exemple en date: Anatomie d’une chute, l’impressionnant récital de Justine Triet.
Anatomie d’une chute, qui a débarqué sur les écrans auréolé de la Palme d’or et d’une presse dithyrambique (voir notre dossier), nous plonge dans les recoins obscurs d’un couple suite au décès suspect -suicide ou meurtre par sa femme?- du mari. Au-delà de la mise en scène virtuose de Justine Triet et du cas particulier de cette relation dévitalisée, le film illustre à sa manière, vénéneuse et trouble, la crise que traverse le modèle du couple hétérosexuel hérité de la tradition patriarcale, et validé par toutes les religions monogames depuis des millénaires.
En s’attaquant à cette institution “légitime”, en en révélant les zones d’ombre et les désaccords, la réalisatrice française dit quelque chose de l’amour au temps, non du choléra comme dans le roman de Gabriel García Márquez, mais de la remise en question post-#MeToo des modes de vie et de domination. Un séisme dans l’ordre marital des choses. Et une remise en question profonde, irréversible d’un pilier de l’organisation sociale et affective, déjà ébranlé il est vrai par les revendications LGBTQIA+.
Les artistes ne vivent pas sur une autre planète -même quand ils sont perchés-, aussi les questionnements, les convulsions qui affleurent au gré des mouvements d’émancipation imbibent leur travail. Leurs sonars particulièrement sensibles aux turbulences anticipent même souvent ces tectoniques, leur donnant une ampleur et une visibilité qui contribuent avec d’autres -les médias, les associations militantes, etc.- à les inscrire de gré ou de force dans l’inconscient collectif et à l’agenda politique. On peut se positionner contre les revendications des femmes, des minorités, etc. (on assiste d’ailleurs à un violent “backlash” de certains cercles réacs peu pressés de perdre leurs privilèges) mais plus les ignorer. Identifier les oscillations récurrentes sur le sismographe culturel donne ainsi une idée assez précise des tensions qui traversent et fracturent la société, notamment sur le front domestique.
Un rapide tour d’horizon de la production récente confirme largement l’impression que l’union ne fait plus nécessairement la force. Au cinéma, outre le Triet évoqué, des films comme Barbie ou Passages labourent les mêmes territoires féministes, en mode divertissement acidulé pour le premier, en mode intime et triangle amoureux pour le second. Ces scénarios dynamitent la norme en même temps qu’ils explorent les nouvelles combinaisons possibles de la vie sentimentale.
Les séries ne sont pas en reste. Même quand elles semblent s’aventurer sur des genres bien codés, la question relationnelle n’est jamais loin. La place occupée par les déboires conjugaux de l’ambassadrice de choc dans La Diplomate est un cas d’école. Sa vie de couple chahutée est un axe narratif à part entière de l’intrigue. Avec un message sous-jacent fort: n’en déplaise à son mari, sur la touche diplomatique, c’est bien sa femme qui porte désormais la culotte. Le couple dysfonctionnel est encore à l’épreuve dans State of the Union sur Arte. Un miroir de la vie à deux et de ses déboires tendu par deux vieux routiers de la comédie grinçante, Nick Hornby et Stephen Frears.
La littérature est un autre creuset de cette vaste et légitime entreprise de démolition. Chute d’un prédateur dans Western de Maria Pourchet (Stock), autopsie d’un féminicide dans Pauvre folle de Chloé Delaume (Seuil): plusieurs romans attendus de cette rentrée portent le fer dans la plaie d’une cellule familiale devenue irrespirable, voire carrément cancéreuse.
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Même s’il tient encore sur son socle (pour le pire mais aussi heureusement encore souvent pour le meilleur), le couple hétéro n’est plus le standard absolu, l’idéal derrière lequel courent aveuglément tous les garçons et les filles. Sur quoi va déboucher ce grand désordre affectif? Association à géométrie variable ou retour de bâton moral? Difficile à prédire. Il va en tout cas falloir de l’imagination pour réinventer un vivre-ensemble qui ne lèse aucune des parties. En jeu: la paix des ménages.
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