Longtemps invisibles, les vieux jouent désormais les premiers rôles dans la fiction
Longtemps invisibles ou cantonnés aux rôles stéréotypés, les vieux trustent désormais les premiers rôles dans la fiction. Papy et mamy font de la résistance!
« Ils sont de retour! », clame une annonce publicitaire. Non, pas les irréductibles Gaulois, mais bien les joyeux lurons des Vieux Fourneaux. Le titre du huitième tome de leurs aventures annonce la couleur: Des graines de voyous. Car oui, on peut avoir dépassé la date de péremption officielle et ne pas se contenter de somnoler dans une maison de repos. Les Grands Ducs de la saga pilotée par Lupano et Cauuet profitent du temps qu’il leur reste pour mordre la vie à plein dentier, régler quelques comptes avec le passé et râler haut et fort sur tout ce qui va de travers dans la société. On peut être sur la pente descendante et néanmoins vivre avec son temps. Le tout assaisonné comme à chaque fois de bons mots, de gags intergénérationnels, d’une bonne dose de tendresse, de grosses colères et de trognes pas possibles. Le troisième âge au meilleur de sa forme!
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Ces anti-héros à la santé fragile mais au tempérament bien trempé font désormais partie du décor, au point qu’on en oublierait qu’une BD tous publics racontant les histoires de vieillards qui ne cachent ni leur âge ni leurs problèmes de tuyauterie n’allait pas de soi au début (en 2014) tant elle rompait avec la culture dominante de l’âgisme. Il n’y a pas si longtemps, dans la fiction en général, les seniors étaient cantonnés aux rôles stéréotypés: les pères, les mères, les marâtres, les patriarches, les vieux sages. Et les rares fois où un senior décrochait la timbale, c’était de toute façon un homme. Blanchi sous le harnais, Jean Gabin a continué de crever l’écran. Dans Le Clan des Siciliens notamment. On ne peut pas en dire autant pour les actrices stars de l’après-guerre, priées de céder la place aux nouvelles venues dès l’apparition des premières rides. On cherchera en vain le pendant féminin d’un Clint Eastwood, qui s’est encore mis en scène lui-même dans Cry Macho en 2021 alors qu’il abordait sa 90e année.
Mais les temps changent, comme le martelait l’ami MC Solaar. Et le succès populaire des trois vieilles canailles de la série publiée chez Dargaux est le symptôme d’une approche plus inclusive de la vieillesse. La longévité d’une Isabelle Huppert, toujours à l’avant-plan malgré un âge respectable, est un signe. On a aussi vu cette année d’anciennes gloires d’Hollywood faire un come-back aussi réjouissant qu’inattendu sur les petits et grands écrans. Et pas que dans des nanars, seul débouché pour pas mal d’acteurs délaissés. Kevin Kline (Un poisson nommé Wanda) s’amuse ainsi visiblement beaucoup dans la peau flétrie et le corps fatigué d’un professeur à la retraite et à l’hygiène douteuse dans la série Disclaimer, sa dégaine négligée tranchant avec le charme soigné de Cate Blanchett, sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise. À moins que ce ne soit qu’une illusion d’optique créée par un chirurgien compétent. Ce qui serait un indice que les braises de la tyrannie de la jeunesse, qui pousse même des femmes puissantes à se conformer aux normes esthétiques, couvent toujours…
Une transition parfaite pour évoquer un autre cas, celui de Dennis Quaid (L’Étoffe des héros). Il régale en producteur télé cynique dans l’un des films chocs de l’année: The Substance. Une fable grinçante sur le diktat de la beauté gravitant autour d’une actrice à l’étoile pâlissante qui pactise avec le diable pour retrouver sa superbe d’antan, et ainsi conserver son boulot. En dévoilant sa silhouette de femme mûre sous toutes les coutures, Demi Moore fait coup double: elle dénonce un système et impose un changement de regard. Et on pourrait encore mentionner dans un registre plus feutré la nouvelle série Netflix Espion à l’ancienne, dont l’intrigue se déroule carrément dans un home. Avec dans la peau du détective, non pas une gueule d’ange mais Ted Danson, 76 ans au compteur.
Dans le même temps, et c’est tout aussi révélateur, certains aînés profitent de ce nouveau chapitre de leur vie pour se réinventer. C’est le cas du vieux briscard Jeff Bridges, qui enchaîne les cascades dans la série The Old Man. C’est aussi le cas d’un futur ex-beau gosse, Hugh Grant, qui a attendu d’avoir 64 ans pour casser son image de dandy en jouant un sociopathe dans Heretic.
Autant de regards pluriels sur la vieillesse, ni idéalisée, ni forcément dépeinte comme le naufrage annoncé, à la manière émouvante mais éprouvante d’un Haneke dans Amour. Comme disait un certain Matisse, « on ne peut pas s’empêcher de vieillir, mais on peut s’empêcher de devenir vieux ». ●
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