Une nouvelle génération aux commandes de Couleur Café

© Couleur Café
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Inauguré en 1990 aux Halles de Schaerbeek, le festival Couleur Café est passé longuement par Tour & Taxis avant de s’installer en 2017 au parc d’Osseghem, à côté de l’Atomium. Pour l’édition 2023, nouveau changement de direction, qui se veut désormais davantage collective.

«Je n’ai pas vraiment envie de me mettre en avant, pas très envie de me positionner comme le nouveau boss de Couleur Café. Je pense qu’on est plutôt parti dans quelque chose de davantage collectif. Et la nécessité de donner une nouvelle dynamique au festival, il en avait besoin. C’est d’abord un projet d’équipe.» Samy Wallens, la trentaine, est le successeur de son père, Patrick Wallens à la tête d’un festival bruxellois parmi les plus importants et diversifiés. Après avoir chapeauté l’événement depuis 1990, Patrick, proche de l’âge légal de la retraite, s’est détaché de la direction à l’automne 2022, suite à une autre édition réussie. D’autre “historiques” de CC, comme Irène Rossi (communication et coprogrammation) ne font plus partie de l’aventure. Merci, au revoir.

L’événement a connu quelques montagnes russes. L’incendie à Tour & Taxis en 2007, miraculeusement sans dommage humain, un flop financier de 2016, le Covid tuant deux éditions et, in fine, l’obligation de quitter le site Tour & Taxis, près du canal, il y a maintenant six ans. Sans compter une inflation d’événements bruxellois -Arena 5, Core, Atom- venant concurrencer le festival. Un début d’après-midi au QG de Couleur Café, une petite maison d’Auderghem, Samy Wallens, officiellement directeur général et programmateur, est entouré de son équipe pour une entrevue collective. Il y a donc là, Nadège (responsable de la coordination générale), Inaê (production artistique) et les frères Corbesier, Dennis (directeur-adjoint et responsable com) et Maurice (graphiste et responsable marketing). Les cinq ont entre 26 et 36 ans. Dans la “vraie vie”, Samy, à la fois sympa et un chouia réservé, est aussi musicien. Batteur des excellents néo-jazzeux de Commander Spoon et de Roméo Elvis, programmé cette année au festival: le “boss”ne veut pas dire s’il jouera au concert. Ou s’il sera remplacé pour l’occasion. Samy le cachottier n’est guère friand de questions personnelles. Donc, première question très officielle: comment construit-on l’affiche de Couleur Café 2023? Où la présence de stars n’est pas ce qui saute aux yeux sur la septantaine de noms proposés.

Pêche directe

«Le désir, ces dernières quatre-cinq années, est de correspondre à une économie qui change, accentuée par le Covid, répond Samy. C’est un choix: on n’a pas envie de mettre des sommes folles pour certains artistes. D’autres festivals le font, on ne veut pas aller sur ce terrain-là.” Samy ne donne pas de chiffres, même pas sur la part du budget consacré à la programmation. Dennis parle du public cible: «On a essentiellement affaire aux 18-32 ans. Avec un peu plus de Flamands que de Wallons. Mais comme il y a beaucoup de Bruxellois, on peut dire qu’au final, c’est 50-50 entre les deux communautés. Et cela se reflète aussi dans les ventes: pour l’édition 2023, les 6 000 tickets Early Bird combinant les trois jours (des ventes précoces opérées fin 2022, NDLR) sont partis plus vite que lors de n’importe quelle édition précédente. Ce qui est peut-être un signe que les gens viennent d’abord pour l’événement plutôt que pour tel ou tel nom.»

Avec une jauge de 25 000 personnes par jour, l’ASBL Couleur Café pourrait réaliser un break even en cette fin juin. L’équipe a concocté le menu pendant plusieurs mois, au fil de réunions hebdomadaires où chacun ramène son panier, résultante de concerts vus, de liens entendus et, qui sait, de l’un ou l’autre disque vinyle. Samy s’occupe du booking, négocie les cachets avec les différents agents belges. Ou parfois, doit partir à la pêche directe. Entre quelques classiques africains présents cette fois-ci -Orchestre Baobab, Seun Kuti-, Samy a investigué un performeur congolais, « une exclusivité”. “Un gars quasiment jamais venu en Europe. Avec Nadège, on a dû chercher des contacts directs pour appeler Kin, arranger les visas, etc. Il va jouer 1 h 45, ce qui dépasse ce que l’on fait habituellement au festival. » Il s’agit d’Innoss’B, jeune mec de Goma, balancé de hip-hop et des naturelles ondulations de son grand pays perturbé. Le clip de son titre Olandi n’échappe pas à la sape visuelle -Rolls Royce comprise- mais le groove promet de dévisser quelques rotules. Le genre de truc nourri de tropicalité assumée, parfait pour une chaude soirée estampillée Couleur Café.

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Léopold II

Moins cher que d’autres festivals mais quand même -54 euros au quotidien, 110 les trois jours-, CC se veut au-delà de la musique. Nadège: «Beaucoup de gens ne viennent pas que pour la programmation. On propose des choses vraiment différentes sur les cinq scènes. Avec un chapiteau que l’on n’avait pas avant. Mais aussi dans des espaces particuliers, comme le Tieks, quartier où l’on met en avant tout ce qui est bruxellois, notamment les skaters.» Et puis aussi la zone Ultratopia voulue ultra-visuelle, qui évolue au gré de la lumière. Testée lors d’un événement club en mars, mettant aussi en évidence le désir de l’équipe d’amener plus d’un rendez-vous par an aux amateurs potentiels.

Reste la question du parc d’Osseghem: entre les concerts au stade Roi Baudouin et les quatre festivals prévus cet été -Couleur Café, Atom, Core, Brosella-, les habitants du nord de Bruxelles commencent à tirer la langue. Propriété de la Ville de Bruxelles, le lieu imaginé par un architecte de Léopold II a été aménagé entre 1927 et 1935 et trimballe au moins une ironie de l’Histoire. Le deuxième roi des Belges, accusé d’exactions à l’encontre des Congolais, n’aurait probablement pas imaginé accueillir un jour des artistes africains, notamment les talents mirifiques de l’ex-colonie. Ne faudrait-il pas un stand à Couleur Café pour expliquer cette improbable histoire belge?

Demandez le programme

Une septantaine de noms à l’affiche et un constat: le vedettariat n’est pas/plus la priorité des organisateurs du festival. Même si on repère d’emblée les références plus ou moins grand public que sont le génial mix de Thundercat, le turbo-afro de Seun Kuti & The Egypt 80, les comptines East Coast de Joey Bada$$ et la présence de Roméo Elvis, après plus de deux années troublées. Comme quoi, les musiciens comme les festivals semblent avoir droit à plusieurs vies. On pense aux vétérans sénégalais de l’Orchestre Baobab, créé dans les seventies et puis revenu au succès dans les années 2000, après une longue absence. Couleur Café sera donc groovy ou ne sera pas, notamment avec les régionaux de l’étape belge que sont Juicy, Echt! ou encore Blackwave, de vocation pop-hop.

Depuis un bout de temps, le rap est l’un des terreaux principaux du festival: citons l’Anversoise Coely (photo) -nouveau look, nouvelles chansons-, Peet et ses rimes teintées d’humour et la création par Couleur Café depuis 2016 du projet Niveau 4. Cette année, il réunit une platine et sept jeunes micros. Dont celui accordé à Spacebabymadcha, l’une des nombreuses femmes d’une manifestation se voulant égalitaire. Sans oublier l’autre mamelle de l’événement, le dub/reggae, incarnée par le Reggaebus SoundSystem, et aussi les Néerlandais de King Shiloh Sound System, ou encore Bisou, jeune gars de Montpellier à classer entre Tapper Zukkie et Skrillex.

Couleur Café, du 23 au 25/06, au Parc d’Osseghem, Bruxelles. www.couleurcafe.be

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