Comment échapper au sentiment de trop-plein qui nous submerge?

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Face à la surabondance de stimulations, la saturation menace. Etat des lieux et conseils pour échapper au trop-plein et au sentiment de vacuité qui souvent l’accompagne.

Vous aussi, vous ressentez régulièrement une grosse fatigue, un sentiment de trop-plein, de saturation, de perte de repères et de sens? Avec, à la clé, cette impression d’être dans la peau d’un individu figé sur un quai de métro, autour duquel la foule indifférente glisse pour s’engouffrer dans les rames qui défilent en accéléré comme dans la mémorable séquence urbaine du Fantasia 2000 de Disney, au son du virevoltant Rhapsody in Blue de Gershwin. Bienvenue au club des submergés, des épuisés, des rincés!

Trop d’écrans, trop d’e-mails, trop de vidéos stimulantes ou avilissantes, trop d’obligations, trop de tentations, trop d’assignations, trop d’algorithmes, trop d’injonctions contradictoires, trop de datas, trop d’impuissance, trop de «ghosting» (traduction: le fait d’ignorer des sollicitations dans un cadre personnel ou professionnel), trop d’incertitudes, trop de bots, trop d’impatience, trop de dépendance à Insta ou TikTok, trop d’agressivité, trop de promesses non tenues, trop de fake news, trop de contraintes, trop de Strava… La vie ultramoderne était censée nous combler en nous dispensant des tâches les plus ingrates et en transformant le quotidien en buffet à volonté. Le modèle «à la demande» des plateformes de streaming appliqué à l’échelle de la société tout entière, en somme.

Et pourtant, après quelques années de ce régime survitaminé, on sature, on coince, on s’asphyxie. La fatigue de soi rattrape les plus endurants, tiraillés que nous sommes entre la promesse d’un séjour sur Terre all inclusive et le goût amer de la réalité, qui ressemble souvent à un morceau de cabillaud bourré d’arêtes. On devait se sentir plus libres tout en maîtrisant les technos. On se sent enchaînés et on ne contrôle plus rien. «La machine ne dépend plus de ce qu’on en fait, comme dans l’ancien paradigme des machines de première et deuxième générations. C’est plutôt nous qui dépendons de ce qu’elle peut faire», note l’écrivain Alain Damasio dans son essai extralucide Vallée du silicium (Seuil). Et d’ajouter: «On lui a tout délégué: notre sécurité, nos flemmes, nos routines mentales, nos déplacements, notre mémoire et nos archives […], notre façon d’échanger et d’aimer, de travailler et de nous divertir, notre narcissisme et nos pulsions et jusqu’à notre liberté d’agir par nous-mêmes –c’est-à-dire notre autonomie.» 

Une dépendance qui a un coût psychologique: la peur du vide, d’être exclu de la fête si on quitte un instant le dancefloor. Quel paradoxe! Pour échapper au sentiment de vacuité perçu comme une relégation, une défaite, on opte pour le débordement des sens, la surcharge mentale qui mènent tout droit à… la vacuité à laquelle on espérait échapper. Une thèse développée par le philosophe Renaud Hétier dans Saturation. Un monde où il ne manque rien sinon l’essentiel (PUF).       

Comment s’affranchir alors de cet utilitarisme dominant, moins soucieux de notre bien-être que d’enrichir les princes de la technocratie? Plusieurs pistes possibles, qui feront ricaner les winners, mais peu importe: «En se donnant un idéal non négociable qui guidera notre action», suggère le philosophe Alexandre Lacroix dans Comment ne pas être esclave du système? (Allary Editions). En pariant sur «une écologie de l’attention qui nous décadre et une relation aux IA qui ne soit ni brute ni soumise», plaide de son côté Alain Damasio. En substituant la vacuité existentielle découlant du trop-plein par un vide vertueux qui n’a pas besoin d’être comblé à tout prix et «rend possible l’accueil, la réceptivité, la créativité», conseille pour sa part Renaud Hétier. Trois bouées de sauvetage qui mériteraient bien un décret présidentiel…

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