
Le point commun entre Dune, The Last of Us et Monte-Cristo? La vengeance y tient le premier rôle, et ce n’est pas un hasard
Dans une société à cran qui a vu proliférer les affects négatifs, la vengeance a trouvé un terreau favorable. Pas étonnant dès lors qu’on la retrouve en grande concentration dans la fiction.
Ce n’était d’abord qu’un sentiment diffus, un léger grésillement juste au-dessus du seuil de conscience. Et puis, peu à peu, au gré des séries, romans et films ingurgités à haute dose ces derniers mois, le bruit s’est amplifié pour devenir assourdissant: pour paraphraser la préretraitée Diam’s, y’a comme un goût de vengeance dans l’air. Le succès phénoménal du Comte de Monte-Cristo par exemple n’est pas seulement à mettre à l’actif de la prestation minérale de Pierre Niney, du déluge d’effets spéciaux tapageurs ou d’une nostalgie subite pour les films de cape et d’épée, mais s’explique sans doute aussi par le plaisir un peu sadique éprouvé par les spectateurs à voir Edmond Dantès dérouler son plan machiavélique pour punir les traîtres qui l’ont fait accuser à tort de bonapartisme, et privé de son idylle avec Mercédès de Morcerf par la même occasion.
La vengeance est aussi un plat qui se mange froid dans la série The Handmaid’s Tale, dont la sixième et ultime saison commence à débarquer en Europe. L’un des moteurs de cette dystopie féministe écrite par Margaret Atwood n’est autre que l’obsession du personnage principal incarné par Elisabeth Moss: anéantir le régime fasciste de Gilead pour tout le mal qu’il a infligé aux servantes réduites en esclavage. Il arrive aussi que cette soif de revanche prenne des accents plus psychologiques, moins ouvertement guerriers. Dans la série sans prétention La Meneuse (Netflix), qui raconte l’arrivée par accident à la tête d’une importante franchise de basket américaine de la cadette négligée de cette entreprise familiale, c’est contre le patriarcat et les préjugés que doit lutter Isla Gordon. Sa détermination est sa manière de prouver à titre posthume à un père misogyne jusqu’au trognon qu’elle méritait sa place dans le management.
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Qu’elle revête les habits de la comédie, du roman d’anticipation, du thriller sanglant ou du space opera, la loi du talion fait résonner sa petite musique à tous les étages de la fiction. Dans Dune: Part Two, c’est encore l’esprit de vengeance qui fait flamber le cœur de Paul Atréides, prêt à tout, y compris à embrasser un destin prophétique qui l’éloigne de sa bien-aimée et d’une vie rangée, pour éliminer les Harkonnen, responsables de la mort de son père. Némésis encore dans la nouvelle fournée de The Last of Us, l’un des arcs narratifs épousant les humeurs de la cheffe des Lucioles qui entend faire payer à Joel –le baroudeur traumatisé qui trimballe Ellie dans la saison 1– le meurtre de son paternel. Avec en filigrane ici comme ailleurs souvent, cette question: vaut-il mieux se venger ou pardonner? Clairement, la première option ouvre plus de perspectives scénaristiques et surtout, elle résonne davantage avec la prolifération des émotions toxiques –la colère, la jalousie, le ressentiment, la haine…– dans le champ social et politique.
Sans être toujours un vilain défaut puisqu’elle permet parfois de réparer une injustice, la vendetta se nourrit de ces affects négatifs. Elle est d’ailleurs souvent la réponse simpliste à un sentiment de décalage, d’écartèlement entre la vie idéalisée et valorisée par les écrans, et une réalité qui fragilise l’individu en le précarisant, en le cantonnant dans un rôle de consommateur compulsif et en le mettant en concurrence avec ses collègues, les étrangers, les machines. Bref, la vengeance, c’est un peu comme la nitroglycérine, difficile de la manipuler sans risquer de tout faire exploser.
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