Tropical Fuck Storm: « Ça n’a pas été un disque facile à faire, à cause de la pandémie »

Gareth Liddiard: "Ça n'a pas été un disque facile à faire. À cause de la pandémie. C'est comme vivre dans un sous-marin. À un moment, tu deviens dingue et névrosé."
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Né sur les cendres de The Drones, Tropical Fuck Storm se paie Trump, la pandémie et les conspirationnistes sur un troisième album chaotique, cinglant et brûlant. Entretien.

Gareth Liddiard est mal rasé. L’oeil vif et le sourire facile planqués sous un sweat-shirt à capuche. Sa femme et complice, Fiona Kitschin, est à ses côtés. Il est 11 heures du matin en Belgique mais 19 heures à Nagambie, une petite ville du sud-est de l’Australie réputée pour ses vins. En bon ambassadeur de la région, le couple à la ville comme à la scène se ravitaille régulièrement en rouge et part remplir ses verres de pinard. Pendant une petite dizaine d’années, Garreth et Fiona ont été avec The Drones les porte-drapeau d’un rock australien qui n’avait pas encore enfanté King Gizzard, Courtney Barnett et autres géniaux branleurs de la scène garage made in Melbourne. « On a eu les Drones pendant 19 ans et à un moment, on a voulu s’orienter vers quelque chose de différent, résume Fiona. On était devenus relativement populaires en Australie et il y avait de plus en plus d’attentes nous concernant. Les gens se faisaient une idée de ce qu’on était censés être. On ne voulait pas de ce genre de pression et d’idées préconçues. »

Gareth embraie. « Si je devais résumer en un mot Tropical Fuck Storm, je dirais liberté. À l’époque, pour des raisons économiques, les Drones étaient devenus un groupe à guitares. C’était bien comme ça. Et on s’en sortait pas mal. Mais on s’est mis à utiliser un tas d’autres équipements. On a loué un studio avec des potes à Melbourne et tout leur matos était là. Des jouets hip-hop, d’étranges et vieux synthés, d’autres, nouvelles générations. Des tonnes de trucs excitants sur lesquels on n’avait jamais eu la chance de mettre la main. En plus, certains membres du groupe avaient eu des enfants et les tournées devenaient compliquées à organiser. On a donc décidé de créer un nouveau projet. TFS n’est pas un groupe à guitares. Enfin, si, mais pas autant que les Drones. »

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Tropical Fuck Storm est parti de là. Sans tirer des plans sur la comète et sans se fixer de limites. La liberté n’est pas à leurs yeux une chose compliquée à conserver dans l’industrie. Juste une question de volonté.

« On est complètement indépendants et Do It Yourself. On aime Black Flag, Fugazi… Ces gens qui géraient tout eux-mêmes. Et c’est ce qu’on fait depuis des années. On ne ferait rien de notre musique juste pour contenter qui que ce soit. Certainement pas l’industrie. Parce que c’est terriblement ennuyeux. Et on ne s’est pas lancés dans la musique pour être ennuyés. Ni pour être célèbres, d’ailleurs. La célébrité n’a de bon que le fait qu’elle te permet de te faire un peu de fric. Et ça signifie que tu peux continuer à faire de la musique étrange et barrée. »

Pour Liddiard, cette musique est une récompense en soi. « C’est tellement intéressant. Les possibilités sont infinies. Il y a tellement de manières de créer du son. Si tu es musicien et que tu n’en es pas convaincu, prends-toi deux ans. Frotte-toi à de nouvelles choses. Lis quelques bouquins. Écoute de nouveaux trucs. Ils t’ouvriront des portes. C’est un voyage sans fin. C’est comme les maths, la poésie, les arts majeurs, les arts mineurs… Puis aussi, ça nous permet de ne pas avoir un putain de travail à la con. Un boulot normal quoi… »

Fiona a étudié à l’université. La philo, notamment. Quand elle a laissé tomber, elle a bossé comme serveuse. Enchaîné un tas de petits boulots merdiques, comme elle dit. Gareth a abandonné les études rapidement et a tout un temps joué les roadies. « Lors de mon jour d’essai, je suis monté dans le van avec mon boss. Il m’a demandé si j’aimais bien les Stooges. Quand je lui ai répondu oui, il m’a dit: « Cool, le job est pour toi. » Ça a été la seule et unique question de mon seul et unique entretien d’embauche. » Liddiard a accompagné beaucoup de groupes australiens. Il a aussi travaillé pour le Big Day Out, un gigantesque festival itinérant. « J’ai bossé avec Nick Cave, Henry Rollins, The Blues Explosion. J’ai fait ça pendant sept ans. Puis, on a bougé sur Melbourne et essayé de devenir musiciens. »

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Humour noir

Deep States est le troisième album de Tropical Fuck Storm.  » Je ne me souviens pas d’où et comment est né ce disque. Ou de ce qu’on voulait vraiment en faire. La pandémie a foutu tellement de bordel. J’ai l’impression d’avoir vécu dans un interminable tunnel. À un moment, tu ne cherches plus qu’à faire un disque. N’importe quel genre de disque. Tu ne cherches même plus qu’à te retrouver pour pouvoir faire quelque chose ensemble. Je ne sais pas s’il y avait d’autres intentions que celle de faire. Faire était déjà si compliqué. »

Le groupe australien est en confinement par intermittence depuis novembre. Erica Dunn vit à Melbourne et Lauren Hammel, dans le bush à deux heures de ses comparses. « Ça a été la merde pour tout le monde. À part pour Jeff Bezos. Mais cette pandémie, ce n’était pas la Grande Dépression ou la Seconde Guerre mondiale. C’était un désastre ennuyeux. Les six premiers mois étaient franchement et bizarrement déprimants. Ce n’était pas le moment de faire quoi que ce soit de créatif pour moi. On a donc bu de l’alcool et regardé Netflix. »

Ce dont Liddiard se souvient, c’est que quand il a commencé à écrire, il avait un tas de trucs à raconter. La pandémie, bien sûr. Mais aussi Donald Trump. La fulgurante ascension d’hommes politiques aussi forts que nauséabonds aux États-Unis et en Europe. Les théories conspirationnistes aussi. À commencer par QAnon. Cette mouvance d’extrême droite qui crie aux crimes pédophiles, cannibales et sataniques des élites américaines. « On s’est rendu compte de tout ça assez vite. On tournait aux États-Unis. On jouait à Washington D.C. au Comet Ping Pong, l’établissement qui s’est retrouvé au coeur du Pizzagate. En journée, c’est un restaurant familial où tu peux jouer au tennis de table, manger et boire un verre. Le soir, c’est un club rock’n’roll où ils accueillent des concerts. On a posté un truc sur Instagram pour annoncer l’événement la veille et quand on s’est levés, on avait droit à des commentaires genre: « Vous aimez les pédophiles ». On se demandait de quoi ils parlaient. Mais on l’a vite découvert. Promis: on n’a mangé aucun gosse… »

Même quand il parle de choses graves et flippantes, Liddiard le fait avec le sens de l’humour. Le tandem l’aime noir. Parle de Larry David et de Curb Your Enthusiasm. De Ricky Gervais et de The Office. De Mitch Hedberg aussi. « Ce comédien américain, mort en 2005, qui avait un humour assez pété et étrange faisait du one man show et fumait beaucoup d’herbe. » Gareth voit certains de ces comiques comme les nouveaux punks. « L’humour est chez quelques-uns un gage d’honnêteté en cette époque où elle est presque devenue illégale. Il peut aussi être transgressif et politiquement incorrect. C’est un outil important, je trouve, pour un parolier. Surtout quand le monde ne tourne plus rond. Dans les années 20, les dadaïstes et les surréalistes ont débarqué parce qu’il est difficile de critiquer des choses aussi stupides qu’un Donald Trump ou un Adolf Hitler. Et donc tu entres dans cette espèce d’univers extrême et ridicule. Des groupes comme The Birthday Party, des gens comme Louis-Ferdinand Céline… L’humour le plus sombre devient indispensable quand les choses tournent mal. Sans humour, tout serait tellement déprimant et déprimé qu’on finirait par se suicider ou s’entre-tuer. Puis, l’humour et la tristesse sont des choses qui peuvent très bien coexister. Ils se donnent même du relief. »

Lauren Hammel, Erica Dunn, Fiona Kitschin et Gareth Liddiard. Lost in the supermaket...
Lauren Hammel, Erica Dunn, Fiona Kitschin et Gareth Liddiard. Lost in the supermaket…© JAIME WDZIEKONSKI

Jésus, espion et alien…

Dans les disques de Tropical Fuck Storm, on a toujours croisé des personnages. Beaucoup de personnages. Deep States ne déroge pas à la règle. « Il y a Jésus-Christ. Il revient, se plaint que tout le monde soit devenu si moralisateur et défend l’idée que c’était son boulot. Il y a Q, le prophète de QAnon qui a passé le flambeau à son fils, vit aux Philippines et y dirige une ferme de cochons. Il y a aussi un alien et la version extraterrestre d’un espion de l’Allemagne de l’est. Ou encore un âne misanthrope qui veut que tout le monde trépasse. »

Cette distanciation est un outil précieux pour Liddiard dans l’écriture de ses chansons. « Quand tu as 20 ou 30 ans, tu as tendance à écrire des choses sur toi et tu les chantes à la premier personne. Tu pars de ta propre perspective. On avait des potes dans des super groupes. Ils étaient les stars de leur propre film et ça leur filait une putain d’énergie. Mais en vieillissant, ça finit par t’ennuyer. Et tu te demandes aussi: putain, qui suis-je pour raconter toutes ces conneries? Je ne suis pas le centre de l’univers. » Fiona part dans un grand éclat de rire: « C’est génial que tu t’en sois enfin rendu compte! » Il se marre. « Pour contrebalancer tout ça, tu crées des personnages. Et ce n’est pas l’inspiration qui manque. Tu as tellement de freaks partout. »

L’une des marques de fabrique de Tropical Fuck Storm, une des caractéristiques qui le sortent de la masse, c’est son côté fiévreux. Possédé. En matière d’exemples à suivre, ils s’y mettent à deux pour citer Black Sabbath, Guns N’Roses, AC/DC. Liddiard enchaîne avec Jimi Hendrix, les Stooges, Iggy Pop, Black Flag, les Bad Brains, Otis Redding, John Lee Hooker. La soul, Fugazi, Bikini Kill, Jesus Lizard. Il a aussi été profondément marqué par Einstürzende Neubauten. « On avait une émission télé en Australie qui commençait à minuit et durait toute la nuit. J’étais sous acide et j’ai entendu leur chanson Armenia. Elle a changé ma vie. J’étais dans le punk rock, le free jazz. Quelle découverte. Il y a aussi de l’humour noir et de la fièvre chez ces gens. Une âme. Beaucoup d’âme. Autant que chez Otis Redding et James Brown. En solo, Blixa Bargeld a des réminiscences de Scott Walker. »

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Les Tropical Fuck Storm sont de vrais passionnés. Et comme de coutume en Australie, ils ont l’un ou l’autre projet à côté. Erica Dunn fait partie de MOD CON et de Palm Springs. Elle joue aussi dans Harmony avec Jon Chapple, l’ex-Mclusky. Gareth a monté un trio avec le batteur Jim White (Dirty Three, Xylouris White, Cat Power, Bill Callahan, Will Oldham…) et le pianiste de The Necks Chris Abrahams. Ils ont écrit et enregistré un disque en deux semaines et demie pendant le lockdown. Ils s’appellent Springtime et sonnent (c’est mathématique) comme un mélange de TFS, des Drones, des Dirty Three et The Necks. L’album sortira sur Joyful Noise en octobre. « Après Deep States qui a demandé pas mal de temps notamment sur ordinateur, Springtime m’a rappelé qu’on pouvait faire de la musique vite et bien. »

En attendant, pour la première fois, les Tropical Fuck Storm ont leurs gueules sur la pochette de leur disque. « Je ne suis pas convaincu que tous ceux qui nous écoutent savent qu’il y a trois filles dans le groupe. Elles jouent de la musique bien plus puissante et barrée qu’un tas de mecs. Lauren (Hammel) est une batteuse bien plus musclée et percutante que la plupart des hommes. Je trouvais donc intéressant d’attirer l’attention et de mettre la lumière là-dessus. Mec, fille… Je ne vois aucune différence. Pas la moindre. C’est une question de gens, de personnalités. Tu ne peux pas généraliser avec les genres. C’est de la connerie. »

Jusqu’à TFS, Fiona avait toujours été la seule fille dans des groupes de mecs. « J’ai même longtemps été la seule fille backstage alors que trois ou quatre groupes jouaient la plupart des soirs. La scène rock était vraiment dominée par les mâles. » « En 2000, tu n’avais que des hommes. Excepté Fiona… Mais aujourd’hui, en Australie, tu vois de plus en plus de filles sur scène, poursuit Liddiard. Tu as Amyl (d’Amyl and The Sniffers). Puis aussi des groupes comme UV Race, même si ce ne sont pas elles qui y chantent. » À quand les concerts allumés dont TFS a le secret? « On verra. En Australie, il y a peut-être 14% des gens qui sont vaccinés. C’est pathétique. On a un gouvernement de droite. Des politiciens qui veulent être les responsables mais pas trop non plus… Ils ne veulent pas trop bousculer les choses et risquer de perdre des voix. »

The Storm is coming…

Tropical Fuck Storm « Deep States »

Rock. Distribué par Joyful Noise/Konkurrent. ****

Tropical Fuck Storm:

« The good news I bring you is this: your captivity is over. » Tropical Fuck Storm donne le ton d’emblée. Après un an et demi d’isolement, de vie au ralenti et de questionnement, le groupe australien sort un troisième album chaotique, fiévreux et paranoïaque. Dans un monde où le bizarre est devenu la norme, Liddiard et ses drôles de dames sont comme des poissons dans l’eau. Il y a du blues, du rock et du rap, du r’n’b, de la distorsion et du Tom Waits dans ce disque tordu et satirique qui s’aventure même sur les territoires glissants de la pop pour mieux raconter le désastre politique et social.

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