Wu-Lu : »Tout ce que je désirais, c’était rouler, peindre et mixer »
Frère jumeau de Ben (Warmduscher, Insecure Men), Miles Romans-Hopcraft, alias Wu-Lu, incarne l’esprit de Brixton, écorche la gentrification et célèbre le choc des cultures.
Les Bee Gees, Bros, Indochine, Tokio Hotel… Les jumeaux connus de la musique envoient sur de mauvaises pistes. Ils jouent généralement dans le même groupe et tapent dans la pop grand public. Originaire du sud de Londres, Wu-Lu est né Miles Romans-Hopcraft. Son frère jumeau Ben fait partie de Warmduscher et accompagne dans Insecure Men le guitariste édenté de la Fat White Family Saul Adamczewski. “On connaît Saul depuis l’école primaire. La première fois que je l’ai rencontré, c’était dans les toilettes. Il est arrivé en marmonnant et m’a dit: “Viens avec moi, on se casse.” J’avais 12 ans. J’ai décliné l’invitation. Une heure plus tard, il se faisait ramener par les flics. Après, je l’ai un peu perdu de vue. Il a lancé ce groupe, les Metros. Mon frangin fréquentait beaucoup les concerts pour mineurs. Tout le monde allait là-bas mais moi je skatais, je scratchais. Je faisais des beats, des graffitis et je fumais de la weed.”
« C’est Frank Ocean qui nous a mis d’accord »
Miles et Ben sont venus au monde en 1990 dans le quartier de Camberwell et ont grandi à Brixton. “Tu veux dire que j’y ai passé toute mon existence?, sourit-il en terrasse, au soleil, par une de ces journées de grève où le centre de Bruxelles est impraticable. Toute notre famille a vécu à un moment ou un autre dans la maison que j’habite actuellement avec mon frère. Elle appartient à mon grand-père. Je suis très attaché à cette bicoque, à ce quartier.”
Miles y trouve tout ce dont il a besoin à moins de cinq minutes. La Brixton Academy, un cinéma et un skate park. “Tous mes amis y vivent. C’est multiculturel, afro-caribéen.” Criminalité, misère sociale… Les lieux ont longtemps joui d’une réputation sulfureuse, mais le Londonien a, de son propre aveu, eu une enfance privilégiée. La mère est danseuse. Le père, trompettiste. Il a notamment joué dans Soothsayers et bossé à Londres sur la comédie musicale consacrée à Fela Kuti. “Ils nous ont toujours montré beaucoup de choses: breakdance, danse contemporaine, jazz, reggae, afrobeat… Pendant les vacances, quand on avait une dizaine d’années, on partait en tournée en van avec le paternel. Espagne, Italie… Je me souviens avoir vu mon frangin une fois à la télé. Mon père l’avait emmené alors qu’il jouait dans Dodgy.” Miles fredonne If it’s good enough for you, it’s good enough for me… Puis parle du groupe de reprises de Nirvana qu’il a partagé avec Ben. “À l’époque, je me suis plongé dans le skate et il s’est consacré à la musique. De toutes façons, il voulait avoir un band. Et moi, je voulais devenir DJ. Parce que j’avais vu Scratch, le film sur le turntablism. Tout ce que je désirais, c’était rouler, peindre et mixer. C’est Frank Ocean qui nous a mis d’accord. Avoir un jumeau, c’est comme avoir sa personnalité coupée en deux. Je suis à fond dans ceci. Toi à fond dans cela. Alors que si tu avais été tout seul, tu aurais peut-être été intensément dans les deux.”
Punk, dub, hip-hop…
L’esprit communautaire de Brixton lui parle. Miles tient à rendre à d’autres les coups de main dont il a bénéficié étant gamin. Il enseigne ainsi la production musicale à des jeunes issus de milieux défavorisés. “J’essaie de continuer. Je veux prouver aux gens du quartier qu’on peut devenir ce qu’on a envie d’être. S’en sortir en faisant ce qu’on aime.” Ce qu’il n’aime pas, lui, ce sont les étiquettes, les boîtes, les cases. Il kiffe Slipknot et adore Outkast. “De mon temps, tu devais appartenir à une tribu dans le monde scolaire. J’aimais bien le grunge mais je ne pouvais pas vraiment le dire à mes potes. Du coup, j’ai toujours voulu aborder la musique au feeling.”
C’est en partie pour ça que Wu-Lu part dans tous les sens. “J’ai sorti une cassette de beats, j’étais un producteur. J’ai pris la décision consciente de proposer quelque chose de plus live et on m’a tapé dans la catégorie jazz. Maintenant, les gens disent que je fais du rock. Chacun peut appeler ça comme il le veut. Il y a du punk, du dub, du hip-hop. Je peux être lourd, bruyant, gueulard. Mais je viens de la culture DJ, du grime. Je voulais que mon nouvel album représente les origines de ce que j’aime. Facts, par exemple, c’est une version conceptuelle de grime, de jungle et de drill avec une touche grunge.” Miles a de la famille en Jamaïque, où il est déjà allé. Mais pour lui, le dub, le ska, c’est Londres. Comme le post-punk. Et si l’Anglais, qui a sa planche avec lui, lie la musique au skate, c’est par l’intermédiaire du jeu vidéo Tony Hawk’s Pro Skater. “C’est grâce à lui que j’ai découvert Madlib, Offspring, Green Day, Bad Brains. Quand je suis parti en tournée récemment, j’ai pris ma PlayStation 2. Je suis un nostalgique. J’aime le old school.”
Porte-voix rageur des oubliés de la gentrification, Miles en a fait l’un des thèmes de son album Loggerhead. “Toutes les chansons ne traitent pas de ça. Ça parle aussi d’être un Noir à Brixton. Du fait que la communauté a fait du quartier ce qu’il est.” Le bonhomme a un carnet d’adresses long comme le bras. Il a collaboré avec la crème du jazz londonien (Nubya Garcia, Joe Armon-Jones…), fait équipe avec le batteur de Black Midi (Morgan Simpson), et trois des membres de son groupe jouent avec la rappeuse soul Greentea Peng. Sur son album, il a invité les confidentiels Amon, Asha Lorenz, Lex Amor, Léa Sen. “Je n’ai pas signé chez Warp, NOUS avons signé chez Warp. Je veux l’utiliser comme un vaisseau pour montrer qu’il se passe plein de choses autour de moi.” Sur scène, Miles a prévu un micro à destination des gens qui voudraient monter y hurler leur stress et leur colère. “Personne ne s’est encore manifesté pour l’instant. Mais si vous avez passé une mauvaise journée et en avez envie, sachez que c’est possible.”
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