#MeToo au Festival de Cannes: le malaise sous les paillettes

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Si la menace de publication d’une liste de 10 prédateurs sexuels du milieu du cinéma s’est dégonflée, le malaise persiste au Festival de Cannes, alimenté par de nouvelles accusations #MeToo et l’absence d’électrochoc. Il est temps de secouer le cocotier.

Par Laurent Raphaël

Même s’il est habitué à supporter la pression, le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, se serait sans doute bien passé de la bombe à retardement #MeToo placée sous le tapis rouge quelques jours avant le début de la plus grande kermesse du cinéma. D’après une rumeur insistante qui allait enfler comme un cours d’eau un jour de pluie diluvienne, une liste de dix prédateurs sexuels actifs dans le milieu allait être révélée en pleine cérémonie d’ouverture. Difficile d’imaginer pire pour casser l’ambiance et donner la gueule de bois avant même d’avoir sifflé la première coupe de champagne.


La menace a fini par se dégonfler à la veille du D-Day. Il s’agirait d’une fake news semée par des comptes complotistes -objectif: démontrer la déliquescence morale de ce microcosme bien-pensant et alimenter plus largement la machine du chaos-, amplifiée ensuite par les réseaux sociaux et finalement « blanchie » -comme on blanchit de l’argent sale- lorsque des médias sérieux, Figaro en tête, l’ont reprise, lui accordant le crédit qui lui manquait pour être avalée toute crue. L’effet de contagion a fait le reste.


Le glamour a échappé cette fois-ci aux éclaboussures. Mais pas au malaise général. Car dans le même temps, plusieurs personnalités influentes du 7e art -comme le producteur Alain Sarde ou l’agent (trouble) Dominique Besnehard- se voyaient nommément accusées de divers crimes sexuels, y compris sur des mineur·e·s, propageant encore un peu plus l’impression nauséeuse que dans le cinéma comme dans la musique, l’édition, la politique ou le sport, la prédation a longtemps sévi -et sévit sans doute encore- à grande échelle et à tous les étages. Un « système » encore dénoncé dans une tribune parue mardi dans Le Monde et exigeant « une loi intégrale » contre les violences sexuelles. Pas un luxe quand on sait qu’une des condamnations pour viol de Harvey Weinstein a récemment été annulée en appel.


Les étoiles des idoles d’hier – Depardieu, Doillon…- sont en train de pâlir les unes après les autres, attisant un climat de méfiance auquel n’échappe pas la Croisette malgré ses envies de légèreté et de frivolité. En marge des projections et des enjeux purement artistiques, 
la question qui brûle toutes les lèvres à l’ombre du Palais est la suivante: à qui le tour? N’en déplaise au pompier Frémaux qui tente d’éteindre l’incendie en clamant candidement qu’il a pris soin « de faire en sorte que l’intérêt majeur de ce pour quoi nous sommes tous ici reste le cinéma« . Ajoutant même: « Comme il n’y a pas de polémiques, on les invente ou on les amplifie. » Mouais. Sauf que les suspects foulaient la carpette couleur grenadine il n’y a pas si longtemps encore…


Cannes n’en est pas à sa première polémique. On se 
souvient de l’édition 1968, annulée après quelques jours, le vent de révolte de la jeunesse n’épargnant pas une institution engoncée alors dans son classicisme. Le parallèle avec 2024 est tentant: le festival, de par son exposition, provoque un effet de loupe sur les grands enjeux sociétaux du moment. Tous les événements médiatiques, qu’ils soient culturels ou sportifs, doivent d’ailleurs désormais composer avec les soubresauts de l’époque. La polarisation des opinions et l’avènement de nouvelles formes radicales de militantisme sont passés par là. Même l’Eurovision, cette bulle de savon kitsch, n’échappe plus à l’actualité: 
après l’Ukraine, c’est le conflit israélo-­palestinien qui s’y est invité cette année.


Dans un monde interconnecté où la parole circule plus vite que la pensée, toute manifestation devient politique et donc potentiellement inflammable. Cannes aujourd’hui, les J.O. demain, au grand dam de Macron, qui espère écrire une page sans ratures du grand roman national. Ce que ces spectacles perdent en insouciance, ils le gagnent en responsabilité et en leviers de changements. 
Et tant pis pour l’opium du peuple.


Le courage de Judith Godrèche (après celui d’Adèle 
Haenel), les larmes de Juliette Binoche, la mobilisation d’une génération méritent plus qu’un peu de compassion: il est temps, messieurs, d’ouvrir les yeux, de se 
forcer à un examen de conscience et d’agir pour changer 
en profondeur les mentalités et les comportements. Osons rêver un Modern Love, pour citer le tube de David Bowie entonné par Zaho de Sagazan lors de la cérémonie d’ouverture. Un signe?

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