On a rencontré un vendeur de tickets au noir: « Depuis TicketSwap, le business n’existe plus »

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Depuis pratiquement 30 ans, il achète et vend des places devant les salles de concerts. Un vendeur à la sauvette raconte ses activités, l’évolution du marché noir et l’arrivée de TicketSwap…

Comment es-tu entré dans la revente de tickets de concerts?

J’ai commencé en 1988-89. À l’époque des Gainsbourg, Goldman… Un pote marocain, un mec sympa et encore plus jeune que moi, m’avait montré un moyen de gagner un peu d’argent. Il allait devant Forest: « T’as pas un ticket trop? T’as pas un ticket en trop? » Et puis, il revendait avec une plus-value… Dans le temps, on surveillait les préventes à la FNAC et sur le tableau de Caroline Music Passage Saint-Honoré. Quand on voyait apparaître un concert de U2 ou de Depeche Mode, on allait faire la file au magasin le jour de la mise en vente. Mais c’était pas vraiment mon truc. J’étais plutôt dans les désistements de dernière minute. Les tickets achetés et revendus le même soir sur le pavé. J’avais une vingtaine d’années à l’époque. Un jour, un mec m’a chopé devant un concert. Il cherchait des gens pour vendre du merchandising non officiel. Franchement, parfois, on avait du meilleur matériel qu’à l’intérieur. À l’époque, il n’y avait pas Internet. Ça marchait super bien. Et il y avait encore beaucoup de tolérance. On ne parlait pas vraiment de droits, de marques déposées… Pour être au courant de l’actualité, je passais des heures et des heures devant le télétexte et dans les librairies. Je feuilletais Oor, Bravo, le Melody Maker, le NME. Un tas de magazines… Old school quoi. Au-delà des groupes qui buzzaient, il fallait déjà se tenir au courant des agendas.

Ça rapportait bien?

Je ne vais pas te donner de chiffres, mais quand tu vois l’argent qui rentre, tu te mets à faire ça tous les jours. Et à un moment, ça devient ton boulot. Quand tu es pirate -les Français disent vendeurs à la sauvette-, c’est la liberté. Tu fais ce que tu veux quand tu veux. Je bossais dans un rayon de 300 kilomètres. Bruxelles, Gand, Deinze, Anvers… Lille, Paris, Amsterdam, Cologne… On allait aussi jusqu’en Tchécoslovaquie ou en Pologne pour des trucs énormes comme Michael Jackson. Je me souviens que son manager avait embauché un Anglais pour acheter un exemplaire de tout ce qu’il trouvait en vente dans le merchandising non officiel. Juste parce que Michael adorait ça et en voulait une copie.

Tu as parfois eu des problèmes avec les flics, la justice?

À certains moments, on m’a fait chier. On m’a mis la pression. J’ai d’ailleurs eu droit à des perquisitions. On ne sait pas qui tu es, alors on veut te connaître un peu mieux… Ils s’imaginaient limite que j’imprimais des faux billets. De toutes façons, aujourd’hui, que ce soit avec les affiches ou les tickets, tu gagnes des cacahuètes. Tu peux diviser par dix voire par 20 les chiffres de la grande époque. Avant, on allait au resto presque tous les jours. Filet pur et gratin dauphinois… Qu’est-ce que tu veux? C’est la loi de l’offre et de la demande. J’en ai bien profité. Moi, je suis comme un commerçant. Je dis d’ailleurs toujours aux clients, j’espère que vous n’allez pas m’en vouloir. Je vois ça comme le jeu du rock’n’roll.

TicketSwap t’a coupé l’herbe sous le pied?

Pour moi, le business n’existe plus. Je continue mais c’est pour l’humain. Le côté drôle et sympa du truc. La tchatche, un peu la drague. Je suis en forme. J’aurais encore pu faire ça dix ans. Mais là, c’est la fin. Les magasins de disques ont été les premières victimes d’Internet. Pour nous, TicketSwap, c’est un filtre en plus. Pour Cinematic Orchestra qui joue ce soir à l’Ancienne Belgique par exemple, il y a une trentaine de tickets en vente sur la plateforme. Ce sera un miracle, par exemple, de tomber sur des touristes étrangers, si je me fais 50 balles sur la soirée. Quand tu as 3.000 ou 4.000 demandes et pas d’offre disponible par contre, tu sais que ça va bien marcher. Comme sur Billie Eilish récemment à la Madeleine. J’ai acheté deux tickets à des particuliers et je les ai revendus. Mais prends Eddy de Pretto. Le concert était complet. J’avais une place. Je suis arrivé à 19 heures et je suis reparti avec…

Quand est-ce que tu as compris que ça se compliquait?

En voyant arriver TicketSwap, j’ai tout de suite pensé que c’était la fin. On travaille contre un rouleau compresseur. On est face à la Mannschaft. Tu passes un peu pour un idiot aujourd’hui avec ta pancarte. Puis un jour, il n’y aura même plus de ticket papier. Je me suis fait une raison. Ça fait un an ou deux déjà. Depuis que des Flamands chantonnent « TicketSwap, TicketSwap » quand ils me croisent à un concert. Maintenant, c’est du grattage… On m’a demandé pourquoi je n’avais jamais pensé à ce genre de website. Mais il fait tomber les prix. Et moi je les tire vers le haut. Faut pas se mentir. TicketSwap arrange tout le monde. Et pour l’amateur de musique, c’est génial. Je dis bravo. C’est la fin de mon job mais en adéquation avec notre époque.

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