Zed Yun Pavarotti, en odeur de Sainté

Moue de rockeur tatoué, Zed Yun Pavarotti s'en balance: "J'ai signé pour faire de la musique. Pas pour être drôle ou même sympa." © MANUEL OBADIA-WILLS
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Entre ruminations rap et rock prolo, Zed Yun Pavarotti sort son premier album. Depuis Saint-Étienne, et en prise directe avec la mélancolie de la France « d’en bas »… Rencontre.

Un blaze de rappeur faisant référence à un chanteur d’opéra, le tout sur une moue de rockeur tatoué. On peut compter sur Zed Yun Pavarotti pour brouiller les pistes. Récapitulons donc. Le rap d’abord, puisque c’est bien par là, non pas que tout a commencé, mais qu’il s’est fait signer. En 2018, sur le label Artside, celui de la star afrotrap MHD. À l’époque, il a 21 ans, et quelques milliers de vues à peine sur YouTube. Mais la maison de disques croit en sa singularité, son flow marmonné, sa mélancolie emo et son autotune cafardeux. Sombre? Quand on le rencontre une première fois, il y a un peu plus d’un an, il est encore un peu secoué. Quelques jours plus tôt, un de ses fans avait annoncé vouloir se suicider sur sa musique… « Au final, tout va bien, on a un peu discuté. Mais c’était un moment très bizarre. »

Au cours de la même interview, on en profitait également pour l’interroger sur la référence au ténor italien. « En termes d’interprétation, c’est peut-être le dieu. C’est ce gars hyperprolo, un peu bagarreur, mais qui pleure pendant la Tosca… Et puis en le mettant dans mon nom, cela me permettait aussi de marquer immédiatement le fait que j’allais sans doute aller vers plein d’horizons différents. » Ce que confirme en effet Beauseigne, son premier véritable album après au moins deux mixtapes…

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Le dieu de la pop

C’est un peu après la moitié du disque que Zed Yun Pavarotti tombe définitivement le masque. Après le riff de De larmes -et son refrain sur lequel la voix prend des intonations à la Indochine période L’Aventurier-, la guitare acoustique de Merveille fait la bascule. Zed Yun Pavarotti ne reprend pas seulement -comme d’autres rappeurs- les codes ou la hargne rock. Il emprunte aussi à son esthétique. Sur Un jour, par exemple, le piano ne fait même pas semblant de nier sa familiarité avec Let It Be. « On était en résidence, et il y avait ce piano dans un coin. Je ne sais pas en jouer, mais en chipotant, je suis tombé sur cette intro, qui fait en effet un peu Lennon. J’ai dit « on fonce, on tente le truc », et en deux heures, le morceau était là. C’est ce genre d’évidence que je cherche. » Qu’elle passe par le rock n’est pas tout à fait un hasard. Comme si le genre, rétrogradé désormais en périphérie des charts, retrouvait du sens à la marge. Un peu comme si, à rebours des fantaisies bling-bling des rappeurs, il restait un horizon pour les zones déclassées. Puisque c’est bien de là qu’est issu Zed Yun Pavarotti.

Charlan Zouaoui-Peyrot, de son vrai nom, voit le jour en 1997 à Saint-Étienne. Né sans main gauche (il porte une prothèse en permanence), il grandit dans une famille minée par les tensions de couple et les difficultés financières – « Y’a des monstres dans ma maison/Ils sont assermentés », raconte-t-il dans L’Huissier. En grandissant, l’école devient vite une torture, et l’horizon un mur. Il faut dire qu’à une soixantaine de kilomètres de Lyon la bourgeoise, la ville ouvrière coule à pic, laminée par la désindustrialisation. « En venant d’où je viens, je n’étais pas prédestiné à arriver jusqu’ici », avoue-t-il.

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« Sainté », comme on la surnomme, est au coeur de son premier album. Jusqu’à son titre, Beauseigne. « C’est de l’argot du coin. Cela veut dire « le pauvre », mais avec un brin d’ironie. À la base, cela vient de « beau seigneur », une façon de désigner un mec qui a de faux problèmes. Ce qui dit beaucoup de la ville. Il n’y a pas d’élite ici. Il y a des bourgeois, bien sûr, mais pas vraiment de bourgeoisie. C’est trop la jungle. Il est impossible de se la péter quand vous venez de Saint-Étienne. » Il est question de la France des ronds-points, celle qui lutte pour éviter le décrochage. « J’ai vite su que l’album allait tourner autour de ce monde oublié par les élites. Le milieu culturel et médiatique, en particulier, est hyperparisien. Ils ne parlent jamais de nous, ils ne savent même pas ce qui s’y passe. C’est horrible. On passe pour des animaux quand on arrive à Paris. »

Le jeune homme a pourtant bien fini par y « monter », en compagnie notamment de son fidèle producteur Osha. « Mais je ne m’y suis jamais senti à ma place. » Mais encore? « Déjà, il n’y a pas d’amusement. Quand les gens se voient, c’est pour parler, montrer qu’ils sont là. Personne ne vient pour juste se mettre des bières, dire n’importe quoi et mettre son slip sur la tête. Au lieu de ça, c’est plutôt Moscow Mule, et on commente la dernière appli. Personne ne sait se détendre… Et puis, c’est un monde beaucoup trop vertical, dans lequel chacun est censé trouver sa place. Avec pour conséquence de créer rapidement des micromépris. Cela ne me va pas. »

Aujourd’hui, il a d’ailleurs pris la tangente pour s’installer à Biarritz. Plutôt que de retourner à « Sainté »? « J’y ai fait 22 ans, c’est bon, j’ai donné. » S’il doit y revenir, c’est pour remplir « Geoffroy Guichard », antre mythique des Verts, quand il fera sa tournée des stades. Comme son idole ultime, Liam Gallagher, à qui il emprunte les poses scéniques. Voire une certaine morgue. « Je n’ai pas envie d’être un animateur. J’ai signé pour faire de la musique. Je n’ai aucune obligation à être drôle ou même sympa. » Voir, par exemple, son interview fast life sur Konbini, bonnet enfoncé sur les yeux, sourire sardonique: « -Tu faisais quoi juste avant cette interview? -Je dormais. -Et tu feras quoi après? -Je pense que je vais me réveiller »…

Avant de remplir des stades, Zed Yun Pavarotti se contenterait toutefois bien d’un disque d’or . « Voir le mot Beauseigne sur un album certifié, ce serait déjà une belle petite revanche. » Une ambition qui pourrait paraître contradictoire avec sa volonté de rester hors case. « C’est le danger, en effet. Ma meilleure réponse à cela, c’est le langage pop. Mais c’est ce qui est dur à trouver. L’idée qu’après trois notes, vous entrez dans un morceau sans qu’il soit lisse pour autant. Cela étant dit, même en ayant cela en tête, le succès reste toujours une surprise. Vous ne savez jamais quand un morceau va marcher. Au final, c’est le dieu de la pop qui tranche… »

Zed Yun Pavarotti, Beauseigne, distribué par Caroline. ****

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