Subbacultcha, six feet under

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Plateforme indépendante qui joue avec la musique et les arts alternatifs, Subbacultcha essaie un modèle économique audacieux et communautaire. Avant la soirée The Sound of the Belgian Underground à l’AB, zoom sur l’opérateur culturel, son fanzine et ses concerts gratuits pour les abonnés.

« The mainstream comes to you but you’ve to go to the underground », déclarait un jour Frank Zappa. Aujourd’hui, avec Subbacultcha, c’est un peu la contre-culture qui vient à toi. Et qui t’invite à la célébrer chez les autres. Subbacultcha est une plateforme indépendante qui propose un fanzine en anglais et quantité de contenus en ligne tout en donnant accès gratuitement à une vaste sélection d’événements pour ses abonnés. « Le coeur du projet, son élément central, c’est la carte de membre, explique Kasper-Jan Raeman. Pour huit ou neuf euros par mois (selon que vous vous contentez du digital ou désirez la version papier de leur maga dans votre boîte aux lettres), 99 euros à l’année, l’abonné peut assister à une sélection de concerts, de fêtes, d’expositions et de performances en Belgique sans devoir remettre la main au portefeuille. »

Élancé, sympa, propre sur lui, du genre trentenaire flamand dans le vent, Kasper-Jan a donné rendez-vous à la cafétéria du S.M.A.K., le musée municipal pour l’art actuel à Gand. Un lieu que le garçon connaît bien, il y organise d’ailleurs deux soirées par an. « Ça connecte l’établissement à un public jeune. L’idée avec Subbacultcha était de créer un groupe, une communauté intéressée par de nouvelles musiques, une certaine vision du cinéma et de l’art. Le tout avec la volonté de briser les frontières, de fédérer et d’orienter un public curieux qui aime se frotter à l’inconnu… On a commencé avec la musique mais on a très vite rencontré, dans le milieu de la photo, des expos, du 7e art, des gens qui baignaient dans le même état d’esprit que nous. En gros, on fait de la promo, on donne de la visibilité à des événements et en échange nos membres peuvent y entrer gratuitement. »

Goat et Fornet au Stuk, De Ambassade à de Koer, Mishap et Pursses à Super Fourchette, Booty Booty with Mara chez Madame Moustache ou encore une projection de Bande de filles à la Cinematek… Demandez le programme! Ce n’est qu’une partie de ce qui vous attend d’ici la mi-février. Et si vous vous sentez perdus, c’est un peu le principe. Subbacultcha joue la carte des grandes villes: Bruxelles, Gand, Anvers, Leuven et Liège. Elle collabore avec plus de 60 partenaires indépendants et institutionnels. L’Ancienne Belgique, le Botanique, C12, le Beurs, le Vooruit, Het Bos ou encore JauneOrange… « On fonctionne avec des promoteurs qui offrent à découvrir de nouveaux artistes. Des artistes belges ou internationaux qui en sont encore au début de leur carrière. Folk, hip-hop, électro… Peu importe le style. Nous, ce qu’on veut, c’est du cutting edge. On ne fera jamais Rihanna et Justin Bieber. Ce qui rassemble les producteurs avec lesquels on travaille, c’est qu’ils cherchent tous de nouvelles têtes dans leurs niches respectives. »

Subbacultcha le revendique. Elle connecte une vision artistique à un business model moderne. Dans un monde où les concerts et les événements culturels pullulent et où il n’est pas évident d’exister, elle est synonyme de visibilité. Subbacultcha Belgique compte 1.000 abonnés. Son bimestriel est distribué à 12.500 exemplaires. Le site web attire 20.000 visiteurs par mois. Il y a aussi évidemment les réseaux sociaux. À l’heure d’écrire ces lignes, 13.829 personnes la suivaient sur Facebook et 6.687 sur Instagram. « La tranche des 18-30 ans est particulièrement intéressante pour nous. C’est notre cible privilégiée. Ce sont généralement des gens qui ont le temps, l’intérêt, la curiosité mais pas encore l’argent. On leur permet d’assouvir leur intérêt à petit prix. Vingt à vingt-cinq membres de Subbacultcha entrent généralement aux concerts dont nous sommes partenaires. Parfois un peu plus. Parfois un peu moins. Un événement Kraak à Gand est moins plébiscité qu’une grosse soirée au C12. » En règle générale, il suffit de se pointer à l’entrée avec sa carte d’abonné et celle d’identité. Politique du premier arrivé premier servi certes, mais 98% des concerts proposés par la communauté n’affichent pas complet.

Made in Holland

Kasper-Jan a 32 ans. Il a étudié l’Histoire pour comprendre le monde et a enchaîné les stages pour vivre celui de la musique de l’intérieur. Le club itinérant Democrazy, le Botanique, le label Crammed Discs ou encore l’agence de booking londonienne Nomanis, qui gérait entre autres les destinées scéniques de Washed Out et de Toro Y Moi. C’est là qu’il a découvert Subbacultcha. Si la marque existe en Belgique depuis huit ans maintenant, l’idée a été lancée en 2005 aux Pays-Bas par Leon Caren et Bas Morsch. « Nomanis travaillait souvent avec eux à Amsterdam. On parle d’artistes qui ne jouaient souvent même pas en Belgique. J’ai contacté Leon et Bas pour leur demander si je pouvais développer Subbacultcha chez nous. J’avais 24 ans. Aucune institution n’était prête à m’offrir un boulot. Je me le suis donc créé moi-même. »

Très vite, après un an seulement, Kasper-Jan a été rejoint par sa soeur aînée. Herlinde a notamment travaillé chez l’éditeur indépendant Strictly Confidential et l’agence de booking Toutpartout. « Les trois premières années, nous ne comptions que 150 membres. C’était très compliqué. Entre le hobby et le boulot. Mais nous sommes des organisateurs, des personnes qui veulent que ça bouge. Des entrepreneurs qui ne cherchent pas à devenir les nouveaux Bill Gates mais qui veulent faire en sorte que des choses se passent. J’ai commencé dans ma chambre. Puis on a transformé un parking à vélos en bureaux. »

Kasper-Jan Raeman
Kasper-Jan Raeman© DR

Au final, tout le monde a fini par s’y retrouver. En 2015, Kasper-Jan a fait de Subbacultcha son emploi. Il se charge des partenariats. Sa frangine s’occupe des contenus. Et une troisième personne répond aux questions des membres et gère les campagnes de communication. Un trio qui peut compter sur l’appui de freelances. « Le modèle est particulièrement intéressant pour les tourneurs d’artistes en développement. Subbacultcha peut organiser des concerts mais en assure surtout la promo. On fait donc parfois office de test pour ceux qui cherchent à estimer le potentiel des artistes. »

Aux Pays-Bas, la boîte organise 90% des concerts elle-même. « Leon jouait dans différents groupes (The Moi Non Plus, Blues Brother Castro) et montait déjà des gigs au Melkweg et au Paradiso. On a dû s’acoquiner avec des organisateurs. C’est difficile pour eux aussi. Souvent les médias généralistes ne connaissent pas les artistes qu’ils font jouer. Ils n’ont pas d’espace à leur consacrer. »

« Au départ, Kasper-Jan avait repéré qu’on faisait des trucs qui l’intéressaient et il proposait des premières parties, détaille le promoteur de concerts liégeois Jean-François Jaspers (Go With The Flow!, ex-JauneOrange). Quand il a lancé Subbacultcha en Belgique, on s’est dit que c’était de la visibilité, du contenu, du rédactionnel sur un média chouette et aventureux. Il nous contacte pour des événements qui collent à sa ligne éditoriale. Au départ, il y avait très peu d’impact sur notre billetterie. Mais maintenant, il y a quelques Liégeois abonnés et ça marche bien avec le Micro pour lequel on leur réserve un quota de places. »

La qualité et les marges

Subbacultcha Belgique joue quand même aussi un rôle de curateur. Il a son festival, Different Class (comme l’album de Pulp), qui a invité Juan Wauters, Coucou Chloé et Erika de Casier à Gand l’été dernier… Il s’appelait Wastelands mais a changé de nom quand les organisateurs d’un événement amstellodamois homonyme ont réclamé 500 euros de dédommagement. Kasper-Jan et son équipe programment aussi la closing party de l’Antwerp Art Weekend et The Sound of the Belgian Underground, qui prendra ses quartiers à l’Ancienne Belgique le dimanche 26 janvier. « Tout le monde a une définition différente de l’underground. Pour moi, ce sont des groupes qui expérimentent et sont encore au début de leur carrière. Du moins pas encore connus et suivis par les médias traditionnels. Des groupes qui méritent davantage d’attention. Les Pays-Bas avait The Sound of the Dutch Underground. On s’est dit que c’était une idée intéressante. » Une occasion, une de plus, d’attirer l’attention, de braquer les projecteurs sur la qualité et les marges. « Beaucoup d’artistes géniaux jouent devant 50 personnes. Ce genre d’événements rassemble. Il est important pour nous. C’est une sélection de neuf artistes belges ou qui habitent en Belgique. Parce que de plus en plus s’y installent. »

Cette année, le rendez-vous biennal accueillera notamment la bluffante Chibi Ichigo, une artiste née en Russie dont l’alter ego musical est japonais et qui chante/rappe dans sa langue maternelle, en néerlandais et en anglais. Mais aussi Clara! Y Maoupa, qui a grandi en Espagne au son du reggaeton. La communauté Subbacultcha se joue des frontières linguistiques. « C’était important déjà pour nous d’être belges. Parce que je suis belge plus que flamand. À Bruxelles, on a davantage de francophones que de néerlandophones. Puis Bruxelles est un biotope pour toutes les cultures. On est aussi présents sur Liège. On a essayé Charleroi mais c’était un peu compliqué. « 

Kasper-Jan, qui a accompagné les débuts de Mac DeMarco et de Mykki Blanco, a quelques anecdotes dans son sac à dos. Les Future Islands ont dormi sur des matelas gonflables dans la maison de son père parce qu’ils n’avaient pas un balle. John Maus, qui voulait de la compagnie, a préféré dormir chez l’habitant plutôt que dans la chambre d’hôtel qui lui avait été réservée. « Il a pieuté tout habillé avec ses chaussures. » Mais une autre petite histoire, plus ancienne celle-là, renvoie à toute la philosophie de Subbacultcha. Kasper-Jan a réalisé son travail de fin d’études sur les organisateurs de concerts rock et jazz à Gand dans les années 50. Leurs connexions avec le milieu économique et politique. « Le parti socialiste à l’époque proposait déjà des concerts avec des cartes de membres… »

Les Raeman préfèrent se tourner vers l’avenir que de repenser le passé. « Airbnb et compagnie sont créés par des techniciens. Les nouveaux modèles comme Spotify et Netflix sont des multinationales, des idées américaines. Les gens derrière sont, je pense, les mêmes que ceux qui bossent chez Apple ou Google. Mais il y a des initiatives intéressantes et différentes. Avec sa Thousand True Fans Theory, l’Américain Kevin Kelly développe l’idée qu’il est possible de faire de la musique ton métier si tu as 1.000 vrais fans. » Des fans qui achèteront tout ce que l’artiste produit -les éditions de luxe, le t-shirt, le mug et le string- et feront 320 bornes pour aller le voir chanter. Ils ont une alerte Google sur son nom. Small is the new big thing… « Le modèle de Subbacultcha a quelque chose d’innovant, conclut Jean-François Jaspers. Avec les abonnés, on sort du gars qui paie pour un magazine. Il y a une contribution, un investissement de la part du lecteur qui peut facilement rentabiliser s’il est un peu curieux. J’y vois un parallèle avec Gonzai, qui sort lui aussi du média classique et devient un acteur avec son système de crowdfunding, son côté communautaire, sa volonté d’être prescripteur et de monter des soirées. Ce n’est pas juste « c’est bien » mais « c’est bien et on va vous le montrer. » »

The Sound of the Belgian Underground, le 26/01 à l’AB. Entrée gratuite pour les membres de Subbacultcha.

Surprises surprises

En quête de repères, de guides, de GPS, les amateurs de culture au sens large s’en remettent de plus en plus à des prescripteurs et paient sans savoir exactement ce qu’ils auront en échange. La preuve par trois.

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The Vault

En bon entrepreneur, businessman mais aussi artisan qu’il est, Jack White a lancé en septembre 2009 le Third Man Records Vault. Tous les trois mois, les abonnés reçoivent par la poste un album, un 45 Tours et un petit extra (poster, livre, badge…), tous évidemment liés au label, pour 240 dollars par an, 65 le trimestre. Malin le monsieur Jack.

Subbacultcha, six feet under

Hiss & Pop

Créé par des Liégeois vinylophiles, Hiss & Pop envoie chaque mois le 33 tours d’un artiste à découvrir, une fiche explicative et quelques surprises. Vingt-huit euros mensuels, frais de port compris (et possibilité d’échanger ses doubles). En 2019, les crate diggers ont notamment mis en lumière le cow-boy Paul Cauthen et la chanteuse soul Tanika Charles.

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Stack

Né en 2008 et venu d’Angleterre, c’est une espèce de magazine club. Contre un abonnement de 150 euros par an (prix belge avec envoi à la maison), Stack fait chaque mois découvrir un maga indépendant différent. Visions, Borshch, Fare… Les publications parlent de science-fiction, de musiques électroniques ou encore de bouffe.

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