Ty Segall, Kali Uchis, Salif Keita, Deradoorian : qu’est-ce qu’on écoute cette semaine?

De Ty Segall à Kali Uchis en passant par le kaleidoscope pop de Deradoorian et la virée acoustique de Salif Keita, retour sur les albums coups de coeur de la semaine

1. Ty Segall – Possession

Un peu comme les Australiens de King Gizzard and The Lizard Wizard, Ty Segall cultive en permanence l’art de la surprise et du contre-pied. Dans une moindre mesure que les kangourous, quoique, le Californien prend un malin plaisir à changer les registres et à se réinventer. Passant par exemple cette année d’une tournée solo acoustique aux premières parties avec son groupe des zozos de Primus. Possession, son seizième album studio, dépeint une étrange traversée du paysage américain. Ça parlera à beaucoup de monde et encouragera les plus lessivés. Il «chante sur le fait d’être au bout du rouleau tout en résistant à la défaite» et, pendant qu’il parcourt la campagne, suggère «un nouvel empire extatique à construire». Segall en a coécrit les paroles avec le cinéaste Matt Yoka. Un collaborateur de longue date puisque Ty a composé la BO de son documentaire Whirlybird (2020) et Yoka, parfois présenté comme un futur ­Cronenberg, clippé un petit paquet de ses morceaux. Possession est un disque de rock savamment torché, un album de singer sonwgriter habillé de piano, de cuivres et de cordes. Il y a aussi le saxophone de son pote Mikal Cronin (Fantastic Tomb) sur ce Segall haut de gamme. Un délire de Possession. ● J.B.

2. Kali Uchis, Sincerely

En cinq albums, Kali Uchis n’a cessé de peaufiner une pop-r’n’b luxuriante, entre soul languide et clins d’œil exotica, Sade et Amy Winehouse. La plupart du temps en anglais, mais avec, aussi, quelques escapades en espagnol –née Karly-Marina Loaiza, en 1993, la chanteuse a grandi entre la Colombie et les Etats-Unis. Avec Sincerely, la chanteuse continue de déployer des chansons sensuelles néo-rétro (le doo-wop de All I Can Say) au romantisme échevelé. Elle n’a peut-être même jamais autant revendiqué cette sentimentalité, où l’amour n’est pas seulement lascif mais aussi consolateur. Ce qui passe par une musique qui laisse un peu de côté les rythmes latinos éprouvés sur son disque précédent (merengue, dembow, etc.) pour se lover dans des downtempo transis –à l’instar du poignant Lose My Cool, qui, à la moitié du morceau, ralentit encore pour s’enfoncer dans des profondeurs introspectives. ● L.H.

3. Deradoorian – Ready For Heaven

En 2012, après cinq ans de bons et loyaux services, Angel Deradoorian décidait de quitter Dirty Projectors, d’abandonner David Longstreth et Brooklyn pour partir s’installer à Los Angeles avec son compagnon d’alors Dave Portner (comprenez Avey Tare d’Animal Collective) et se lancer dans une carrière solo. Trois ans plus tard, l’Américaine d’origine arménienne sortirait avec The Expanding Flower Planet un formidable premier album à la fois aventureux et cosmique.

Tout au long de Ready For Heaven, cinquième Deradoorian du nom, la chanteuse et multi-instrumentiste croisée entre autres auprès de Flying Lotus et de The Roots, de Prefuse 73 et de U2, joue avec la no wave, le punk qui danse et le krautrock pour tous sur des chansons aussi audacieuses que séduisantes. Angel a invité le saxophoniste Patrick Shiroishi, le guitariste des Allah-Las Pedrum Siadatian, le batteur des Meatbodies Dylan Fujioka et Steve Marion alias Delicate Steve sur cette collection de pop tordue, de disco mutante et de psychédélisme baroque. Le paradis? Ce n’est pas sur terre. C’est ici… ● J.B.

4. Salif Keita – So Kono

Est-il besoin de rappeler l’importance de Salif Keita, la «Voix d’or de l’Afrique»? Mélangeant la musique mandingue avec le jazz, le blues ou la pop, il a ­largement contribué à l’essor des sons africains dans le monde occidental –au même titre que Fela, Cesária Evora ou Tabu Ley Rochereau. A 75 ans, le chanteur albinos, soutien de la junte militaire au pouvoir au Mali (le président de transition Assimi Goïta, l’a même nommé comme conseiller), ajoute une nouvelle référence à sa riche discographie.

So Kono sort cependant du lot. Publié sur le label No Format!, il a été imaginé lors d’un voyage au Japon. Invité dans un festival à Kyoto, en 2023, Salif Keita aurait trouvé dans la sérénité des temples zen la motivation pour s’atteler, pour la toute première fois, à un album entièrement acoustique. Enregistré dans sa chambre d’hôtel, au creux de la nuit, So Kono s’appuie uniquement sur la guitare et la voix toujours aussi bouleversante de Keita, parfois accompagnés du ngoni (Badié Tounkara) et de percussions (Mamadou Koné). Aussi simple qu’émouvant. ● L.H.