Ty Segall: interview au long cours avec le stakhanoviste du rock garage

Ty Segall © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Guitar hero, batteur chanteur, frontman hurleur, producteur, peintre et maintenant bienfaiteur… Ty Segall ne cesse depuis dix ans de se réinventer. Conversations autour de l’échalote, du caritatif et des comics. De Francis Bacon, d’Iggy Pop et de Demis Roussos…

Chemise lignée de fonctionnaire, k-way rouge d’entraîneur de foot et chevelure blonde angélique qui lui tombe sur les épaules. Pas très friand d’interview, Ty Segall a accepté de faire la causette au Pukkelpop en attendant son concert du soir. Rentrée assez calme finalement pour l’électrique Californien dont le dernier album (il doit être malade) remonte au mois de janvier. Pour la fin des vacances, Ty ne sort qu’un EP: Fried Shallots. Six titres compilés pour une bonne cause puisque tous les bénéfices seront reversés à l’American Civil Liberties Union. Une organisation qui défend les droits et les libertés individuelles… « La défense de nos droits est plus que jamais nécessaire, dit le communiqué de presse qui l’accompagne. Tout spécialement face à un gouvernement de porcs qui n’en ont rien à foutre de la constitution et sont déterminés à amoindrir la population pour qu’avec leur sugar daddies du monde des affaires ils puissent s’enrichir des privations des gens normaux. »

L’ONG aide ceux qui n’ont pas de fric à se payer un avocat quand ils font l’objet de poursuites. À notamment intenter une action contre Trump et sa volonté d’interdire aux transgenres de servir dans l’armée… Segall ne sait pas à quoi son fric sera spécifiquement utilisé. « Je fais confiance. Ils combattent toujours pour l’égalité et s’investissent dans des causes fantastiques. J’ai toujours eu le même état d’esprit. Ça ne s’est pas réveillé avec l’accession de Trump au pouvoir. Ça commence à une petite échelle. Par demander qu’on vire un type quand il se comporte comme un enculé et met son poing dans la gueule de quelqu’un à un de tes concerts par exemple. On est confronté à des situations comme celles-là tout le temps. Ici, j’avais besoin de faire quelque chose. D’aider une bonne cause. J’ai la chance de vendre quelques disques. Et je me suis dit qu’en sortir un était le meilleur moyen de filer de l’argent à une action caritative. C’est vraiment rien. Juste un petit geste. »

Partant tous azimuts, Fried Shallots n’est pas un pamphlet contre l’administration américaine ni même une collection de chansons contestataires. C’est juste une poignée de super morceaux déjà terminés, nés à des moments différents et sans liens particuliers… « C’est une bonne excuse pour que les gens fassent un geste. Je ne suis pas en train de dire que c’est un mauvais disque. Juste que c’est un bon prétexte pour donner du fric à quelque chose de cool. C’est triste à dire mais on a besoin d’un prétexte. Moi, j’ai besoin de prétexte en tout cas. Et là pour le coup, j’en offre un aux autres. »

Soutien à un club menacé de fermeture, à un artiste fauché en proie à des problèmes de santé, concerts pour venir en aide à des SDF… Segall a déjà pas mal donné. Discret. Loin de ceux qui ont fait du charity leur business… « Je ne parle pas beaucoup de ces choses-là. L’idée n’est pas de se faire de la pub. Utiliser ce genre de geste pour te promouvoir, c’est vraiment un truc dégueulasse. John (Dwyer, NDLR) de Thee Oh Sees organise ce type d’événement depuis plus de dix ans maintenant. Ça a vraiment été une source d’inspiration pour moi. Ce n’est pas un festival. Juste un concert. Tu paies avec des vestes, des pantalons, des chaussettes… Chaque année, c’est un article différent et tous les vêtements vont à ceux qui en ont besoin. »

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Depuis dix ans qu’il s’agite frénétiquement sur les radars, le garçon de Laguna Beach (oui oui, cette ville côtière californienne du comté d’Orange où MTV s’en était allé filmer des ados bronzer et batifoler pour une émission de téléréalité) semble en réinvention permanente. On l’a connu garagiste, punk, folkeur, glam et même hard rockeur. Il a tourné en one-man-band, a incarné le guitar hero, joué les batteurs chanteurs (Fuzz)… Il y a chez Ty, cette volonté d’exploration. De challenge. De mouvement. « J’ai décidé de ne pas jouer de guitare sur ma précédente tournée une fois que l’album était déjà terminé. Au moment où j’ai réfléchi à qui allait venir avec moi sur les routes. Le changement est amusant. Motivant. J’ai besoin de ça. En termes de musique mais aussi de rôle que j’y joue. »

Quand il a fallu monter sur scène pour ne faire que chanter, il a pensé à Iggy Pop, Henry Rollins… « Iggy est le meilleur. Encore aujourd’hui. Plus grand album de tous les temps: Fun House des Stooges. Peut-être. J’ai grandi en Californie, près de Los Angeles, donc impossible de ne pas citer le nom de Jim Morrison aussi. Je sais que les gens le détestent. Moi, je l’adore. Parce qu’il était à fond dans la confrontation. J’aime encore les Doors mais quand j’étais gamin, j’étais vraiment obsédé. Iggy, je l’ai vu pour la première fois en live il y a deux ans. Incroyable. Je l’avais raté pendant des années. Déjà quand j’avais quinze ou seize piges. J’avais eu de mauvaises notes à l’école. Mes parents ne m’avaient pas laissé aller au concert. Je l’ai revu il y a tout juste un mois. Il a même joué I’m Sick of You. Enfin bref, je n’ai pas aimé au final jouer les frontmen. Je ne recommencerai pas d’ailleurs. C’était une expérience cathartique. Intense. Géniale à essayer. Mais ce n’est pas moi. C’était délibérément une confrontation. Un grand fuck you. »

Notamment à la guitare qui s’était mise à le bassiner. « Je me suis amusé. Notamment à voir comment les gens réagissaient. Maintenant, je suis de retour à la gratte et je m’y sens bien. Je pense que je devais redéfinir quelque part ma relation à la guitare. Je suis proche de mon instrument à nouveau. J’en étais arrivé à me dire que je n’aimais pas jouer de ce truc. Que c’était stupide. Je me demandais ce que j’étais en train de foutre. Je faisais une espèce de crise existentielle. Et le meilleur moyen d’y faire face, c’est de charger je pense. De lui botter les fesses. »

On se demande quand il va nous annoncer son album au violon et à la flûte. Segall étudie pour l’instant le piano. « J’aimerais sortir un disque mais je pense que ça va me prendre beaucoup de temps. Je suis très mauvais. J’essaie de m’améliorer. Par moi-même pour l’instant. En regardant des vidéos ou en essayant de me rappeler des accords. Mes mains ne sont pas très flexibles. Je ne suis pas le champion de la dextérité. J’ai déjà eu du mal à maîtriser mon petit doigt sur ma guitare. Quoi qu’il en soit, j’essaie de ne pas trop réfléchir. Je jette de choses et je vois ce qui fonctionne. C’est comme ça avec la peinture aussi. C’est la meilleure manière pour moi de bosser. Envoyer des idées. Puis écouter, regarder, repenser… Reformuler en comprenant ce que j’essayais de faire. C’est bien mieux que de m’asseoir réfléchir, réfléchir et réfléchir encore jusqu’à trouver une idée géniale. Ça ne semble jamais naturel, réel, alors que tout balancer contre le mur m’aide à voir clair. Bouge vite, éteins ton cerveau et rebranche-le pour terminer les choses. Je n’ai jamais enregistré un disque autour d’une idée que j’aurais travaillée. Je commence un truc et puis je la vois à l’intérieur. »

Ty Segall
Ty Segall© Annabel Mehran

Du curateur au producteur

Comme le garçon n’en a jamais assez, Ty Segall est aussi le patron de God? Records, une succursale du label Drag City. Il a révélé l’étrange, formidable et déglingué Trin Tran, réédité le premier White Fence, mis le pied à l’étrier de Wand et du psych folkeur David Novick. Il a également sorti deux Axis: Sova. « Je ne cherche pas très activement des albums mais quand j’entends un truc qui m’attire, j’essaie de concrétiser. Je suis une espèce de curateur en fait. C’est mon label dans le sens où je choisis ce qu’il sort. Mais c’est sous le parapluie Drag City. » Sur certains, comme le dernier The Cairo Gang, Ty joue de la batterie et même le rôle de producteur. Encore une autre casquette qu’il a enfilée entre autres pour Ex-Cult, Zig Zags et les Oh Sees. « J’ai la chance de pouvoir vivre de ma propre musique. Je n’essaie pas de devenir un technicien ou d’imprimer ma patte sur les disques des autres. J’adore mais juste avec des projets qui me parlent vraiment. Et forcément quand j’ai le temps… »

On allait oublier. L’anecdote est pourtant incongrue. Ty pour l’instant se fait une fixette sur Demis Roussos. « Je suis obsédé par Aphrodite’s Child. Je ne sais pas comment prononcer son nom. Demis Roussos. Il est incroyable. Je suis à fond dedans. Sa voix est hallucinante. Je suis vraiment rentré dans l’album 666. Tu vois cette chanson The Four Horsemen? Check. Elle est vraiment obsédante. Je suis le genre de mec qui essaie, à chaque fois qu’il entre chez un disquaire, d’en sortir avec un truc qu’il ne connaît pas. Je pars d’une pochette, d’une recommandation, d’un conseil du mec derrière le comptoir. La pochette, c’est vraiment un bazar risqué, j’avoue. J’ai perdu tellement de fric à acheter des disques sur leur pochette. Demis Roussos, je l’adore. Personne ne sait qui il est en Amérique. Il n’a jamais percé. N’a jamais vraiment eu de tube. Rien à voir avec Elton John par exemple… C’est plutôt un weirdo. Je suis aussi dans Vangelis. »

La prochaine sortie de la fourmi Segall? Lui même ne le sait pas encore. Il écrit actuellement de nouveaux morceaux avec Goggs à Los Angeles où il habite. Dans le quartier d’Eagle Rock. Quelque part entre Pasadena et Glendale. Pas très loin de Silverlake et d’Echo Park.

« Je viens de terminer de construire mon home studio. Maintenant, ça fonctionne complètement comme je le veux. C’était déjà quasi fini mais j’ai continué à chipoter. Je suis le genre de mec qui, c’est ce que j’ai fait la semaine dernière, passe trois jours à taper sur sa grosse caisse jusqu’à ce qu’elle sonne exactement comme il le veut. C’était vraiment dingue, je dois dire. C’est au fond de mon jardin. Je dois préserver ma femme… »

Fried Shallots, distribué par Drag City/V2. ****

Coups de peinture
Ty Segall: interview au long cours avec le stakhanoviste du rock garage
© Ty Segall

Comme si son hyperactivité musicale ne suffisait pas, Ty Segall a eu droit en début d’année, à Chicago, à sa première exposition de peinture. Dans son travail, il y a un côté Munch versus Gauguin. Un truc hurlant, de l’effroi, des couleurs… Une dimension comics aussi. « J’ai toujours dessiné de drôles de trucs, avoue-t-il. Je ne vais pas dire de belles choses. Mais des choses étranges. Déjà étant gamin. Rien de bien sérieux. Mais ces deux dernières années, je m’y suis consacré davantage. J’avais besoin d’un autre exercice mental. Je ne prétends pas que ce que je peins a quoi que ce soit d’intellectuel. C’est juste une autre méthode de travailler. De se relaxer. J’aime écouter des disques en peignant. Surfer sur différents types de réalisations. La musique n’est pas très relaxante pour moi. Elle est extrêmement stimulante. Je ne peux pas être toujours là, assis, à créer des mélodies et des chansons. Ça me rend dingue. La peinture est un bon moyen de m’apaiser. D’être méticuleux et de réfléchir en même temps. C’est comme lire. Une autre manière d’utiliser mon cerveau avant de retourner à la musique si accaparante. » Il le reconnaît volontiers. Segall est quelqu’un d’obsessionnel dans tout ce qu’il fait.

Son père était agent immobilier. Sa mère est une artiste. Peintre, sculptrice. « Je n’ai plus vu son travail depuis un bout de temps. Je ne lui parle plus en fait. Mais c’était de la peinture à l’huile. Un peu genre roman graphique. Elle ne m’a rien enseigné de tout ça. C’est juste un truc que j’ai appris par moi-même, en autodidacte et qui est revenu dans ma vie. » Un truc qu’il aborde avec beaucoup de simplicité et de modestie. « Je ne pense pas que ce soit dingue. Mais c’est cool à faire. J’aime beaucoup Francis Bacon, Van Gogh. Munch aussi, oui… Je suis très mauvais avec les noms. Mais il y a beaucoup de formes artistiques plus ou moins proches du comic book que j’adore. Tu connais Tales from the Sphinx? Tu dois checker. Il y a trois volumes. Ça m’a obsédé pendant un bout de temps. Ça commence avec un couple qui a des relations sexuelles sous l’effet de la drogue et ouvre ainsi un portail pour une autre dimension. C’est classé X. C’est graphique. Extrêmement bizarre et psychédélique. Vraiment mon type préféré d’illustration. »

Hasards de calendrier. Le mentor de Ty Segall, l’autre patron du rock californien, John Dwyer, leader de Thee Oh Sees, sortait il y a peu sur son label Castle Faces, un ouvrage compilant lui aussi ses oeuvres visuelles. Des prospectus, flyers et posters aux styles variés et souvent psychédéliques réalisés entre 1999 et 2016. « J’espère que vous aimerez. Peut-être étiez-vous à l’un de ces concerts? Peut-être vous êtes-vous demandé qui avait conçu ce poster de merde? C’était moi… »

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