L’art de la joie: le souffle olympique a ravivé des braises qu’on croyait éteintes
L’été olympique a permis de renouer avec l’art de la joie. Un vent d’optimisme qui n’efface pas les malheurs mais nous rappelle que le défaitisme n’est pas une fatalité.
On avait fini par en oublier le goût, la saveur, la texture. Enfouie sous une épaisse couche de crasse et de désolation, la joie n’était plus qu’un souvenir fané d’une époque révolue, comme ces reliques de passion et d’ivresse des sens qui gisent en piteux état dans les ruines d’une relation sentimentale à bout de souffle. À force, on se demandait même si on n’avait pas rêvé ces jours anciens baignés de félicité. Si l’art de la joie n’était pas juste un mirage bricolé par la mémoire pour entretenir l’espoir.
Quelle surprise donc d’avoir vu ressurgir une forme d’allégresse simple, solaire et contagieuse au cours de cet été pourtant humide. Le souffle olympique a ravivé des braises qu’on croyait définitivement éteintes. On s’attendait à une catastrophe industrielle, échaudés par les Cassandre parisiennes et l’impitoyable loi des séries qui semblait annoncer le pire, on a eu au contraire une belle fête, une bamboche bon enfant qui a ravi jusqu’aux plus grincheux. En dépit de tous les reproches qu’on peut adresser à ces séances d’hypnose collective (qui sous couvert de flatter les valeurs les plus nobles servent d’étendard au nationalisme, au consumérisme et à la performance la plus débridée), cette olympiade a remis la fraternité au centre du village mondial et a permis de faire refluer, pour un temps du moins, la vague de cynisme et de déclinisme qui étouffe depuis trop longtemps tout élan vital.
Tout à coup, au rythme des exploits, de la liesse et des accolades, on s’est souvenu que le défaitisme n’était pas une fatalité, que l’être humain pouvait encore se montrer sous son meilleur jour, pourvu qu’il lâche les réseaux sociaux, qu’il se détende un peu et qu’il ne confonde pas chauvinisme et fanatisme. Même si pour cela il a fallu se farcir du Johnny, du Cloclo et du Gala en boucle. « Le goût de l’effort partagé, la solidarité dans la performance, la communion festive, le bonheur d’être et de gagner ensemble, autant de valeurs que l’on croyait disparues depuis les années de crise, depuis les « gilets jaunes », le Covid-19, les retombées de la guerre en Ukraine et la brutalisation d’une scène politique plus que jamais fracturée« , constatait dans Le Monde l’historien Jean Garrigues.
La cérémonie d’ouverture, avec ses tableaux mêlant Histoire et culture queer, a d’emblée donné le ton en dévoilant une facette apaisée, joyeuse et inclusive de la mondialisation. Les J.O. sont politiques. Et l’occasion était trop belle pour ne pas coudre au revers plutôt conservateur et ritualisé du costume olympique une doublure aux couleurs plus vives, plus pop. Neutralisés par l’enjeu majuscule de l’événement et un déroulement sans couac majeur, les discours de haine qui pullulaient sans vergogne jusque-là -et qui se nourrissent des peurs, au point de créer un écran de fumée qui masque le moindre coin de ciel bleu- ont été pour une fois réduits au silence. Bardella? Disparu des radars. Malgré les malheurs du monde, malgré Gaza, malgré l’Ukraine, malgré l’IA, malgré les fins de mois difficiles, malgré les désastres climatiques, une joie pure et simple a pu s’exprimer sans passer automatiquement pour de la naïveté coupable.
Ce n’est sans doute pas un hasard si l’album concocté par les deux experts ès ténèbres que sont Warren Ellis et Nick Cave renoue avec une forme de douceur et de chaleur humaine (lire ici notre rencontre avec le premier et la critique du disque). Comme le meneur des Bad Seeds touché en plein cœur par la mort de deux de ses fils, après avoir touché le fond, nous entrevoyons la lumière au bout du tunnel. « On a tous connu beaucoup trop de tristesse, maintenant c’est le temps pour la joie« , entend-on sur un album touché par la grâce. L’allégresse est un état d’esprit. À nous d’en entretenir la flamme, olympique ou autre. Joie de se plonger par exemple dans les délices d’une rentrée qui est comme une petite renaissance, pleine de promesses excitantes, et dont vous trouverez notre sélection ici (pour la rentrée littéraire, ce sera la semaine prochaine). Joie aussi, même modeste, de se réinventer, comme le personnage principal d’Emilia Pérez, le nouveau film de Jacques Audiard, l’un des temps forts de cette rentrée. ●
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