Stef Kamil Carlens joue Bob Dylan
Quel belgicain peut dignement reprendre le répertoire de Mr. Dylan, en concert le 15 octobre? Rencontre avec Stef Kamil Carlens, carnet des textes de Bob à la main.
“J’avais eu ce bizarre contact via mon site web: une certaine Sonia, ex-championne de boxe au Texas, me contacte, dit qu’elle aime vraiment notre musique et m’annonce que je pourrais rencontrer Dylan via son bassiste, lors d’un de ses passages en Belgique. Quelques années plus tard, vers 2010, le gars en question me confirme que c’est possible, il me met sur la liste VIP de Forest National. Et puis il me demande si je connais un club de boxe à Bruxelles. Puis, évidemment, à la dernière minute, ils n’ont pas été boxer et rien ne s’est passé mais quelle excitation!” Stef Kamil Carlens rigole. On est début octobre dans son compound de Hoboken -banlieue sud d’Anvers- qui regroupe habitation, atelier et studio. Ces jours-ci, il enregistre une jeune chanteuse hollandaise, laisse passer les pistes, vocalement impressionnantes. Mais le sujet de la soirée, c’est Dylan. Stef: “En fait, l’idée remonte à 2006, j’ai pu programmer un festival à Ostende et j’ai profité du formidable support group formé des musiciens d’Arno -Mirko, Serge Feys et les autres- auquel j’ai ajouté mes deux choristes, pour faire une vingtaine de chansons de Bob.” Carlens a volontiers dylanisé ici et là, mais la présente tournée qui mène SKC & the Gates of Eden entre autres à l’AB au printemps est sa plus consistante et plus étendue en matière zimmermanienne. Un répertoire qui, pareillement à celui de Leonard Cohen, instille sa musique depuis avant dEUS. Au vu des vidéos sur le site de Stef ou sur YouTube, les reprises se distinguent par leur ferveur fiévreuse, leur large tissu musical -le groupe compte neuf musiciens- et de subtiles (dé)colorations volontiers soul-gospel amenées par les deux choristes. Avec la présence remarquée de Mirko Banovic, bassiste historique d’Arno durant ces deux dernières décennies et, selon tous ceux qui l’approchent, “une crème d’homme”.
Dans cet écrin de plaisir, Stef n’a sans doute jamais aussi bien chanté, le cœur à l’air libre, le gosier étreint de mots, la musique absorbée jusqu’aux ultimes nervures dylaniennes. On est loin des croassements de l’actuelle interprétation vocale par Dylan de ses propres classiques. “J’ai dû le voir une dizaine de fois en concert, explique SKC, et parfois, c’était horrible” (rires). Ce qui ne l’empêchera pas de retourner à Forest National ce 15 octobre, une nouvelle fois observer -et admirer- le crocodile misanthrope, l’homme qui ne dit plus bonjour, l’octogénaire opaque en scène probablement jusqu’à la fin. “Quand tu lis ses textes, tu es tout de asuite transporté. Par exemple, I and I (sur l’album Infidels, 1983), où il a travaillé avec Sly & Robbie, commence par ces phrases “Been so long since a strange woman has slept in my bed/Look how she sleeps, how free must be her dreams”. D’emblée, tu es dans un film: qui est cette femme? pourquoi est-elle dans son lit? pourquoi n’a t-il pas eu de femmes pendant si longtemps? Tu te poses des tas de questions, après deux phrases. Et puis, il chante “Dans une autre vie, elle pourrait être mariée avec un prince qui écrit des poèmes à la lueur de la lune”. Mais avec quoi il vient? Dylan, c’est un livre que tu ouvres et que tu ne peux plus quitter. C’est tellement bien écrit et tellement gai à chanter.”
Dylan au lavoir
La set-list de The Gates of Eden comporte 20 titres, dont un quart à peine d’archi-standards: All Along the Watchtower, Shelter from the Storm, Blind Willie McTell, Like A Rolling Stone et Forever Young qui termine le set. À la lueur d’une trappiste, alors que la lumière, la vraie, tombe sur le beau studio boisé de Hoboken, on, écoute Stef: on lui a demandé de sélectionner une poignée de ses reprises dylaniennes et de les commenter. Il choisit d’abord Dead Man, Dead Man (album Shot of Love, 1981), dernier de la trilogie “born again christian”. Stef: “Là, Dylan exprime sa foi avec, notamment, cette phrase qui le résume bien: “Never bein’ able to separate the good from the bad (…) Dead man, Dead man/When will you rise?” Moi, j’ai foi dans la musique, dans l’expression, la jouissance, l’idée de se perdre dans l’expérimentation. Mais je suis un éternel optimiste: la preuve, à neuf musiciens, ce n’est pas rentable. Chaque tournée finit dans le rouge (sourire). Les deux-trois dernières années, je n’ai rien gagné, mais je ne suis pas resté une seule journée sans travailler.”
Pour Stef, Dylan fonctionne comme un ricochet, ou plutôt un boomerang, sensation aux allers-retours entre la chanson d’origine et la reprise. “Il y a des milliers d’artistes qui ont réinterprété Dylan, c’est dingue. Dans mon répertoire, il y a ce morceau, What Was It You Wanted (album Oh Mercy, 1989) qui ne va pas forcément chercher dans la poésie: “What was it you wanted/Tell me again so I’ll know/What’s happening in there”. Là, c’est du langage parlé, mais il a quelque chose d’unique dans la façon dont il pose les mots. Dylan varie volontiers de genre. Par exemple dans Isis (album Desire, 1975), que je reprends aussi, il écrit qu’il est dans un lavoir. Il y rencontre un mec qui lui dit connaître l’emplacement d’un trésor qu’il faut aller chercher (sourire). Il décrit le périple, dans la nature, dans les montagnes où son partenaire meurt de froid, c’est sans fin.” Justement, en reprenant Dylan, SKC rappelle combien la musique est sujet d’infini. Pas seulement d’interminable Route 66, mais sans frontières mentales, poétiques, rock. D’où l’intérêt pour le fleuve Dylan, cet Amazone de mots qui ne dit jamais vraiment son nom. Stef en prend les affluents. Pour le meilleur et, peut-être, pour un album live un de ces mois…
Dylan est le 15/10 à Forest National et Stef Kamil Carlens & the gates of eden le 05/03 à l’Ancienne Belgique.
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