Le doomscrolling et son principal danger: mourir de honte avant la Bombe!

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Cette semaine, ce Crash-Test S07E26 se la joue self-help et vous invite à arrêter le doomscrolling, pratique aussi inutile que désastreuse pour votre bien-être! Ce qui n’est pas facile mais reste toujours préférable à mourir de honte avant la Bombe.

Bien que d’après Wikipédia, il existerait en réalité depuis 2018, ce n’est que la semaine dernière que j’ai appris l’existence du mot anglais « doomscrolling« , via un article assez patachon du Guardian. « Le Doomscrolling (littéralement « faire défiler son écran jusqu’à la fin des temps ») désigne le fait de passer une quantité excessive de temps d’écran consacré à l’absorption de nouvelles à prédominance négative, majoritairement de nature dystopique« , nous apprend cette même page Wikipédia. La semaine dernière ayant été entre autres joyeusetés marquée par des tirs de roquettes sur un site nucléaire et toujours la possibilité que la crise ukrainienne vire d’une minute à l’autre en Troisième Guerre mondiale, on peut donc suspecter que dans le monde, ça doomscrolle pas mal en ce moment. Je ne suis cela dit pas trop d’accord avec la traduction française de Wikipédia. D’après moi, il ne s’agit en effet pas de « faire défiler son écran jusqu’à la fin des temps » mais bien de devenir accro à des fils d’info qui donnent l’impression de vivre la fin des temps. Après tout, si le terme marque aujourd’hui les consciences, c’est que nous sommes passés d’une pandémie globale à un conflit majeur sans même avoir eu le temps de retourner sans masque acheter une baguette industrielle au supermarché. Baguette à 1 euro dont les jours seraient d’ailleurs comptés, vu l’actuelle panique sur le marché mondial du blé. « Faire défiler son écran jusqu’à la fin des temps« , ça, ça peut aussi se faire en checkant combien pèsent désormais les Kardashian et ce que mijote Disney par rapport à la franchise Star Wars. Être sidéré devant des nouvelles du monde ressemblant à un cauchemar éveillé, ce n’est pas pareil. D’où le doomscrolling de fin de temps et non jusqu’à la fin des temps…

Dans ma chronique de la semaine dernière, je disais d’ailleurs qu’en 52 ans de vie, je n’avais JAMAIS perçu autant d’anxiété autour de moi. Beaucoup de mes ami·e·s et connaissances, des personnes pourtant généralement réputées blindées et cyniques, flippent ou ont flippé. Moi, pas vraiment. Sauf le dimanche 27 février où, devant les fils d’info combinés du Guardian, de la DH.be et de quelques comptes Twitter plutôt bien informés, j’ai vraiment eu l’impression d’être « doomed ». Que tout était foutu. Qu’on allait à toute blinde vers Mad Max. Je me suis un peu calmé depuis. Selon un psychiatre interviewé dans l’article du Guardian, « le « doomscrolling » est surtout motivé par le besoin de comprendre la nature de la menace, dans quelle mesure est-elle probable, quelles pourraient en être les conséquences, comment allez-vous vous débrouiller maintenant qu’elle existe et qui pourrait aider« . Dans ce même article, un autre chercheur évoque toutefois aussi « l’expérience d’un suspense perpétuel, qui complique la déconnexion« . C’est ce qui m’a rendu accro. Le rush quand l’Histoire s’emballe, le high de voir se compiler « pour de vrai » tous les cauchemars morbides et fantasmes guerriers dont la pop-culture m’a gavé jusqu’au trognon lorsque j’étais enfant et adolescent, durant la Guerre froide. La pandémie m’a surtout ennuyé, comme un jour férié où tout est fermé et qui suivrait un long dimanche de pluie. Je ne me suis pas passionné pour le virus, ses polémiques, ses morts et ses vaccins. La Russie envahissant l’Ukraine et risquant de déclencher la Troisième Guerre mondiale, ça, c’est par contre totalement wizz pour quelqu’un comme moi. De la vraiment bonne came.

Tout est fait dans les mu0026#xE9;dias pour bien insister sur le fait que l’actualitu0026#xE9; ukrainienne nous concerne au premier plan, qu’elle nous fait basculer dans un nouveau chapitre de l’histoire europu0026#xE9;enne et de nos relations avec le pouvoir russe.

Dont j’ai finalement décroché et assez facilement encore bien. Je pense dès lors que le psy du Guardian a raison: il faut se fixer un but. Chercher à comprendre la nature de la menace, sa probabilité et ses conséquences. Et ne pas insister dès que l’on pense avoir atteint cet objectif, compilé cette connaissance. Tout faire pour justement éviter de tomber dans cette « expérience du suspense perpétuel« . Ce qui n’est pas facile. Ce n’est pas que l’actualité ukrainienne fonce en ce moment à du 150 à l’heure, c’est aussi que tout est fait dans les médias pour bien insister sur le fait qu’elle nous concerne au premier plan, qu’elle nous fait basculer dans un nouveau chapitre de l’histoire européenne et de nos relations avec le pouvoir russe. Mais on sait ce que veulent les Russes. On sait ce que refusent les Ukrainiens. On sait aussi que ça peut salement péter et que ça éclabousse déjà. Reste qu’au stade actuel des événements, la pratique du doomscrolling impacte toujours plus la tranquillité d’esprit et le bien-être de beaucoup d’entre nous que les plans les plus téméraires et autoboutistes de Vladimir Poutine. D’autant qu’on est arrivé à un stade du conflit où les machines à désinformer des uns et des autres entretiennent encore davantage de confusions dans les esprits. Et que l’on sait aussi très bien que le doomscrolling durant la pandémie a été à la source de dépressions, de gros soucis de santé mentale et même de stress post-traumatique. Autrement dit, sans rire, vous risquez en fait de souffrir exactement du même trouble psychologique en lisant les actualités au cabinet que quelqu’un qui se fait réellement bombarder à 2000 bornes d’ici. Or, personnellement, m’imaginer en 2025 dans un cercle de parole expliquer ça face à des survivants suffit amplement à me couper net toute envie de continuer le doomscrolling. Non mais sérieusement, imaginez: « Eh bien moi, je n’ai jamais été bombardé, je n’ai jamais été en Ukraine mais j’ai pété un câble en scrollant la prise de Marioupol en attendant ma date Tinder dans un resto d’Evere! » Ou encore « J’ai essayé le tricot, j’ai essayé Bridgerton mais rien à faire: je revenais toujours 16 fois par heure checker Disclose.TV sur Twitter et ça m’a bousillée… » Bref, morts de honte avant la Bombe! Stop à la guerre! Mais stop au doomscrolling d’abord!

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