Squid, le groupe anglais aux multiples facettes: « Les préoccupations environnementales sont toujours dans nos disques »
Le nouveau Squid, Enregistré avec Dan Carey aux Real World Studios de Peter Gabriel, cause manifs, rats de Baltimore et anxiété climatique. Making of…
Le 19 mai 2021, une semaine et demie après la sortie de son premier album, Bright Green Field, Squid donnait à The Cornish Bank, une petite salle de Falmouth, ville portuaire située à l’extrême sud des Cornouailles, le coup d’envoi d’une tournée pandémique (“Fieldworks”) placée sous le signe du work-in-progress. Distanciation sociale, public assis, ambiance forcément amortie… Redoutable empêcheur de tourner en rond, Squid a essayé d’exploiter à son avantage la situation. “On s’est dit que c’était une super opportunité pour donner des concerts pas comme les autres, commente le batteur-chanteur Ollie Judge à une table du Barbeton, au bout de la rue Dansaert. Les gens étaient tellement excités à l’idée de revoir du live qu’on pouvait jouer tout ce qu’on voulait.”
Mise à l’épreuve, crash-test… Ces soirs-là, Squid joue déjà sous une forme ou l’autre 80% de ce qui deviendra leur deuxième album, O Monolith. La plupart des extraits sont sans paroles. “On avait des instrumentaux et j’avais peut-être de vagues idées pour quelques textes. Disons qu’on avait des squelettes. Ça a vraiment été compliqué d’écrire les paroles pour ce disque. Et cette tournée a clairement aidé. Ça faisait un an peut-être qu’on n’avait plus donné de concerts. J’étais plus nerveux que dans mon souvenir. Peut-être parce qu’entre-temps, on avait sorti un album et qu’on ressentait davantage de pression. Vu le fonctionnement de l’industrie et l’importance des cachets comme source de revenus, je ne pense pas qu’on aura une autre opportunité comme ça dans le futur. Tu ne peux pas donner des concerts devant 30 personnes comme ça pendant un mois. À moins qu’un autre virus nous tombe dessus…”
Grands malades, les cinq mecs de Squid continuent d’agiter leurs tentacules et poursuivent avec O Monolith leur perpétuelle réinvention. “On voulait un disque moins post-punk. Un disque avec des éléments de vieux folk. On voulait s’assurer qu’il y ait davantage d’espace entre les instruments, enregistrer un album plus acoustique.” Il y a d’ailleurs du basson et des flûtes sur cet album hors du temps. Bestiole protéiforme, Squid a toujours aimé les chansons à tiroirs. Il y en a ici tellement que certains auditeurs pourraient s’y perdre. “Il faut faire attention, oui. La patience est une vertu en voie de disparition dans le monde de la musique et de ceux qui l’écoutent. Il n’y a pas un morceau sur l’album qui est juste du couplet-refrain. Notre album ne comporte que huit chansons. Mais il y en a à chaque fois au moins deux en une.” Squid est quelque part en ce sens un héritier de Radiohead, de son Paranoid Android.
Sympa, bavard, rigolo, Judge a le rire facile et franc. Quand on lui demande qui sont ses chanteurs préférés, il cite immédiatement Black Francis, Björk et Thom Yorke. “Chanter rend vulnérable. Et jusqu’ici, je m’étais toujours caché derrière mes cris.” Sa nouvelle manière d’utiliser sa voix est l’une des autres grosses évolutions du disque. “Je ne suis pas quelqu’un qui gueule de manière générale. Je me voyais un peu comme un imposteur du cri. Genre: ce n’est pas vraiment moi. Je ne veux pas qu’on se souvienne de Squid comme d’un groupe punk hurleur d’ici quelques années. Ça a quand même été un challenge personnel. Avec ses hauts et ses bas. Ma copine, à la maison, est une chanteuse de formation classique. Elle m’a donné des conseils, notamment en termes de posture. Elle m’a dit de ne pas manger avant de chanter. Puis aussi d’arrêter de fumer. Mais là-dessus, j’ai fait une exception.”
Field recording et tapisserie
Façonné dans diverses salles de répétition de Bristol, le disque a été enregistré dans les luxueux studios Real World de Peter Gabriel. Ça change de l’antre claustrophobe du sorcier Dan Carey. “Dan avait travaillé là-bas avec Foals quelques mois plus tôt. Il nous l’a recommandé. Puis, j’ai grandi à dix minutes de Real World. Des amis de la famille y bossaient. Mais même en y connaissant des gens, je n’y avais jamais mis les pieds. Je pense qu’il a permis plus d’espace dans la production. Avec une super réverb naturelle. Des petites choses techniques comme ça qui te font jouer autrement.”
Au Real World, Ollie a croisé Tom Jones, qui bossait dans le studio d’à côté, et joué avec le field recording, immortalisant notamment des chants d’oiseaux (on les entend au début de Green Light). Ses parents ayant déménagé en France l’année dernière du côté de Bergerac, il a comme l’impression d’avoir bouclé une boucle. O Monolith, le titre du disque, fait référence à une grande tour de Bristol. “C’est une espèce de cheminée attachée à l’hôpital. C’est un peu oppressant mais tu peux la voir de partout en ville.”
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Judge explique la pochette. La photo d’une vraie tapisserie que Squid a fait faire en Amérique. Une réaction à celle assistée par ordinateur et intelligence artificielle de leur premier album. “On voulait un truc plus tangible. Je suis un peu effrayé par les technologies pour le moment. Du coup, c’est bien de s’en retourner aux arts anciens.” (rires)
Il évoque Talk Talk et la nature plus rêveuse du disque. La collaboration avec John McEntire (Tortoise). Et détaille les chansons. The Blades, pierre angulaire de l’album, fait écho aux manifestations à Bristol en 2021 contre un projet de loi renforçant les pouvoirs de la police lors des rassemblements pacifiques, racontées du point de vue d’un pilote d’hélicoptère. La chanson du guitariste Anton Pearson (la dernière de l’album) est inspirée par un essai documentaire (Rat Film) qui raconte Baltimore à travers ses rats. Et Swing (In a Dream) parle d’anxiété climatique. “C’est lié à l’un de mes rêves. Tout flottait… Et c’est probablement ce qui va arriver. Les préoccupations environnementales sont toujours dans nos disques. D’une manière ou d’une autre. O Monolith est ancré dans la campagne et la nature. Là où le précédent était plus urbain, voire brutaliste. Pour le prochain, on partira sans doute vers un truc à la James Holden, plus électronique. Ça reste embryonnaire. On vient de recommencer à écrire. On a des milliers d’idées.”
O Monolith, distribué par Warp/V2. Le 30/06 à Rock Werchter, le 07/09 à l’Ancienne Belgique.
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