Laurent Raphaël

L’âge d’or du streaming déjà terminé?

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Sous pression, les plateformes de streaming comme Netflix, Prime et consorts réduisent la voilure et ressortent les vieilles recettes de la «télé de papa» qu’elles prétendaient mettre au rebus…

La promesse était sans doute trop belle pour être vraie. Contre quelques dollars par mois, le Terrien équipé d’une connexion Internet -soit potentiellement plus de 5 milliards d’individus- allait pouvoir consommer à volonté des séries, des films, des documentaires et même des concerts en ne bougeant pas de son canapé. La télé de papa, linéaire et soporifique avec ses vieilles recettes usées jusqu’au dernier pixel, avait vécu. Désormais c’est Netflix, l’ancien loueur de DVD par la poste, qui mènerait la danse.

Un “game changer” qui a fait trembler la puissante industrie du cinéma en siphonnant son audience -avec l’aide involontaire du Covid- et ses stars, attirées par la perspective de nouveaux revenus et d’un nouveau souffle créatif. En 2015, le patron de la chaîne FX, John Landgraf, a inventé un terme pour décrire la situation: la “peak tv”, ou la télé du pic, de l’abondance. Le concept de l’open bar appliqué au petit écran en somme.

Tout le monde y a cru. Après tout, le streaming, qui est au cœur de la matrice, avait déjà chamboulé les règles du jeu dans l’industrie musicale. Le robinet qui coule à flots est devenu un business model assez standard dans le monde du divertissement. Les poids lourds du jeu vidéo (Xbox, Sony…) se sont aux aussi massivement convertis à la formule magique “consommation illimitée contre abonnement payant”. Pas de raison donc de douter qu’on n’entrait pas de plain-pied dans une nouvelle ère.

Quelques années plus tard, l’heure est pourtant au désenchantement. La fête n’est pas complètement finie -on peut toujours se goinfrer- mais la bulle s’est dégonflée. La politique d’investissement massif n’a pas porté ses fruits, démontrant la fragilité économique d’un système qui parie sur une hausse continue et massive de clients. Les indices d’une contraction se multiplient d’ailleurs depuis quelques mois: baisse du nombre de nouvelles séries en chantier, retrait du catalogue des titres qui ne tournent pas assez (c’est le cas de Mrs. Fletcher notamment, qu’HBO a enterrée vivante comme le rappelait récemment Slate), licenciements massifs, interruption sans préavis de certaines séries -parfois en plein milieu d’une saison-, apparition de la pub, diffusion au compte-gouttes des épisodes plutôt qu’en une seule fournée pour limiter le binge watching… L’offre de stream ressemble de plus en plus à de la télé ordinaire. Un comble.

© National

On assiste au même phénomène que pour ces marques émergentes qui ont eu les yeux plus gros que le ventre et sont obligées subitement de revoir leurs ambitions à la baisse. Soit en adaptant les prix, soit en rognant discrètement sur la qualité des produits. Ou les deux à la fois. Pour beaucoup d’observateurs, plus aucun des opérateurs du streaming ne mettrait aujourd’hui sur la table les millions nécessaires pour une série comme Succession. Trop risqué. L’heure est à l’optimisation algorithmique. Les biscuits secs ont remplacé les petits fours.

Résultat: les plateformes font ce qu’elles promettaient de ne jamais faire, à savoir recycler à tour de bras les formats qui marchent. Comme à Hollywood. Quand ils ne maintiennent pas artificiellement en vie les blockbusters à coups de prequels ou de sequels (dernier exemple en date: Berlin, le spin-off de La casa de papel), les streamers s’adonnent au repackaging. Si un scénario marche, on le reproduit en changeant juste l’emballage. Voilà comment le paranormal se retrouve accommodé à toutes les sauces et à tous les genres. Voilà aussi pourquoi la grammaire visuelle et narrative d’une majorité de nouveautés semble répondre au même cahier des charges. Une série-étalon comme True Detective a ainsi été déclinée ad nauseam.

La promesse de la diversité et de l’audace des débuts -il n’y a pourtant pas si longtemps…- a fait long feu. On se dirige lentement mais sûrement vers une standardisation des contenus, avec une prise de risque artistique minimale. “Vous pouvez éteindre la télévision et reprendre une activité normale”, ironisait PPD dans Les Guignols. C’est peut-être le bon moment.

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