« Tout détonne et tout me plaît chez Christine and the Queens »

Héloïse Letissier et Madeleine Cantarella, notre gagnante © Lara Herbinia
FocusVif.be Rédaction en ligne

Il y a peu, nous offrions à un(e) lecteur(trice) de Focus de rencontrer Héloïse Letissier, en personne et sur les planches du Botanique. Voici le compte-rendu de notre gagnante, Madeleine Cantarella, fan jusqu’à la moelle.

Souffle saccadé, voilà qui laisse deviner… que j’ai le trac! Je fais les cent pas dans le hall de l’hôtel Bloom engoncée dans mon costume Michael Jackson. Nous avons rendez-vous avec la chanteuse et son attaché de presse dans un quart d’heure. Je jette un oeil à Camille, une amie venue m’accompagner. Elle est sagement assise sur un des poufs violets du lobby psychédélique, les yeux mouillés, à fleur de peau.

Parce qu’Héloïse Letissier, alias Christine and the Queens, fait cet effet-là aux gens. Elle émeut, elle emporte, elle nous parle tout près du coeur à travers le filtre poétique de ses textes. Underneath comme on dirait en anglais. Que tout se décide, cide, cide. Ses chansons restent dans la tête, pas à la manière d’une rengaine énervante, mais plutôt comme un mantra qui rend meilleur. Maquillé comme à la craie, tout détonne et tout me plaît. Lara, la photographe de Focus, nous rejoint tout sourire et brise le silence religieux du lobby. Volubile, je lui explique que j’ai gagné le concours de Focus en envoyant des photos de moi prenant les poses de Christine dans son clip Saint-Claude. Que j’aimerais reproduire quelques poses avec elle, aujourd’hui pendant l’interview. Elle sourit, trouve l’idée bonne. Olivier, l’attaché de presse, vient nous chercher et nous conduit dans un autre hall, un étage plus bas. Les murs sont rouges, tendus çà et là de rideaux à fleurs.

Au fond d’un des fauteuils, Héloïse/Christine est assise et finit un entretien téléphonique. C’est un petit modèle de femme, en caban beige et visage radieux.

Lara (armant son flash): Parfait, la lumière est super!

Olivier (à moi en regardant sa montre): Il est 16h18, dans deux minutes elle raccroche et c’est à toi. Elle doit être à 16h30 à la balance. Tu as donc dix minutes.

Dernières vérifications, je mets en route le dictaphone, prend l’invitation de l’Odéon pour la pièce de Bob Wilson et une photo de moi en pose Saint-Claude, dédicacée pour Christine.

Christine (jaillissant du fauteuil): Bonjour!

Bonjour Christine, je peux te tutoyer ?

Bien sûr! (avisant mon costume Michael Jackson et mes cheveux blonds rosés) Ah ben dis donc, quel style, j’adore tes cheveux. En fait, tu es moi en mieux. Tu es ma version update 2.0 .

(Rires) Alors, je sais qu’on doit souvent te le demander dans le sens inverse, mais je me suis dit que ce serait drôle que je te donne une dédicace (lui tendant la photo) donc voilà, c’est moi imitant une des poses de ta chanson Saint-Claude dans la rue Christine.

(Elle prend la photo et rit. Lara rit. Je ris aussi.)

J’ai souvent lu dans tes interviews que tu as une admiration particulière pour Bob Wilson. Il se fait que je travaille au théâtre de l’Odéon à Paris et qu’en leur nom je te transmets une invitation à voir sa dernière mise-en-scène.

Ah, puis en plus il met en scène une pièce de Jean Genet, qui est un de mes auteurs préférés. C’est génial, merci! Pardon, je suis confuse mais c’est juste que ça me fait très plaisir. Oh je suis contente, great!

Lara: Faisons un portrait devant les fleurs rouges là, voilà, mettez-vous dos à dos comme ça.

Christine (me regardant tout sourire): En plus on fait la même taille, tu pourrais peut-être faire la deuxième partie de la tournée?

(Rires)

Oui c’est vrai! J’aimerais que tu me montres un geste chorégraphique que tu ferais en concert, puis je vais essayer de le reproduire, pour le fun!

Christine: Je pense que je fais des gestes assez accessibles au grand public, je ne pense pas faire des trucs très compliqués. Je fais toujours la pose de la poussette que j’aime bien, en regardant en biais comme si un lézard me montait dessus.

(Dos à dos cambrés, mains en papillon, cils baissés on prend la pose sous les flashes de l’appareil de Lara)

Christine (changeant de pose): C’est une pose qui marche pour les fêtes de fin d’année aussi, pour les anniversaires…

Lara (riant): et maintenant une de près… Voilà , super, incroyable!

Tu as pris l’accent Belge en arrivant ici?

Christine: Écoute, pas encore, en fait j’ai un mal fou à faire les accents. Je me prends un bide total quand j’essaie de faire l’accent Belge, on me dit que ça ressemble à l’accent canadien.

Lara (nous montrant les clichés sur l’écran de son appareil): Bon là je pense que j’ai ce qu’il faut, on est bien là?

Héloïse Letissier et Madeleine Cantarella, notre gagnante
Héloïse Letissier et Madeleine Cantarella, notre gagnante© Lara Herbinia

J’ai l’air complètement extatique!

Christine: C’est très cohérent avec la rencontre finalement!

On va se rapprocher de la table où j’ai posé le dictaphone. Pour en revenir à Bob Wilson, pourquoi cette fascination?

Je le cite souvent parce que je parle de scénographie et d’images. Bob Wilson, pour moi, ce sont des objets visuels, c’est quelqu’un qui met en scène de manière codifiée, qui s’inspire parfois presque du théâtre nô, il fait plus des tableaux que des scènes, ce qui me parle évidemment vu que c’est ce que j’essaie de faire avec le visuel de mes chansons.

Il paraît que pour la chanson Saint-Claude, tu t’es servie du stream of consciousness, la technique narrative qui vise à écrire son monologue intérieur, caractérisé par des sauts associatifs.

Je parlais de stream of consciousness parce que c’est une des chansons les moins réfléchies que j’ai écrites, c’est une chanson où il y a un débit presque parlé. Je n’étais pas carrément en écriture automatique mais je n’étais pas non plus dans une contrainte de strophe, de rime ou de musicalité de base ce qui fait que c’est une de celles où j’avais l’impression de faire parler l’inconscient. Je n’ai pas utilisé consciemment ce mode narratif, c’est plutôt à la relecture de la chanson que je me suis dit que ça pouvait évoquer ce genre d’esthétique .

Tu dis toi-même que ta carrière a pris un tournant, que tu es passée de la comédie au chant. As-tu pris des cours de chant ou ta voix a-t-elle, comme dans de rares mais beaux cas, simplement « éclos »?

Pour être honnête, je commence tout juste à prendre des cours de chant maintenant. Je vais devoir gérer une tournée et ce n’est pas que j’utilise mal ma voix, mais je vais devoir à apprendre à l’utiliser comme un muscle. Quand j’étais au conservatoire d’art dramatique à Nantes, il y avait des cours de chant obligatoires et je n’y allais pas. J’étais très complexée par ma voix, je ne supportais pas du tout de chanter. Jusqu’au moment où j’ai écrit des chansons grâce à cette rencontre à Londres et où le projet Christine est né.

En parlant de Londres, tu dis t’être installée chez trois drag queens, je t’imagine arrivant chez trois vieilles dames claquant des doigts sur un son groovy comme dans les Triplettes de Belleville. Comment ça s’est passé?

(Rires) J’ai passé une semaine chez l’une d’elles. Mais elles sont beaucoup plus glamour et très belles, elles ne sont pas du tout en mode Triplettes de Belleville. Ce sont des hommes qui te complexent d’être une femme puisqu’ils arrivent à être une femme mieux que toi et de manière très codifiée. J’étais en admiration totale de leur rythme de vie, de leurs préparatifs… J’habitais chez l’un d’eux (je ne sais jamais s’il faut dire il ou elle) qui était jardinier le jour et travesti le soir. Il faisait des vidéos de jardinage avec son personnage de travesti. Il a une décontraction incroyable par rapport à ce cloisonnement-là, il a deux métiers et s’en amuse complètement.

Tu évoques Lena Dunham (la créatrice de la série Girls) dans une interview, si tu devais faire une série ou qu’on te commandait un sujet, qu’aurais-tu à dire?

D’abord, est-ce que je ferais une série? Est-ce que j’aurais des trucs à dire en faisant une série? Comme j’ai déjà l’impression d’être dans un récit de soi et des autres avec mon projet de musique, je me demande si je ne ferais pas une série complètement différente. Une série sur des psychopathes par exemple, j’aime beaucoup les psychopathes (rires).

Sur quoi vas-tu t’orienter pour ton prochain album? Tu dis vouloir un son plus funky? Feras-tu évoluer ton personnage Christine en fonction?

Ça me fait rire parce que je m’étais dit déjà que pour mon premier album je ferais quelque chose de péchu alors que Chaleur humaine est plutôt doux et mélancolique. Je réfléchis déjà au deuxième, j’ai commencé à écrire. J’aimerais qu’il soit plus funky, pas funky « ascenseur » mais un peu plus suintant. Et parallèlement j’aimerais faire évoluer Christine vers quelque chose de plus noir. Elle n’est pas un personnage que j’habite, elle est un peu comme moi finalement. Disons qu’elle est un prisme d’écriture, une technique.

Olivier (enfilant un blouson qui aurait trempé dans les couleurs de Drive et de Parker Lewis ne perd jamais): Désolé de vous interrompre mais on doit… Disons que c’est la dernière question…

Oui, oui bien sûr! Quel est le tout tout tout début, le germe du commencement de l’inspiration d’une chanson? Une image, un événement? Es-tu seule ou à plusieurs quand la « création » vient te visiter?

Pour moi, c’est toujours de l’extrême solitude parce que je travaille toute seule sur ordinateur, je n’ai jamais réussi à écrire une chanson avec quelqu’un pour l’instant. Je ne sais pas si c’est un handicap ou pas. Ce qui est intéressant quand tu es seule c’est que tu n’as aucune règle. Chaque chanson de l’album a une raison différente d’exister. Pour Saint-Claude ça a été un événement très précis; j’étais dans un bus où tout le monde se moquait d’un jeune homme et ça m’a fait une sensation très étrange.

Dans le 96 c’est ça? À l’arrêt Saint-Claude.

Exactement.

C’est une ligne que je prends souvent, de toutes façons je ne prends jamais le métro je suis très claustro…

Moi aussi je prends tout le temps le bus! Et par exemple sur une autre chanson, je vais partir sur une rythmique que j’aime beaucoup , je n’ai pas vraiment de règles mais c’est sûr que le processus est pour moi très solitaire.

Bon je crois qu’on va devoir s’arrêter ..

Ben merci (serrant l’invitation) c’est génial! Et enchantée! On se croise plus tard j’imagine?

Je serai à ton concert ce soir, MERDE!

Christine nous cueille au Botanique

Comme un prolongement enchanté de l’interview, le concert confirme la fulgurante popularité de Christine and the Queens. Les fans piétinent depuis une demi-heure et lancent régulièrement des vivats. Lorsqu’elle apparaît dans la lumière bleutée de son titre Starshipper, une électricité nous parcourt et la foule monte comme un seul homme-femme avec elle dans son vaisseau spécial. Autour d’elle, deux danseurs accompagnent ses poses gracieuses ou punchy. Pas à la manière de backup dancers traditionnels, non: les danseurs de Christine parviennent à évoluer dans leurs propres univers tout en surlignant ses mouvements à elle. Elle entrecoupe ses morceaux chantés de traits d’humour qu’elle qualifie elle-même de « ratés », ce qui la rend drôle et touchante à la fois. Un spectateur lui tend un sachet de gâteaux. « Sweet Cupcakes? Ça sera le titre de mon prochain album », plaisante-t-elle. On se demande dans quelle parcelle de ce petit corps d’un mètre soixante réside le génie, tant le passage de la « gentille Héloïse » à la « bête de scène Christine » est fluide et naturel. L’artiste rayonne et étend ses bonnes ondes jusqu’à bien après le concert. On n’a qu’une envie, lui souhaiter que le succès ne la blase pas.

Rencontre: Madeleine Cantarella

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